Bruno Laurandin, un pharmacien au cœur de la crise

avril 2020

Les 13 pharmacies de quartier de Suresnes constituent des maillons essentiels de la chaîne de santé. Parmi celles-ci la pharmacie des Chênes, de Bruno Laurandin qui raconte comment ces professionnels de santé se mobilisent face au Covid-19.

 

Bruno Laurandin a repris en 2009 la pharmacie de la rue des Chênes créée dans les années 60 dans le quartier Liberté. Son officine est l’une des 13 pharmacies de quartier réparties de manière presque homogène dans la ville. Comme beaucoup de professionnels de santé, le pharmacien a eu vent du début d’une épidémie de coronavirus en Chine à la fin de l’année 2019. « Nous sommes comme tout le monde. Nous nous informons dans toutes sortes de médias et nous avons alors entendu ce médecin chinois qui a communiqué comme il a pu et qui est mort très vite. A partir de ce moment-là, les professionnels de santé et nous pharmaciens nous sommes interrogés », commente-t-il, précisant que, parlant en son nom, il pense aussi pouvoir parler pour ses confrères dans ce cas.

Bruno Laurandin s’inquiète alors de voir partir au même moment des clients vers la Chine pour le nouvel an chinois et les regroupements que ces festivités allaient occasionner là-bas. « Certains venaient me demander des masques avant de partir. Je n’ai jamais eu de masques en dehors de ceux dit « de Roseliyne Bachelot », distribués massivement alors qu’elle était ministre de la santé pendant la crise de la grippe H1N1 en 2009. Je les ai toujours distribués gratuitement mais je n’en avais plus aucun, » poursuit-il.

Au cœur du dispositif de santé

Comment-les pharmaciens ont-ils vécu le début de la crise sanitaire en France ? Toutes les officines de France ont connu « un lundi de folie », le 16 mars, alors que l’annonce du confinement général dès le lendemain midi était attendue. « Les gens ont récupéré tout ce qu’ils pouvaient. Pas seulement du gel ou des masques, mais aussi des huiles essentielles, du savon, du Doliprane évidemment, que l’on prend pour faire baisser la fièvre. J’imagine que certaines personnes vont avoir du mal à écouler tout le paracétamol qu’elles ont chez elles. Ce médicament n’est pourtant pas anodin et ce n’est pas sans raison qu’il n’est pas en libre accès dans les pharmacies et que sa délivrance doit être validée par le pharmacien », explique-t-i.

Fier de son métier ( dont il déplore qu’il soit soumis à des réglementations de plus en plus contraignantes et régulièrement chargé par l’Etat de nouvelles missions) Bruno Laurandin, souligne le rôle essentiel que les officines de quartier ont à jouer dans le dispositif de santé publique.  Plus que jamais face au cœur de  cette crise sanitaire.

« Nous devons appliquer ce qu’on nous demande d’appliquer, comme par exemple la dernière mesure qui nous demande d’accueillir les femmes en difficulté, victimes de violences. Nous ne sommes pas formés à cela. On nous a sorti une double page avec des recommandations, les questions à poser, mais ce n’est pas notre métier. Nous allons le faire, parce qu’on nous a demandé de le faire et les pharmaciens le feront, bien sûr du mieux qu’ils pourront, parce qu’ils sont souvent le premier recours vers le milieu médical », rappelle Bruno Laurandin, qui doit aussi effectuer plus qu’à l’habitude des livraisons à domicile pour « ses » personnes âgées ou handicapées. « Nous assurons du mieux possible la continuité du soin en recherchant les traitements lorsqu’ils manquent. Nos liens avec les médecins et infirmières sont encore plus tenus. »

L’organisation habituelle des pharmacies de garde et les horaires d’ouverture des officines semblent répondre à la situation sanitaire actuelle, même si les pharmaciens suresnois réfléchissent ensemble à les adapter pour les prochaines semaines de confinement.

 S’il y a deux personnes qui servent on peut être à deux clients dans la pharmacie mais si l’on ne voit qu’une personne au comptoir, il ne peut y avoir qu’une personne en face. C’est très régulé. Les gens sont très sympathiques, ils comprennent. Ils prennent soin de nous parce qu’ils prennent soin d’eux 

Exposés eux aussi en première ligne, ils doivent également penser à protéger leurs équipes. « Nous sommes 4 dans notre pharmacie. J’ai commandé il y a 3 semaines des plaques de plexiglass pour les comptoirs. Elles sont bloquées au dépôt Colissimo qui a mis en œuvre son droit de retrait et je ne peux pas les avoir », déplore le pharmacien de la rue des Chênes.

Toute l’équipe est masquée, sur la dotation de l’Etat :  18 masques chirurgicaux (ils n’ont pas droit aux FFP2) par semaine par personne. Depuis le 27 mars, les pharmacies sont chargées par la Direction générale de la santé de recevoir et distribuer les masques de protection, selon des quantités spécifiques à chacun, aux médecins, biologistes médicaux, infirmières, sage- femmes et, « s’ils en font la demande » aux masseurs kinésithérapeutes. « Tout cela est régi par la CPAM à qui nous devons rendre compte du stock qui nous reste et de ce que l’on a fait semaine après semaine » précise Bruno Laurandin.

