Chiffres, témoignages et enquêtes le montrent : le sport au féminin progresse. Mais le chemin est encore long pour que l’égalité et la mixité soient au rendez-vous. À Suresnes, certains clubs comptent des sections féminines, d’autres sont même dirigés par des femmes.
Le sport a toujours été une affaire d’hommes ». Dès la première phrase de leur livre consacré aux pionnières, premières championnes de l’histoire du sport (*), le constat de Lorraine Kaltenbach et Clémentine Portier-Kaltenbach est cinglant : « Avant la fin du XIXe siècle, dans la plupart des pays occidentaux, toute femme qui se risque à pratiquer un sport est en effet considérée comme une bizarrerie et une exception dérangeante. » Plus d’un siècle plus tard, si l’on se penche sur les chiffres de la pratique sportive féminine à Suresnes, les progrès sont flagrants. D’ailleurs, depuis 2009, la Ville est engagée dans une politique ambitieuse de promotion de l’égalité entre les femmes et les hommes, dans tous les domaines de la vie locale. Elle se traduit par un plan d’une soixantaine d’actions dont certaines touchent bien sûr au sport. L’an passé, elle a par exemple organisé une journée du sport féminin le 24 mars ou l’opération Festidanse qui a fait découvrir la danse aux garçons de l’école des Raguidelles, le 12 juin.
En 2015, on comptait ainsi 39% de femmes parmi les licenciés à Suresnes, quand 18 présidents des 57 clubs sportifs (31%) étaient des femmes. Si rien n’est parfait, si la parité demeure un objectif, certains bastions masculins pour ne pas dire machos, sont au fil du temps battus en brèche. L’équipe féminine du club de rugby commence ainsi à se faire un nom. Lancée il y a quatre ans elle a déjà fait l’objet de plusieurs articles de presse et les femmes représentent dorénavant 7% de l’effectif du RCS. Deux clubs décrochent la palme de la parité : Suresnes Sports Imeps (49% de femmes) et les White Harriers (athlétisme, 52% de femmes).
À l’inverse, certaines associations de la ville sont largement composées de femmes. Il s’agit notamment des clubs de gymnastique (72% chez les Touristes, 95% à la gymnastique volontaire ou 87% pour la gymnastique d’entretien) mais aussi du club d’équitation. Les clichés ont la vie dure. D’autant que certaines disciplines restent très largement masculines. Citons le monde du vélo avec par exemple les cyclotouristes du Team Le Grevès (98%), ou Suresn’Air (98%), la Société de tir de l’espérance (87%) ou encore l’association de tennis de table (84%). Le domaine des sports de combats suresnois, malgré quelques présidentes et 38% de pratiquantes au sein du club de boxe française et du Taekwondo Do-Jang suresnois demeure très masculin également. Les portes de ces clubs étant bien sûr ouvertes à toutes et à tous.
À Suresnes, un des sports les plus populaires en France, le football, « fait des efforts mais peut encore mieux faire ». L’équipe des U13 féminine est championne des Hautsde-Seine et si le club a obtenu le label « école féminine de football niveau argent pour 3 ans », on recense en effet 81 filles de 6 à 19 ans. Il n’atteint toutefois pas encore 10% de féminines. Quant à la Ville, elle investit, notamment avec la récente constructions de vestiaires au stade Jean Moulin. Et son adjoint aux Sports, Loïc Degny,
regarde toujours, avec la plus grande attention, la place des femmes dans les clubs Suresnois.
(*) Championnes, elles ont conquis l’or, l’argent, le bronze, de Lorraine Kaltenbach et Clémentine Portier-Kaltenbach (éditions Arthaud poche)
Gants de velours « Lorsque mon compagnon Charly a ouvert sa salle de boxe, il était logique que je prenne les rênes du club suresnois de boxe française ». Hélène Boulanger en est à la tête depuis une quinzaine d’années, « par amour de ce sport ». Un amour qui a germé quand, adolescente, elle accompagnait son père assister régulièrement à des combats de boxe, n’hésitant pas à faire le trajet entre Valenciennes, où ils habitaient, et les gymnases parisiens, Coubertin en tête. « Plus tard, j’ai adhéré aux valeurs de respect, d’entraide et de tolérance de la discipline où l’on rencontre des gens très différents, de tous les milieux, complète celle qui pratique encore occasionnellement. C’est un sport complet et convivial qui apporte beaucoup de bien être, physique et moral », assure Hélène. Un sport où l’adversaire est davantage un partenaire, que l’on doit toucher lors des assauts et certainement pas mettre KO. « Je rassure souvent des mamans qui viennent me voir au forum des associations : chez nous, il n’y a pas de risque de rentrer avec un cocard ». On est donc loin de l’image des bagarreurs de la boxe. « Le plaisir est essentiel et le nombre de femmes dans le club augmente chaque année ».
