Le petit théâtre du prétoire

juillet 2020

Fin janvier, une classe de 4e du collège Emile Zola reconstituait au tribunal de Nanterre un procès bien réel qui s’était déroulé quelques mois auparavant. Un projet autour de la justice mais aussi de l’éloquence, porté par la Ville et l’Association pour la promotion de la citoyenneté des jeunes et des familles.
Texte : Stéphane Legras. Photos : Benoît Moyen


« Elliot, expliquez-nous cette histoire de vol de scooter. »
Le procès vient à peine de débuter que la tension est déjà palpable dans la salle du tribunal de grande instance de Nanterre. Elliot reconnaît les faits, les détaille puis promet de changer son comportement. A ses côtés, ses avocats jouent leur rôle, enchaînent les effets de manche. L’un deux les mains posées sur sa table, massif et sûr de lui, fait penser au célèbre avocat Eric Dupond-Moretti(NB : le texte a été écrit avant la nomination de ce dernier comme Garde des sceaux). Mais, ce 31 janvier, il a 14 ans et sa classe de 4e du collège Emile Zola reconstitue un procès. « Nous y travaillons depuis novembre. C’est un projet qui nous a été proposé par le service Vie citoyenne et accès au droit de la ville de Suresnes et l’Association pour la promotion de la citoyenneté des jeunes et des familles », rappelle Clara Sebbah, professeure de français de la classe. Elle a mené le projet avec son collègue d’histoire-géographie Nicolas de Jesus.
Lors d’une première intervention à l’automne, l’association avait présenté le système judiciaire aux élèves. En parallèle, les enseignants ont choisi l’affaire sur laquelle ils allaient travailler (lire encadré). « Nous avons par exemple écarté un procès pour viol, estimant que nos élèves étaient trop jeunes », illustre Clara Sebbah. Il s’agit de faits réels, la classe a donc pu travailler sur les procès verbaux d’auditions de l’enquête de police. Après avoir partagé les rôles entre les 26 élèves, l’association est intervenue une deuxième fois dans la classe trois semaines avant le jour J, avant qu’elle ne se lance dans une sorte de filage, le 30 janvier. « J’ai même fait venir une avocate de ma famille pour relire leurs plaidoiries. Mais à la base, ce sont les élèves qui les ont écrites », poursuit-elle.

Profil psychologique
Seule la présidente du tribunal n’est pas jouée par un des jeunes suresnois mais par la représentante de l’association. Et elle tient son rôle avec la fermeté que requièrent la fonction et la situation. « Une telle violence pour seulement 500 euros, je ne comprends pas », lance-t-elle aux accusés. Comme dans un vrai procès, chaque témoin, chaque acteur, vient présenter à la barre sa version des faits. Une version triturée, contrebalancée, pondérée par le procureur, les avocats ou les experts, comme le médecin, qui vient lister les blessures de la victime, ou les psychologues, qui analysent les profils, caractères et comportements de chaque protagoniste. Untel a de mauvaises fréquentations, l’autre est très renfermé et a le sentiment d’être mal aimé… Chacun rentre véritablement dans ce qui fait la chair de la justice et reste souvent dans l’ombre. D’ailleurs comme l’énonce le nom de l’association, cette expérience de prévention doit participer à la formation de citoyens. « Beaucoup de personnes, même adultes, ignorent quels sont leurs droits, quant au langage juridique il est parfois abscons », déplore la professeure.

Pédagogie de projets
Hasard : ce travail sur le jeu et les procès, Clara Sebbah y a recours depuis des années. « Quand nous étudions Les Misérables de Victor Hugo, nous rejouons un procès, en étudiant les valeurs qui président aux choix des personnages », confirme-t-elle. Et quand sont intervenues les plaidoiries à la fin de la reconstitution de Nanterre, l’on percevait une aisance certaine chez certains des avocats. Clara Sebbah est d’ailleurs très attachée à l’éloquence. « J’anime des ateliers sur ce thème et les élèves participent au concours d’éloquence de la ville Suresnes », explique celle qui se dit « maladivement timide », et qui a dû se faire violence au début de sa carrière. A présent, l’enseignante cherche aussi à transmettre à ses élèves la force et les moyens « d’occuper la place qu’ils devraient avoir. C’est très beau de voir un élève devenir ce qu’il était en potentiel », assure-t-elle joliment. La prise de parole est donc cruciale pour leur avenir. « L’idée est de les armer de mots, de réduire l’écart entre eux et les œuvres, et le procès fonctionne car c’est intemporel et il véhicule des valeurs. » Clara est donc bien une adepte de la pédagogie de projet : « il n’y a pas que la note ». Il y a aussi la poésie. Parmi ses nombreux projets son écriture et notamment celle des haïkus, les poèmes courts japonais, tient une bonne place. Et de revenir au procès reconstitué en évoquant avec délicatesse un des élèves qui incarnait un personnage influencé par un entourage néfaste. « Cela avait une résonnance avec sa propre vie. J’ai envie de le ramener vers la lumière, c’est un gentil ». Ou quand enseigner ne se limite pas à enseigner et qu’un procès reconstitué va bien au-delà de la reconstitution.

 

L’affaire Oussama

Victor et Elliot, 17 et 16 ans étaient accusés de violence avec arme, en réunion, sur mineur de 15 ans, vol et provocation de ce même mineur au trafic de stupéfiants. Les faits sont ainsi présentés dans le dossier : « Madame Romany, mère d’Oussama, signale au commissariat que son fils a disparu. Depuis la veille, elle est sans nouvelles. Le lendemain, elle indique aux services de police avoir obtenu des renseignements selon lesquels son fils était retenu et obligé de faire le guetteur sur un point de « deal ». Une patrouille de police repère le jeune dont le signalement correspond, faisant visiblement le guetteur. Lors de son audition, il finit par reconnaître les deux auteurs l’ayant séquestré et obligé à vendre des stupéfiants. Les des jeunes sont renvoyés devant le tribunal pour enfants.

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