Le 12 septembre 1944, juste avant d’être exécutée d’une balle dans la nuque à Dachau, elle a crié un dernier mot qui disait l’essence de sa vie et l’objet de son combat : « Liberté ! ». Longtemps restée dans l’ombre, hormis à Suresnes, la destinée aussi exemplaire qu’héroïque de Noor Inayat Khan suscite depuis plusieurs années un intérêt croissant (lire ci-dessous).
Princesse indienne et musulmane, résistante française, agent secret britannique, elle a eu, avant de tomber en héroïne à 30 ans, une vie d’une fulgurante intensité. Née à Moscou, fille de Hazrat Inayat Khan (1882-1927), un musicien des Maharadjas qui a introduit le soufisme en Occident (lire ci-contre), Noor a été élevée à Suresnes où, à côté de la demeure familiale, son père a posé la première pierre d’un temple qu’il veut dédier à toutes les religions.
Scolarisée à l’École primaire supérieure de jeunes filles de Suresnes, bachelière à 17 ans, quand éclate la guerre c’est une jeune fille romantique et lettrée, férue de poésie, harpiste de talent dans une famille où la musique est une autre religion. Une femme émancipée aussi par l’excellence de l’éducation familiale et celle de l’école républicaine, qui a étudié la psychologie enfantine à la Sorbonne, et a publié des contes pour enfants, qu’on peut entendre sur Radio Paris ou lire dans Le Figaro du dimanche.
Défendre la lumière contre l’obscurité
Rien ne destinait cette femme élégante et raffinée, toute de grâce et de bienveillance, qui a été élevée dans le culte de la non-violence, à devenir agent des services secrets britanniques, envoyée comme opératrice radio clandestine dans la France occupée. Rien, sinon une passion ardente pour la liberté, l’impérieuse conviction de défendre la lumière contre l’obscurité, et une volonté de fer de rendre à son pays d’adoption ce qu’il lui avait donné.
Enfant sensible, rêveuse et altruiste, Noor a bénéficié de l’enseignement musical et spirituel de son père. « Noor et son frère Vilayat avaient reçu une éducation intellectuelle de haut niveau qui alliait les cultures de l’Orient et de l’Occident, explique Annie Lacuisse-Chabot, secrétaire de « L’Universel Mémorial Noor ». Quoiqu’élevés dans le principe de non-violence enseigné par leur père, quand la guerre a éclaté, ils ont fait ensemble un choix moral : elle estimait avoir tant reçu du pays qui l’avait accueillie, qu’elle ne pouvait concevoir de ne pas s’engager pour le défendre ».
En juin 1940 ils gagnent donc tous deux la Grande-Bretagne. Noor rejoint d’abord la Royal Air Force où elle fait partie des premières femmes formées comme opératrice radio. En 1943, elle est intégrée au Special Operation Executive (SOE), service secret créé par Churchill pour soutenir les mouvements de résistance dans l’Europe occupée.
Une princesse élégante et raffinée, d’une gentillesse quasi instinctive et rétive au mensonge : son profil est pourtant éloigné du portrait type de l’agent d’un service de sabotage et de renseignement. « Une fois vue, jamais oubliée » note un instructeur, sceptique.
« Elle estimait avoir tant reçu du pays qui l’avait accueillie, qu’elle ne pouvait concevoir de ne pas s’engager pour le défendre »
Mais outre son atout linguistique, Noor est dure au mal, méthodique, d’une infinie patience et d’un courage serein. Ces qualités lui valent finalement d’être envoyée en France sous le pseudonyme de Madeleine dans la nuit du 16 au 17 juin 1943.
Dès le 20, elle adresse ses premiers messages à Londres à partir de l’École nationale supérieure d’agriculture de Grignon. Mais si le réseau Prosper, qu’elle a rejoint, s’est distingué par l’efficacité de ses opérations de sabotage, il a déjà été infiltré, et est progressivement démantelé par l’occupant. Le 1er juillet, Noor échappe à l’arrestation et parvient à s’échapper après avoir blessé deux Allemands avec son arme.
« Dans cette mission extrêmement exposée et vulnérable elle est restée trois mois quand les opérateurs radio restaient six semaines au plus », relève Annie Lacuisse-Chabot. Noor refuse en effet une proposition de rapatriement, car elle reste la seule opératrice encore en liberté et elle manque volontairement le
Lysander qui devait la ramener à Londres.
Pour continuer sa mission, elle va de planque en planque, échappant aux souricières. Le 30 août 1943, c’est elle qui annonce à Londres, l’élection de Georges Bidault à la tête du Conseil national de la Résistance, à la suite de l’arrestation de Jean Moulin.
Trahison et tentative d’évasions
Noor sera finalement victime d’une trahison. La Gestapo l’arrête le 13 octobre à Paris. Conduite avenue Foch, elle va tenter de s’échapper par les toits mais sera reprise. Elle sera interrogée durant cinq semaines et ne parlera pas.
Après une nouvelle tentative d’évasion, elle est transférée en Allemagne où elle est considérée comme détenue dangereuse et enchainée jour et nuit. Le 11 septembre1944 elle rejoint à Karlsruhe Yolande Beekman, Éliane Plewman, et Madeleine Damerment. Sur ordre de Berlin les quatre femmes sont conduites au camp de Dachau.
Au petit matin du 13 septembre, dans une cour boueuse du camp, le SS Friedrich Rupert les exécute d’une balle dans la nuque. Au fil de son martyr elle n’aura jamais parlé, ni coopéré avec l’ennemi.
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