Chacun protège l’autre

Pour protéger à la fois son équipe et ses clients, le pharmacien a mis en place un fléchage au sol pour que chaque personne comprenne où elle doit se tenir et le circuit à respecter dans la pharmacie. « S’il y a deux personnes qui servent on peut être à deux clients dans la pharmacie mais si l’on ne voit qu’une personne au comptoir, il ne peut y avoir qu’une personne en face. C’est très régulé. Les gens sont très sympathiques, ils comprennent. Ils prennent soin de nous parce qu’ils prennent soin d’eux », se réjouit-il.

L’équipe ne porte pas de gants mais se nettoie les mains pratiquement à chaque patient. Les postes de travail et les comptoirs sont nettoyés toutes les demi-heures à l’alcool, tout comme le TPE, le terminal de paiement électronique, que certains rechignent encore à utiliser. Bien qu’un affichage à l’entrée mentionne « paiement uniquement par carte bancaire », le pharmacien constate que beaucoup de personnes âgées ne comprennent pas bien que l’on doive payer 2,50 euros par carte bancaire. « La majorité commence néanmoins à admettre que, pour nous comme pour eux, il vaut mieux ne pas manipuler de la monnaie », commente Bruno Laurandin, qui recommande d’utiliser au maximum du savon chez soi pour se laver les mains et de ne réserver le gel hydroalcoolique qu’aux déplacements.

Contrairement aux apparences, la fréquentation des pharmacies n’a pas connu un bond spectaculaire, bien au contraire. « Entre le 11 et le 16 mars, il y a bien eu une véritable augmentation de la fréquentation. Les gens ont eu exactement le même réflexe que pour l’alimentaire. Quand ils ont entendu « confinement » ils ont pensé qu’ils ne pourraient plus sortir du tout, qu’il fallait donc acheter du papier toilette, aller à la pharmacie et ensuite ne plus sortir. Puis ça s’est calmé », raconte Bruno Laurandin. « Notre économie pâtit du fait que les gens ne circulent plus ; nous aussi en pâtissons. Nous sommes à moins 20 ou 30 % d’activité par rapport à des journées normales. Et alors ? On veut sauver la vie ou on ne veut pas sauver la vie ? Le confinement, c’est ce qui sauve. Donc, une seule règle : ne pas sortir. Aller chercher du pain deux fois par jour parce qu’il est frais, c’est contre-productif. A la fois pour le boulanger, pour soi et pour les autres. Certaines personnes n’ont pas compris que le confinement est bon pour soi ET pour la collectivité. Nous restons positifs mais ça ne m’empêche pas d’avoir peur pour mon équipe, pour ma famille, pour mes parents, pour les gens qui sont à l’hôpital. La pharmacie d’officine aura un rôle à jouer au moment du déconfinement. Nous serons là si on nous donne les moyens, à nous qui sommes au contact des gens, d’être un relais efficace. »

PAS DE GEL, MAIS UNE SOLUTION

Pour pallier la pénurie de gel, Bruno Laurandin a… sa solution ! Il va acheter de la solution hydroalcoolique dans une pharmacie préparatoire qui en fabrique à Paris et il demande à ses clients de venir avec leur flacon vide pour leur remplir. La solution est plus liquide que le gel mais elle est plus désinfectante car elle contient plus d’alcool.

Apprenant par ses contacts réguliers avec l’hôpital Foch que le personnel de l’hôpital n’avait plus de petits flacons pour en avoir du gel en permanence sur soi, Bruno Laurandin a saisi l’opportunité de récupérer 1900 flacons périmés à la fédération française des diabétiques. « J’en ai conservé 100 pour la pharmacie, que j’ai vidés, nettoyés et rempli avec ma solution hydroalcoolique et j’ai donné 1800 flacons à l’hôpital que la pharmacie de Foch à vidé et rempli avec sa propre solution. On essaye tous de les aider comme on peut », précise Bruno Laurandin.

PLAQUENIL OU PAS ?

Evidemment, les pharmacies sont sans cesse contactées par des personnes cherchant de l’hydroxychloroquine, actuellement testée dans certains hôpitaux comme traitement potentiel du Covid-19. Or le Plaquenil est réservé au milieu hospitalier pour une utilisation « hors des indications de mise sur le marché », c’est-à-dire le lupus érythémateux et la polyarthrite rhumatoïde.

« S’il n’y a pas une ordonnance hospitalière d’un médecin qui mentionne un cas de lupus ou une polyarthrite rhumatoïde, nous ne délivrons pas, » confirme Bruno Laurandin. « Même avec une ordonnance d’un médecin de ville, nous ne délivrons pas de Plaquenil. Un pharmacien qui le ferait pourrait se retrouver en garde à vue. Nous avons obligation de fournir à la demande des pouvoirs publics la preuve que la personne à qui nous délivrons souffre bien de lupus ou de polyarthrite rhumatoïde. »

 

Partagez l'article :