L’exemplaire destinée de la princesse agent secret

février 2019

Fille d’un soufi indien, élevée à Suresnes, femme émancipée, lettrée et musicienne, Noor Inayat Khan a fait, en 1940, le choix moral de défendre la liberté et son pays d’adoption en rejoignant les services secrets britannique. Envoyée en France occupée comme opératrice radio clandestine, elle s’est distinguée par son héroïsme avant d’être trahie et de mourir à 30 ans en martyr à Dachau.

Le 12 septembre 1944, juste avant d’être exécutée d’une balle dans la nuque à Dachau, elle a crié un dernier mot qui disait l’essence de sa vie et l’objet de son combat : « Liberté ! ». Longtemps restée dans l’ombre, hormis à Suresnes, la destinée aussi exemplaire qu’héroïque de Noor Inayat Khan suscite depuis plusieurs années un intérêt croissant (lire ci-dessous).
Princesse indienne et musulmane, résistante française, agent secret britannique, elle a eu, avant de tomber en héroïne à 30 ans, une vie d’une fulgurante intensité. Née à Moscou, fille de Hazrat Inayat Khan (1882-1927), un musicien des Maharadjas qui a introduit le soufisme en Occident (lire ci-contre), Noor a été élevée à Suresnes où, à côté de la demeure familiale, son père a posé la première pierre d’un temple qu’il veut dédier à toutes les religions.

Scolarisée à l’École primaire supérieure de jeunes filles de Suresnes, bachelière à 17 ans, quand éclate la guerre c’est une jeune fille romantique et lettrée, férue de poésie, harpiste de talent dans une famille où la musique est une autre religion. Une femme émancipée aussi par l’excellence de l’éducation familiale et celle de l’école républicaine, qui a étudié la psychologie enfantine à la Sorbonne, et a publié des contes pour enfants, qu’on peut entendre sur Radio Paris ou lire dans Le Figaro du dimanche.

Défendre la lumière contre l’obscurité

Rien ne destinait cette femme élégante et raffinée, toute de grâce et de bienveillance, qui a été élevée dans le culte de la non-violence, à devenir agent des services secrets britanniques, envoyée comme opératrice radio clandestine dans la France occupée. Rien, sinon une passion ardente pour la liberté, l’impérieuse conviction de défendre la lumière contre l’obscurité, et une volonté de fer de rendre à son pays d’adoption ce qu’il lui avait donné.

Enfant sensible, rêveuse et altruiste, Noor a bénéficié de l’enseignement musical et spirituel de son père. « Noor et son frère Vilayat avaient reçu une éducation intellectuelle de haut niveau qui alliait les cultures de l’Orient et de l’Occident, explique Annie Lacuisse-Chabot, secrétaire de « L’Universel Mémorial Noor ». Quoiqu’élevés dans le principe de non-violence enseigné par leur père, quand la guerre a éclaté, ils ont fait ensemble un choix moral : elle estimait avoir tant reçu du pays qui l’avait accueillie, qu’elle ne pouvait concevoir de ne pas s’engager pour le défendre ».

Noor et Vilayat

En juin 1940 ils gagnent donc tous deux la Grande-Bretagne. Noor rejoint d’abord la Royal Air Force où elle fait partie des premières femmes formées comme opératrice radio. En 1943, elle est intégrée au Special Operation Executive (SOE), service secret créé par Churchill pour soutenir les mouvements de résistance dans l’Europe occupée.

Une princesse élégante et raffinée, d’une gentillesse quasi instinctive et rétive au mensonge : son profil est pourtant éloigné du portrait type de l’agent d’un service de sabotage et de renseignement. « Une fois vue, jamais oubliée » note un instructeur, sceptique.

« Elle estimait avoir tant reçu du pays qui l’avait accueillie, qu’elle ne pouvait concevoir de ne pas s’engager pour le défendre »

Mais outre son atout linguistique, Noor est dure au mal, méthodique, d’une infinie patience et d’un courage serein. Ces qualités lui valent finalement d’être envoyée en France sous le pseudonyme de Madeleine dans la nuit du 16 au 17 juin 1943.

Noor, en 1943, en uniforme en de la WAAF.

Dès le 20, elle adresse ses premiers messages à Londres à partir de l’École nationale supérieure d’agriculture de Grignon. Mais si le réseau Prosper, qu’elle a rejoint, s’est distingué par l’efficacité de ses opérations de sabotage, il a déjà été infiltré, et est progressivement démantelé par l’occupant. Le 1er juillet, Noor échappe à l’arrestation et parvient à s’échapper après avoir blessé deux Allemands avec son arme.

« Dans cette mission extrêmement exposée et vulnérable elle est restée trois mois quand les opérateurs radio restaient six semaines au plus », relève Annie Lacuisse-Chabot. Noor refuse en effet une proposition de rapatriement, car elle reste la seule opératrice encore en liberté et elle manque volontairement le
Lysander qui devait la ramener à Londres.

