Noor Inayat Khan, une notoriété globale

septembre 2021

Grâce à la traduction réalisée par quatre passionnés, une biographie complète de la princesse résistante suresnoise, trop méconnue dans l’Hexagone, est enfin disponible en français.

Texte : Arnaud Levy Photos: DR.

Princesse soufie élevée à Suresnes, lettrée et musicienne, femme émancipée, résistante et agent secret des services britanniques dans la France occupée : la personnalité unique et exemplaire de Noor Inayat Khan et son destin fulgurant et tragique demeurent méconnus en France, en dépit de la reconnaissance dont lui témoigne depuis longtemps la ville de Suresnes.

La vie et l’engagement de cette femme élevée dans le principe de non-violence mais morte à 30 ans pour avoir fait le choix moral de défendre la liberté apparaissent pourtant d’une saisissante modernité.

Carence éditoriale comblée

Rétrospectivement, la fille d’un musulman indien nourrie des cultures de l’Occident et de l’Orient, peut aussi apparaître en France comme un modèle d’intégration qui donne sa vie pour la liberté de son pays d’adoption. Quant au parcours de la jeune femme bachelière à 17 ans, diplômée de la Sorbonne et auteure de contes pour enfants, ne fait-il pas un superbe modèle féministe d’émancipation par l’éducation ?

Mais à l’exception d’une biographie littéraire et romancée du journaliste Laurent Joffrin, aucun ouvrage sur Noor Inayat Khan n’était plus disponible en français. Une carence éditoriale désormais comblée grâce au travail de quatre passionnés d’horizons différents qui ont entrepris de traduire un ouvrage qui fait référence : Spy Princess écrit en 2006 par Shrabani Basu (lire ci-dessous).

Retour en arrière.1953 : Jean Overton Fuller, amie de Noor et camarade des années de formation au SOE (Special Operations Executive, service britannique intervenant en soutien des résistants dans les pays occupés par les Nazis) publie la première biographie Madeleine : L’histoire de Noor Inayat Khan, dont la traduction française (Ed. Corréa) est épuisée depuis longtemps.

« Elle s’appuie sur sa connaissance personnelle de Noor et sur le travail mené par Vera Atkins, la responsable des femmes au SOE qui avait été la première à reconstituer son parcours », explique Annie Lacuisse-Chabot, suresnoise et secrétaire de « L’Universel-Mémorial Noor ».

Après avoir rejoint l’Angleterre en juin 1940 avec son frère Vilayat, Noor avait été une des premières femmes formées comme opératrice radio. Intégrée au SOE en 1943, elle est envoyée en France occupée au sein du réseau Prosper sous le nom de code de Madeleine, et s’illustre par son courage dans une mission extrêmement exposée. Mais victime d’une trahison, elle est arrêtée et torturée avant d’être déportée en Allemagne et finalement exécutée à Dachau en septembre 1944.

Exigence morale

En 2004, le journaliste Laurent Joffrin publie La princesse oubliée, « une fiction romanesque» résume Annie Lacuisse-Chabot, dans laquelle Noor ne meurt pas. « C’est un beau livre qui a les libertés de la littérature et capte bien qui elle était. » Mais en 2006, la sortie du Spy princess marque un tournant. Journaliste indienne à Londres, Shrabani Basu a eu accès aux archives du SOE.

« C’est la première véritable histoire de Noor. Tout y est très détaillé : son entraînement, ses missions, son arrestation… Et le livre saisit aussi la force spirituelle et l’exigence morale de l’éducation dispensée par son père, Hazrat Inayat Khan.». La reconnaissance de Noor va dès lors acquérir une nouvelle dimension, d’abord en Angleterre, où une campagne obtient l’installation d’un buste à Londres, sur Gordon Square, avant que la Royal Mail n’émette un timbre à son effigie. L’Inde revendique les racines de cette fille de musicien des maharadjas, et célèbre l’héroïne anti colonialiste partisane de l’indépendance. Les musulmans insistent sur sa religion.

Pareille destinée ne pouvait échapper à l’intérêt des Etats-Unis. Salué par la critique américaine, le livre du journaliste Arthur Magida, fruit d’une enquête exigeante passée par Suresnes, vient d’être réédité en version « poche », et les droits d’adaptation cinématographique en ont déjà été achetés.

Au fond, cet intérêt mondial est le parfait miroir de l’identité plurielle d’une personnalité qu’on dirait aujourd’hui « globale » : fille d’un Indien et d’une Américaine, née à Moscou, passée par Londres, grandie en France et élevée à Suresnes.