Un dernier souvenir, télévisuel cette fois : « Mon père était également fan de la série Les Brigades du Tigre qui conte les débuts de la police « moderne » sous Clemenceau. Les héros s’y entraînaient à la boxe française et il disséquait leurs mouvements. On aurait dit des danseuses », sourit Hélène.
Ovalie : nom féminin
Sa petite pointe d’accent américain ne trompe pas. Kristine Lipinski, capitaine de l’équipe féminine du Rugby club suresnois et née aux États-Unis où c’est à l’université qu’elle a découvert la discipline. Elle avait 18 ans et n’a jamais abandonné ce rugby à la masculinité affirmée. « Pourtant nous faisons le même sport ! Il y a le même engagement, la même implication, les mêmes actions, c’est juste le gabarit qui change. D’ailleurs, généralement, quand une femme commence, elle continue », sourit-elle. Arrivée en France en 2005, Suresnoise depuis douze ans, elle a joué pour Gennevilliers jusqu’en 2011 avant de rejoindre le RCS, conseillée par un collègue licencié du club suresnois. « Je me rappelle la première fois que j’ai pénétré sur le stade Jean Moulin, c’était un jeudi soir d’avril, il y avait du soleil, l’herbe était bien coupée… ». Pour la deuxième saison, le groupe peut aligner une équipe de rugby à 15 en championnat de fédérale 2. « On commence à gagner, à prendre du plaisir, assure-t-elle avant de lancer un appel aux supporters. Nous avons une soixantaine de fidèles qui nous suivent, mais que les Suresnois n’hésitent pas à venir au stade, il y a des choses intéressantes à voir et les matches dégagent la même tension que chez les hommes. »
« Des babyfoots mixtes pour la Coupe du monde »
Nicole Abar, ancienne internationale de football, milite depuis de nombreuses années pour l’égalité des filles et des garçons dans le sport. Elle a notamment été missionnée par le ministère de l’Éducation nationale et celui du Droit des femmes en 2013 pour la mise en oeuvre des ABCD de l’égalité et a fondé l’association Liberté aux joueuses en 1997.
Suresnes mag : Où en est-on de la place de la femme dans le sport ?
Nicole Abar : Le sport est à l’image de la société, les choses avancent très lentement et des inégalités demeurent. Il faut donc continuer de mettre en place des actions d’envergure, dotées des moyens nécessaires. Récemment un jeune joueur de tennis justifiait la différence des dotations entre les garçons et les filles à Roland-Garros par le fait que les tennismen jouaient en cinq sets contre trois pour les femmes. Côté dirigeants si l’on compte de plus en plus de femmes, on est aussi encore loin de la parité. Trop souvent on doit imposer leur présence par la loi.
S.M. : Certains sports sont dits pour les hommes, d’autres pour les femmes, qu’en pensez-vous ? N. A. : Historiquement des sports sont essentiellement masculins, comme le football ou le rugby, d’autres entièrement féminins, comme la natation synchronisée. Je suis attachée aux vertus du sport qui construit l’être humain, au même titre que lire ou savoir compter, qui le rend heureux, donc qui s’adresse aux hommes comme aux femmes, à tous donc. Chacun doit pouvoir choisir le sport qu’il veut. Ensuite que le résultat soit beau ou pas, c’est un jugement, c’est autre chose. Il faut arrêter de comparer et offrir la liberté d’être soi. Pourquoi donc des garçons ne pourraient-ils pas faire de la natation synchronisée? Pourquoi ne pas voir ce que peut apporter ce qui est différent ? En cuisine on trouve génial de « revisiter » des plats traditionnels pour en faire quelque chose de nouveau. Ce devrait être pareil pour le sport. S.M. : Cette année, la France va accueillir la Coupe du monde de football féminin, comment abordez-vous l’événement ?
N. A. : Je vais avoir 60 ans, j’étais une pionnière dans le football en participant au premier championnat de France puis au premier championnat d’Europe avec l’équipe de France. Je me réjouis de ce qui se passe actuellement dans mon sport. D’ailleurs avec mon association, avant la Coupe du monde, nous allons faire fabriquer des figurines de joueuses pour faire construire des babyfoots mixtes qui seront graffés par des artistes (une campagne de crowdfunding a été lancée pour financer le projet sur kisskissbankbank.com). Nous ferons le tour de France pour que chacun sache que cette compétition se déroulera sur notre territoire du 7 juin au 7 juillet et que le grand public soit présent au stade ou devant les écrans et puisse jouer au babyfoot mixte. Ils seront ensuite vendus aux enchères et les recettes seront reversées à des associations caritatives.
“Notre sport est un peu macho, c’est vrai,
mais nous sommes tout de même une trentaine
de femmes sur 112 membres,
ce qui n’est pas mal par rapport aux
autres clubs. Nous participons également
à des concours mixtes.”