Pour continuer sa mission, elle va de planque en planque, échappant aux souricières. Le 30 août 1943, c’est elle qui annonce à Londres, l’élection de Georges Bidault à la tête du Conseil national de la Résistance, à la suite de l’arrestation de Jean Moulin.

Trahison et tentative d’évasions

Noor sera finalement victime d’une trahison. La Gestapo l’arrête le 13 octobre à Paris. Conduite avenue Foch, elle va tenter de s’échapper par les toits mais sera reprise. Elle sera interrogée durant cinq semaines et ne parlera pas.
Après une nouvelle tentative d’évasion, elle est transférée en Allemagne où elle est considérée comme détenue dangereuse et enchainée jour et nuit. Le 11 septembre1944 elle rejoint à Karlsruhe Yolande Beekman, Éliane Plewman, et Madeleine Damerment. Sur ordre de Berlin les quatre femmes sont conduites au camp de Dachau.
Au petit matin du 13 septembre, dans une cour boueuse du camp, le SS Friedrich Rupert les exécute d’une balle dans la nuque. Au fil de son martyr elle n’aura jamais parlé, ni coopéré avec l’ennemi.

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Une icône très moderne

« La Princesse oubliée », titre de la biographie romancée que lui a consacrée le journaliste Laurent Joffrin, l’est de moins en moins aujourd’hui. Après le « Madeleine » de l’Anglaise Jean Overton, en 1952, et les ouvrages de Shaunas Singh Baldwin (« The Tiger Claw ») ou de Shrabani Basu (« The spy princess»)
deux auteurs américains, Arthur Magida et Humera Afridi, passés par Suresnes pour leurs recherches, mettent la dernière main à leurs biographies respectives. Le New York Times lui a consacré en novembre 2018 un portrait dans sa rubrique « Overlooked ».  En France deux écrivains travaillent aussi à retracer sa vie.
◆ « Avec le recul, son engagement et sa personnalité apparaissent plus exemplaires encore à tous les points de vue, souligne Christian Dupuy, Maire de Suresnes : femme émancipée, artiste et intellectuelle nourrie des cultures de l’Occident et de l’Orient, modèle d’intégration attachée à la liberté de son pays jusqu’au sacrifice de sa vie… Noor Inayat Khan apparait comme une figure d’une grande modernité ».
Depuis novembre 2012, Noor Inayat Khan a une statue à Londres. La Royal Mail a émis en 2014 un timbre à son effigie et une campagne soutient sa représentation sur la prochaine version du billet de 50 livres.
En Inde, c’est l’anticolonialiste ardente partisane du droit à l’indépendance qu’on célèbre.
En France, Noor a reçu à titre posthume en 1946 la citation à l’Ordre du Corps d’Armée avec la Croix de guerre à l’étoile de vermeil, mais la (re)connaissance de son incroyable destinée a peut-être souffert d’une prééminence mémorielle donnée aux organisations de résistance françaises.
◆ Hormis à Suresnes où, dès 1967, une plaque commémorative officielle a été apposée devant la maison familiale. Depuis, chaque année une gerbe y est déposée lors des cérémonies du 8 mai 1945. En 1988, la voie comprise entre la rue de Verdun et la rue Darracq est dénommée cours Madeleine. Puis à la rentrée 2013, le nom de « Noor Inayat Khan dite Madeleine » a été donné à la nouvelle école primaire du quartier Sisley.

Ecole Noor Inayat Khand dite Madeleine

L’Universel, un sanctuaire à Suresnes

La maison familiale, rue de la Tuilerie

C’est en raison de la longue histoire spirituelle du Mont Valérien, qu’Hazrat Inayat Khan a choisi de s’établir à Suresnes en 1921. Onze ans plus tôt, ce musicien indien de famille noble avait gagné l’Occident pour y introduire le soufisme à travers sa musique.

Ni religion à part entière, ni doctrine, ce courant spirituel habituellement référé à l’Islam est une tradition qui se veut ouverte à toutes les croyances. Avant-guerre, le Tout Paris se pressait à ses concerts.

Naissance au Kremlin

Appelé à la cour du Tsar, il se rend à Moscou où sa femme américaine, Ora Ray Baker, donne naissance à Noor le 1er janvier 1914. La famille vivra ensuite entre la France et Londres avant de s’établir dans une maison rue de la Tuilerie où a grandi Noor.

Devenue lieu de rencontres spirituelles de l’ordre, Fazal Manzil, « la maison des bénédictions », abrite dans son jardin un sanctuaire, « L’Universel Mémorial Noor ». Rappelant la forme de quatre bouddhas dos à dos, il se veut à la fois un lieu de rencontres inter religieuses pour la paix et un mémorial dédié à la mémoire de Noor.

 

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