Mais c’est le pays où elle a été élevée et pour lequel elle s’est battue qui la connaît le moins. « En France, Noor a longtemps été considérée comme étrangère», regrette Annie Lacuisse-Chabot. Avec la traduction d’Espionne et princesse on ne pourra plus dire qu’on ne savait pas…

Espionne… et princesse. La vie de Noor Inayat Khan, Editions Metvox. 26 euros

Retrouvez ici le portrait de Noor Inayat Khan dans le Suresnes mag de Février 2019

Une traduction à huit mains

C’est en recueillant les souvenirs d’une figure féminine des réseaux du SOE en France, Cécile Pearl Cornioley alias « Pauline », que le journaliste Hervé Larroque entend parler pour la première fois de Noor Inayat Khan. En 2019 il est contacté par Daniel Mercurey passionné par l’histoire de la Résistance et déjà désireux de mieux faire connaître la vie de Noor.

Après avoir lu son portrait dans le Suresnes mag, ils contactent la rédaction qui les oriente vers Annie Lacuisse-Chabot, secrétaire de l’Universel-Mémorial Noor. Rejoints par Joëlle Leroy, et forts des contacts d’Annie avec Shrabani Masu qui leur donne son autorisation, ils s’attellent à la tâche, achevée en avril dernier.

Traduire bien sûr mais vérifier avec minutie, corriger ce qui doit l’être sur la forme et sur le fond : un nom à franciser, un lieu à préciser, etc. « On ne peut qu’être impressionné par la force d’une telle personnalité plurielle », explique Hervé Larroque particulièrement marqué par deux aspects: «sa simplicité dans son rapport aux autres et la profondeur des amitiés qu’elle suscitait, qui l’ont d’ailleurs aidée dans sa clandestinité. Mais aussi : sa volonté inaltérable et le courage dont elle a fait preuve lors de ses missions».

Les auteurs de la traduction d’Espionne et princesse seront présents le samedi 18 septembre entre 10h et 13h pour une rencontre exceptionnelle autour du livre à la librairie Le Point de côté (place Henri IV).

INTERVIEW ARTHUR MAGIDA

« Ce qui la distingue c’est son élévation spirituelle. »

L’écrivain américain s’est rendu à quatre reprises en France et à Suresnes pour les besoins d’une enquête minutieuse consacrée à Noor Inayat Khan. Sorti en juillet 2020, son livre est déjà ré-édité en version poche (mais en anglais…).

Suresnes mag : –En quoi vos visites à Suresnes ont-elles enrichi votre travail ?

Cela a été essentiel : ces voyages m’ont permis d’appréhender physiquement et de restituer le cadre où elle avait vécu avant-guerre et où elle était en mission durant l’Occupation. J’ai reçu un accueil merveilleux de l’équipe du MUS qui m’a donné des perspectives très utiles sur le Suresnes de l’époque, et notamment sur ce qui s’y passait en 1940 quand, avec son frère, elle décide de partir à Londres alors que la ville va être envahie par les Allemands. L’aide de la Société d’histoire a aussi été précieuse notamment en me donnant la liste des adresses réquisitionnées dans Suresnes par les occupants.

S. M. : Comment est-elle perçue aux Etats-Unis ?

A l’exception de certains soufis personne n’en avait entendu parler. Les retours des lecteurs sont fantastiques : on découvre les immenses qualités de cette femme unique qui associait une profonde modestie, une culture raffinée et un immense courage. J’espère avoir contribué à sa reconnaissance mondiale. Elle mérite aussi d’être mieux connue en France : c’est le pays où elle a grandi, dont elle a embrassé l’éducation et la culture et dont elle a défendu la liberté.

S. M. : Aujourd’hui que vous reste-t-il de Noor ?

C’est une personnalité extraordinairement inspirante. Il est difficile de se représenter à quel point sa vie a été dévouée, déterminée et courageuse. Mais je crois que ce qui la distingue c’est son élévation spirituelle. La profondeur de sa spiritualité explique son engagement qui n’était pas de nature politique ou nationaliste : le sens de sa vie c’était de se dévouer pour les autres. Un principe de « chevalerie soufie » transmis par son père. C’est ce qui l’a amenée à se battre pour leur liberté.

« Code name Madeleine : a sufi spy in nazi-occupied Paris » Norton & Co.

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