L’Ecole de plein air: une révolution

février 2020

Pionnière  aussi bien pour son architecture que pour son rôle éducatif en direction des enfants malades, sa création, décidée  en 1931, résulta de la rencontre entre les convictions hygiénistes et sociales d’Henri Sellier et le credo des architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods, partisans d’une architecture aérée, pratique et claire.

Texte : Matthieu Frachon

Se pencher sur le sort des enfants, leur apporter éducation et soins, c’est l’ambition du courant social né à la fin du XIXe siècle. À Suresnes, une réalisation va éclipser tout ce qui a été entrepris en France auparavant : l’école de plein air. Figure incontournable de l’histoire contemporaine de Suresnes, Henri Sellier est l’initiateur de cette école.
Le maire de la ville, élu pour la première fois en 1919, est un adepte du mouvement hygiéniste. Ce courant reprend à son compte le « mens sana in corpore sano » (un esprit sain dans un corps sain) des Romains. La révolution industrielle et le développement urbain se font dans des conditions d’hygiène déplorables. La tuberculose et le rachitisme font des ravages surtout chez les enfants. Pour enrayer ce fléau, la pensée hygiéniste préconise un habitat et un environnement de travail plus sains, où le soleil et l’air libre sont privilégiés.

Mortalité infantile

Rien de neuf sous le soleil, justement, puisque le principe de la cure et du sanatorium existe déjà. Oui, mais là il s’agit de lieux de vie, d’habitat, de travail et non de villégiatures. La mortalité infantile pousse les hygiénistes à réfléchir à des écoles qui permettraient à la fois de scolariser les enfants malades, de leur inculquer les notions d’hygiène et de leur assurer un suivi médical, le tout avec un enseignement tourné vers l’extérieur. Le concept de l’école de plein air (EPA) naît en 1904 en Allemagne avec la Waldschule (école de la forêt). En France, la première EPA est installée à Lyon en 1906.

Qu’Henri Sellier, gagné aux idées sociales depuis toujours, soit un partisan de cette approche de l’urbanisme, est évident. Il est fondateur et administrateur délégué de l’Office public d’habitations à bon marché (OPHBM) du département de la Seine. L’habitat, l’insalubrité, la nécessité de mieux loger une population de plus en plus nombreuse, sont ses grands combats.

Beaudouin et Lods

Dès 1921, la municipalité organise des stages de plein air à l’intention des enfants malades. Mais les locaux situés dans le haras de la Fouilleuse sont provisoires. Lorsque le haras est rasé pour l’édification de la Cité-jardins, l’expérience est interrompue. Qu’importe, l’idée perdure. Il faut rendre pérenne cette initiative, la transformer en un établissement scolaire.

Une rencontre va s’avérer déterminante pour impulser cette école de plein air à Suresnes, celle entre le maire et les deux architectes Eugène Beaudouin et Marcel Lods.

Les deux hommes sont de fervents partisans d’une construction sociale, d’une architecture aérée, pratique, claire. L’architecture connaît une véritable révolution à cette époque, de nouveaux matériaux comme le béton sont employés.

Le cabinet Beaudouin et Lods adresse un premier projet d’EPA en 1931 : « Obtenir en toute saison un maximum d’ensoleillement des locaux abrités. Pour permettre la classe pendant les journées pluvieuses mais chaudes, le vitrage peut s’effacer intégralement. Une terrasse située devant les classes permettra le travail à l’extérieur les jours doux. » Cette déclaration liminaire va rester le credo du projet. Le maire n’hésite pas à modifier la copie des deux architectes, avec l’aide d’un ancien instituteur, Louis Boulonnais.

Avec Beaudouin et Lods, il visite l’école de plein air Cliostaat à Amsterdam, qui va devenir la principale source d’inspiration du projet. Le terrain situé sur la pente sud du mont Valérien, en surplomb de Suresnes, est idéal : il est vaste, à la périphérie de la ville, loin des cheminées d’usines, orienté au sud, il dispose d’un ensoleillement maximum. Les plans et ébauches se succèdent, même après le début de la construction en 1932.

Citée en exemple

Enfin, en 1935 l’école de plein air de Suresnes ouvre ses portes, même si elle ne sera officiellement inaugurée que l’année suivante. Huit pavillons salles de classes sont érigés, tout a été pensé, étudié : pas d’escaliers mais des rampes pour garder le rythme et éviter de solliciter les articulations, chauffage par le sol, une terrasse qui fait office de solarium, la possibilité de faire classe aussi bien dedans que dehors…

L’EPA de Suresnes est citée en exemple, aussi bien pour son architecture que pour son rôle éducatif en direction des enfants malades : contrôle médical, douches-bains, études, observations, rythment les journées des patients-élèves. Durant plus de 60 ans, entre 1935 et 1996, l’école évolue et se transforme, mais ne renie jamais sa vocation sociale et humaniste.

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L’Ecole de plein air dans la presse de l’époque

En 1935, lors de l’ouverture de l’école de plein air, la presse française s’enthousiasme à l’unisson et la présente comme « la plus moderne au monde ». « Cette réalisation est un grand bonheur et un grand honneur pour notre pays qui, de ce fait, grimpe de plusieurs rangs l’échelle internationale », se félicite ainsi le quotidien Le Jour, tandisque la prestigieuse revue Comoedia note que « Suresnes va posséder la plus grosse mappemonde in the world ».
Le résultat est-il à la hauteur des espoirs ? En 1938, le journal conservateur Le Matin évoque rien moins qu’un « paradis pour les petits malheureux », où « les enfants chétifs forment leur esprit en cultivant leurs muscles ».
La presse de gauche n’est pas moins séduite. Le journal socialiste de Léon Blum, Le Populaire, détaille ainsi les bénéfices de cette pédagogie nouvelle : « Une augmentation de poids moyenne de presque 2 kilos pour 10 mois de présence scolaire a été enregistrée. Les enfants respirent mieux. Ils sont plus calmes, plus disciplinés. Les résultats scolaires ont été aussi heureux, le pourcentage des réussites aux examens étant supérieur à celui des autres écoles. Les récupérations intellectuelles ont été plus que satisfaisantes et permettent de penser que l’expérience tentée a donné toute satisfaction. »

Marina Bellot

Références : Le Jour, 4 mars 1935 / Comoedia, 12 août 1935 / Le Populaire, 31 janvier 1938 / Le Matin, 22 avril 1938

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