De la colère à l’espoir

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Votre maire, vice-président du conseil départemental des Hauts-de-Seine et vice-président du territoire Paris Ouest La Défense

Christian Dupuy

La nouvelle année a commencé comme la précédente s’était achevée, dans le désordre et l’incertitude de ce qu’il adviendra de notre démocratie. Les « gilets jaunes » ne sont que l’un des symptômes qui touchent l’ensemble des pays développés en ce premier quart du XXIe siècle.
La démocratie représentative est remise en cause ici et là et lorsque ceux qui s’en prennent à elle accèdent aux responsabilités dans leurs pays, le résultat n’est pourtant pas à la hauteur des attentes puisqu’on y constate généralement une dérive autoritaire et l’affaiblissement des libertés fondamentales qui accompagnent toujours ce type d’évolution.
Décidément il semble que les années 10 du XXIe siècle ne tirent aucune des leçons des années 10 du siècle précédent qui ont enfanté des dictatures, des génocides et des guerres sanglantes !
La démocratie représentative n’est sans doute pas parfaite mais les sociétés humaines n’ont jamais pu inventer de meilleure solution pour sceller un pacte social acceptable, garantissant l’essentiel des libertés, assurant la construction d’un État de droit protégeant ses citoyens de la loi du plus fort et assurant une fonction redistributive et régulatrice nécessaire à une vie sociale apaisée.
Certaines revendications portées par le mouvement des « gilets jaunes » ne manquent pourtant pas de légitimité.
Ayant eu pour déclencheur la hausse des taxes sur le gazole, cette protestation s’est développée sur l’injustice ressentie par une partie de plus en plus conséquente de la classe moyenne, victime de déclassement et qui éprouve, à tort ou à raison, le sentiment de voir son pouvoir d’achat diminuer et d’avoir de plus en plus de mal à « boucler les fins de mois ». Les taxes sur le carburant ont ainsi révélé l’iniquité vécue par les populations de cette France dite « périphérique » qui n’a pas d’autre choix pour se rendre au travail que l’utilisation de l’automobile.
Ceux qui vivent en dehors des métropoles ne bénéficient pas de transports en commun répondant à leurs besoins. Ils subissent même les fermetures de certaines lignes SNCF dites « secondaires » et, pour celles qui subsistent, les pannes à répétition résultent du défaut d’entretien dont souffrent ces lignes sacrifiées sur l’autel de la politique du « tout TGV » développée depuis quatre décennies.
Ces mêmes populations ont, en même temps, vu disparaître progressivement de nombreux services publics de proximité. La fermeture des bureaux de poste, des permanences de la Caisse d’allocations familiales, de celles de la Sécurité sociale, la réduction du nombre d’hôpitaux, aggravée par la diminution du nombre des praticiens de santé en raison du numerus clausus… tout cela s’est soudain révélé au grand jour !
S’il est vrai que la France est sans doute le pays d’Europe et même de l’OCDE qui, avec les pays scandinaves, connaît le moins d’inégalités et où la fonction redistributive de l’État, corolaire de son record d’imposition et de prélèvements, est la plus efficace, le sentiment de relégation de cette France « périphérique » ne relève pour autant pas du pur fantasme. La révolte des « gilets jaunes » est le révélateur d’une politique nationale qui a depuis trop longtemps abandonné l’idée même du concept d’aménagement du territoire et qui a donc laissé se développer une véritable fracture territoriale sans prendre la mesure des disparités et donc des frustrations que cela créerait et qui, après avoir longtemps couvé, éclatent avec fracas.
D’abord sceptique sur l’idée du grand débat national, j’ai fini par considérer qu’il s’agissait enfin d’une occasion de permettre que s’expriment les attentes des hommes et des femmes qui constituent la nation française au-delà des évaluations statistiques de l’INSEE et des rapports désincarnés produits quotidiennement par les administrations centrales de l’État.
La protestation de ces dernières semaines est aussi la révélation de la rage, longtemps contenue, de nos compatriotes à l’égard d’une société de plus en plus normée, encadrée, réglementée, moralisatrice, dans laquelle ils se sentent traités comme des enfants à qui il faut inculquer de gré ou de force, ce qui est « bon » pour eux !
Les médias et les représentants de l’État ne parlent-ils pas à tort et à travers de la nécessité de plus de « pédagogie » ? Les citoyens ne sont pas des enfants à éduquer et s’il est nécessaire de leur fournir des explications sur les raisons qui ont dicté à l’État de fixer telle ou telle norme, il n’est pas inutile que les dirigeants de l’État s’interrogent eux-mêmes sur les attentes de la population qui leur a confié la responsabilité.
Prenons garde de ne pas laisser se développer les dérives occasionnées par cette révolte. La violence, la casse, les pillages ne sont pas acceptables pas plus que ne le sont les tentatives de détournement et de captation du mécontentement au profit de thèses complotistes ou de la volonté d’affaiblissement, voire de renversement, des institutions fondant notre démocratie.
Suresnes ne figure pas parmi les territoires délaissés de la République. Pour autant aucun citoyen ou résident français ne doit se considérer étranger aux problématiques que révèle la crise actuelle.
C’est pourquoi il est utile que chacun participe au débat qui s’ouvre aujourd’hui.
Et puisqu’il semble que nos dirigeants s’aperçoivent enfin que l’échelon communal a quelque utilité et quelque légitimité, nous ferons remonter les remarques, propositions, attentes que les Suresnois nous transmettront pour participer à rendre à la France son vrai visage d’une République qui s’est forgée sur un combat séculaire pour la liberté, l’égalité et la fraternité en surmontant, au fil de son histoire, bien des crises, bien des troubles mais qui a toujours su, au bout du compte, faire triompher ses valeurs fondatrices.