Le projet pourrait paraître déraisonnable, voire un peu fou. Mais comme le rappelle Anne Morelli-Jagu, elle est «folle raisonnablement. La folie est ce qui aide à vivre». La retraitée suresnoise envisage en effet de rejoindre en septembre Lisieux, puis les plages du Débarquement en Normandie en… fauteuil roulant électrique.
Atteinte de dégénérescence osseuse massive, elle ne marche plus qu’au sein de son appartement et se déplace donc en fauteuil une fois à l’extérieur. Autre difficulté : souffrant d’insuffisance rénale, Anne doit être dialysée tous les deux jours, à l’hôpital Foch. Des montagnes de difficultés à surmonter mais pour une bonne cause : «Je souhaite faire prendre conscience des difficultés de déplacement des personnes à mobilité réduite. Ce sera également un hommage au personnel soignant au sens large, je pense aussi aux ambulanciers ou aux personnels d’entretien.»
Inspirée par Claude Lelouch
L’idée de son périple est née de sa volonté de faire le chemin de Compostelle. Une volonté que son handicap a rendue inaccessible. «Alors j’ai pensé au film de Claude Lelouch, La Belle histoire, où une jeune femme part en pèlerinage à Lisieux en fauteuil roulant», sourit Anne Morelli-Jagu. Le personnage est incarné par Béatrice Dalle, une forte tête, qui peut inspirer face à une telle aventure. «Désirant partir du cimetière américain de Suresnes puis de l’hôpital Foch, ma seconde maison, j’ai même voulu pousser jusqu’aux plages du Débarquement, à Colleville, où je déposerai des fleurs», détaille la Suresnoise.
Le but et les étapes de ce pèlerinage laïc et œcuménique étant fixés, il restait à établir la feuille de route, les modalités d’encadrement et les sources de financement. C’est ici que le Lions club de Suresnes entre en jeu (lire ci-contre). L’on pourrait en effet faire le reproche à Anne Morelli-Jagu de prendre des risques inconsidérés et l’on aurait tort. Elle sera étroitement accompagnée par des cyclistes du Lions club en vélo à assistance électrique et des membres du club de cyclotourisme de Suresnes, l’ACMV (Amicale cycliste du mont Valérien), dont un tandem avec une personne non voyante sur les premières étapes et par un véhicule de secours de la Croix-Rouge.
« Faites tout ce que vous pouvez faire dès que vous le pouvez!»
Le parcours établi par le Lions club n’empruntera que des routes vertes et des pistes cyclables par souci de sécurité. Ainsi la première étape qui mènera le mini peloton suresnois empruntera-t-il l’itinéraire de la « Seine à vélo » jusqu’à Poissy. Anne disposera de deux fauteuils et de quatre batteries, chacune présentant une autonomie d’environ 10 kilomètres. Elle alternera journées complètes d’un maximum de 40 kilomètres, pour 7 heures de fauteuil, et demi-journées avec dialyse l’après-midi. Certains tronçons se feront en véhicules.
« C’est la Ville qui m’a orientée vers le Lions, une équipe formidable qui a mis un coup de turbo au projet. J’ai quelques contacts à la ville de Suresnes puisque j’ai longtemps fait partie du Conseil consultatif de quartier et que j’ai monté par le passé une association tissant du lien social à la Cité-jardins, Cité citoyenneté (2002) », rappelle-t-elle. Quant au maire de Suresnes, Guillaume Boudy, il se dit « très fier de de soutenir cette belle et courageuse initiative ».
Curiosité sans bornes
Anne Morelli-Jagu a le sens de la formule, on l’a vu, et sa malice se double d’une grande et précieuse curiosité, par exemple pour déplacer les montagnes, fussent-elles normandes. Fan de Soutine et Modigliani, elle trépigne à l’idée de pouvoir retourner à la Fondation Louis-Vuitton pour l’art contemporain et au théâtre, sa grande passion. Mesurez et admirez: elle se rendait régulièrement au Théâtre du Rond-Point ou au théâtre de l’Atelier, avant qu’ils ne soient fermés afin de lutter contre la propagation du Covid-19.
«J’apprécie les textes contemporains mais aussi classiques, je suis par exemple une inconditionnelle de Goldoni, le Molière italien », salue Anne. Rejoindre la côte Normande en fauteuil roulant électrique n’a rien d’un miracle mais tout d’une opération sérieusement préparée et pensée. Pour éveiller les consciences sur les difficultés d’accessibilité rencontrées par les personnes handicapées. Avant d’embarquer, une dernière formule qui fait mouche : « Faites tout ce que vous pouvez faire dès que vous le pouvez!» Méditons.