Rien ne destinait Henri Sellier, né à Bourges en 1883, à devenir un élu de premier plan. Fils d’un contremaître, nourri aux mamelles de l’école de la République, il est diplômé de la prestigieuse école de commerce HEC (Hautes études commerciales), licencié en Droit et fervent militant socialiste.
Il monte à Paris, ainsi que l’on disait en ce temps-là, pour ses études et entre dans une banque, puis au ministère du Commerce avant d’intégrer celui du Travail. En 1905, il assiste à la fondation du socialisme en France, à son unification sous la bannière d’un nouveau parti la Section française de l’internationale ouvrière, la SFIO. Ce jeune homme est syndicaliste, délégué au sein de son ministère de la Fédération des employés. Mais du militantisme à la politique, le pas est grand. Surtout à Paris où les places sont chères quand on n’a qu’une vingtaine d’années.
Le destin frappe cependant une première fois en la personne d’un certain Lucien Voilin. C’est un « pays », un Berrichon, un ami. Voilin est aussi « monté », mais pas à Paris, à Puteaux où il travaille à l’Arsenal. Il est également membre du Conseil municipal et convainc Henri Sellier de le rejoindre pour l’aider.
Voilà les premiers pas en politique du jeune homme. Il s’installe à Puteaux et fait son apprentissage, se forge des convictions.
D’abord celle que ces communes de ce que l’on nomme la Seine-Banlieue, sont porteuses d’avenir. Un grand nombre d’entre elles ont élu des maires socialistes qui viennent de la classe ouvrière. Ces hommes se parlent, tentent de bâtir des relations, jettent les bases des premières intercommunalités, forment un réseau.
Ensuite, il constate que l’action municipale est souvent ligotée par le centralisme de l’administration. Puis
il mesure le terrain social, le travail à effectuer dans une commune en pleine explosion démographique.
Habitat social
Devenu administrateur de la coopérative « La Revendication », Henri Sellier va se retrouver propulsé au Conseil général. Son ami Voilin est élu député et il doit lui succéder comme représentant du canton de Puteaux en 1910. Le jeune Sellier démissionne de son ministère et se lance dans la vie publique, il ne la quittera jamais.
Dès 1912, il va se pencher sur un dossier qui comptera plus que tout dans sa carrière, celui de l’habitat social. Cette année-là, la loi du 21 décembre prévoit la création des Offices publics d’habitation à bon marché. En 1914, il présente son projet : la création d’un Office départemental des habitations à bon marché, l’ODHBM. Mais la guerre arrive, et tout ce qui n’est pas guerrier passe au second plan. En 1915, Henri Sellier s’installe à Suresnes.
Il a 32 ans, le journal L’Humanité le considère comme une « étoile montante » du socialisme dans le département de la Seine. Le paysage de ce département change à vue d’oeil. En moins de trente ans, la banlieue n’est plus l’endroit où l’on retrouvait les « bannis des lieux », mais des villes qui attirent de nouveaux habitants.
Ces communes ne sont plus rurales, mais ouvrières, industrieuses, leur population double, triple. Henri Sellier en est conscient puisqu’il publie en 1917 un livre intitulé Les Banlieues urbaines et la réorganisation administrative du département de la Seine.
Durant la guerre, le conseiller général ne perd pas de vue ses projets. Il fait acquérir par son tout jeune office départemental des terrains. C’est sur ces terres que vont s’ériger les premières Cités-jardins. Mais il lui faut s’armer de patience, attendre la fin du meurtrier conflit. Lorsque celui-ci s’achève, que les hommes reviennent du front, il faut rebâtir, mais aussi transformer.
En 1919 Suresnes est une ville au double visage. Les usines bordent les rives de la Seine, l’activité est florissante. Les villas poussent et repoussent les terres agricoles, mais l’urbanisme ne suit pas. Suresnes est encore un village aux maisons ouvrières délabrées, l’insalubrité est présente. Les élections municipales approchent et Henri Sellier décide de se présenter.
Tissu social
Le 21 novembre 1919, le maire sortant Victor Diederich préside son dernier conseil municipal. Le contexte est tendu, le pays aspire à une nouvelle classe politique, l’union sacrée a volé en éclats en 1917. Le bilan du maire sortant n’est pas mauvais, mais Diederich menait des combats qui étaient dépassés, notamment contre le clergé. Le tissu social de la ville a changé, les notables ne représentent plus les nouveaux Suresnois.
La bataille des municipales à Suresnes va opposer deux listes. L’une de droite, dite d’Union républicaine, comprend six ouvriers, trois employés, un artisan, neuf cadres et une flopée de notables et de professions libérales. La liste Sellier, sous l’étiquette SFIO, est composée de quatorze ouvriers, six employés, deux horticulteurs, un artisan, un comptable et un ancien employé municipal.
« L’apôtre de la réforme »
Il faudra deux tours à ce scrutin pour acter la victoire de la liste de gauche. Elle est écrasante : le 17 décembre 1919, sur 28 sièges, la SFIO obtient 20 élus. Le mouvement n’est d’ailleurs pas uniquement suresnois, la gauche gagne 24 communes de la Seine sur 78. Sa victoire, il la doit à un programme de 16 pages, face à une opposition qui ne présente qu’un tract d’une page recto-verso. Urbanisme, éducation, santé, protection, solidarité, mais aussi vision départementale et régionale.
Nous ne sommes pas encore à l’ère du Grand Paris, mais Henri Sellier se montre clairvoyant et moderne. Celui qui est surnommé « l’apôtre de la réforme » par L’Humanité dans son édition du 9 décembre 1919 va pouvoir entamer son action pour sa ville, marquée plus encore par l’humanisme et le pragmatisme que par l’engagement idéologique.
Dans sa dernière adresse aux électeurs avant le scrutin final il assurait que « toutes les connaissances que m’ont pu assurer 15 années d’études et de pratiques administratives, sont acquises à la mairie de Suresnes, quelle que soit la nuance politique de ses membres ».