Au lendemain du premier conflit mondial, le temps est non seulement à la reconstruction, mais aussi à une ère plus sociale. Certains élus se préoccupent du cadre de vie et de la santé de leurs concitoyens. En 1919, lorsque Henri Sellier accède pour la première fois à la mairie de Suresnes, la société française reste profondément inégale. Habitat, hygiène, accès aux soins, sont des problèmes pour de nombreux Français. Suresnes n’est plus un petit village depuis la veille de la Première Guerre, la ville a épousé le développement industriel et commercial des faubourgs de Paris.
Les Suresnois ne sont plus majoritairement des agriculteurs ou des commerçants qui vivent des produits de la terre. De nouveaux citoyens s’installent à Suresnes. Lors de la campagne des élections municipales de 1919, le programme d’Henri Sellier est pétri d’idées sociales et fait la part belle à un courant venu du siècle précédent, l’hygiénisme. La grippe espagnole a durement frappé l’Europe, et pourtant il n’est pas question de cette épidémie durant la campagne électorale. Nulle part, pas plus à Suresnes qu’ailleurs, on ne mentionne la pandémie (lire ici l’article du Surene Mag publié en juillet sur la grippe espagnole ). Chassée de la une de la presse en 1918 par la guerre, puis délaissée dans l’euphorie de la victoire, c’est le virus le plus méprisé de l’Histoire.
Salubrité publique
Cela n’empêche pas Henri Sellier de brandir l’étendard de l’hygiène et de la salubrité publique. Le futur maire entend lutter contre ce que l’on nomme les « maladies de l’ombre » : tuberculose, rachitisme, crétinisme, alcoolisme, syphilis. Son credo est «l’hygiène, c’est la prévention des maladies du corps et de l’esprit». Ce n’est pas pour autant un grand thème de campagne. La notion d’épidémie est tabou en cette année d’après-guerre. En fait, le monde politique évite le sujet, il effraye les électeurs et certains le jugent « rétrograde ».
Car si l’on évoque volontiers le social, la maladie est bannie : pour les positivistes, ce courant issu du XIXe siècle, les grandes épidémies ont été vaincues par la science. Adieu choléra, typhus et autres calamités,et il n’est pas utile de rappeler à l’électeur que des virus sont tapis dans l’ombre. Cela n’empêche pas Henri Sellier, élu départemental depuis 1910, d’agir. Son programme est social, quasi-scientifique, dense, il repose sur l’habitat mais ne méprise pas l’hygiène, bien au contraire.
Le maire Sellier s’attaque donc aux microbes. Pour cela, il lui faut maîtriser la question, en acquérir une connaissance pleine et entière. Il crée un bureau municipal d’Hygiène et adopte un outil : le casier sanitaire public. Ce répertoire existe à Paris depuis 1902, il est crucial.
C’est un outil statistique qui photographie Suresnes : chaque maison est analysée. On répertorie les logements selon leur degré de salubrité : eau courante, fenêtres, pollution industrielle, nombre de pièces/nombre d’habitants, accès à l’eau… La situation sanitaire suresnoise est mise à nu, les mesures à prendre deviennent limpides.
Sellier comprend qu’il faut assainir l’eau, l’air, l’habitat mais aussi prévenir la propagation par l’hygiène, ce que l’on nomme aujourd’hui les « gestes barrières ».
En adjoignant à ce casier sanitaire un bureau d’hygiène municipal, un dispensaire moderne (rue Carnot) et un établissement de bainsdouches (rue Darracq), la nouvelle municipalité se veut en pointe du combat contre l’insalubrité.
Face à un ennemi invisible, l’infection, Henri Sellier se montre très novateur. La tuberculose fait des ravages. Le « tubard », selon l’expression argotique est promis au mieux au sanatorium lorsqu’il a les moyens. Au pire, ce sera le cimetière. Et la mortalité infantile liée à cette maladie est importante. La notion de prévention, d’information, est négligée. Sellier va relayer puis lancer d’importantes campagnes de prévention, d’affichage et de vaccination.
L’assainissement l’intéresse depuis longtemps. En 1913, dans le quotidien L’Humanité du 24 août, il signe un article sur la volonté parisienne de transformer le réseau des égouts. Henri Sellier est souvent présenté comme un homme qui voit en l’urbanisme social la solution à tous les problèmes. Il fera d’ailleurs de la Cité-jardins de Suresnes son laboratoire.
Perte du revenu national
Mais il ne mésestime pas l’aspect médical des fléaux de cet entre-deux guerres. Au contraire : directement liées au développement de maladies au début du XIXe siècle, ces théories hygiénistes ont modifié tout à la fois l’espace urbain et les pratiques d’hygiène. En 1928, il rédige un épais rapport sur la lutte contre la tuberculose dans la région parisienne, il est invité au Congrès d’hygiène de la Société de Médecine publique. Il s’entoure de praticiens, comprend qu’il faut assainir l’eau, l’air, l’habitat mais aussi prévenir la propagation par l’hygiène, ce que l’on nomme aujourd’hui les « gestes barrières ».
En juin 1936, le sénateur-maire de Suresnes devient ministre de la Santé du gouvernement du Front Populaire. Dès lors, il impose de véritables campagnes nationales sur l’hygiène et la lutte contre les maladies comme la tuberculose. Il assène : « la maladie cause 18% de la perte du revenu national », le Ministre plaide pour des normes d’hygiène strictes et le renforcement de l’éducation. Dans sa ville-laboratoire de Suresnes, il crée un règlement municipal d’hygiène, établit des normes, expérimente avec l’école de plein air (lire ici l’article sur du Suresnes Mag sur l’Ecole de plein air.)
En 1939, la Revue d’Hygiène et de Médecine Préventive estime que «le règlement sanitaire de Suresnes est le plus sévère qui existe en France.» En vingt ans, Henri Sellier a donc profondément modelé sa ville et imprimé une trace durable. Le faubourg de Paris est un être vivant et Sellier estimait que «ses administrateurs en sont les médecins.»
Du 16 octobre 2020 au 6 juin 2021, la nouvelle exposition du Mus « C’est du propre ! L’Hygiène et la ville depuis le XIXe siècle » retrace l’histoire de l’hygiénisme dans les villes de 1802 à nos jours.
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