30 ans de Suresnes Cités Danse

janvier 2022

  • Dossiers
  • 30 ans de Suresnes Cités Danse

En 1993, au premier temps du festival, Olivier Meyer a l’audace de parier sur un « objet dansant non identifié ». En 2022, l’ODNI fête ses 30 ans… Plus flamboyant que jamais, il va, pendant six semaines, battre la mesure d’une danse à mille temps.

Textes : Françoise Louis-Chambon et Arnaud Levy

Photos: Dan Aucante et Ville de Suresnes

D’abord des chiffres qui donnent le tournis : 9 créations, 17 spectacles, 27 représentations, 21 chorégraphes, 85 danseurs et interprètes… La trentième édition du Festival ne fait pas dans la demi-mesure. Olivier Meyer, « l’inventeur » de Suresnes cités danse a le droit d’être fier et de fêter cet anniversaire avec superbe.

En 1993, il fallait du cran et du flair pour oser culbuter les préjugés et les codes. Il a fallu du talent pour durer, pour faire grandir le Festival, repérer les meilleurs, cultiver les perles rares. Et du panache pour porter la renommée de la manifestation suresnoise partout en France et au-delà.

«Dès la première édition, j’ai posé les bases de ce qui a fait le succès du festival», résume Olivier Meyer. Postulat : s’interdire d’interdire et refuser toute étiquette. En trente ans, Suresnes cités danse a initié des rencontres jugées jusqu’alors incongrues, des dialogues improbables, des échanges inédits.

30 ans en mouvement

Les baskets des hip hopeurs ont appris à donner la réplique aux chaussons à pointes des ballerines, aux pieds nus des danseurs contemporains, aux claquettes des Américains ou au zapateo des Argentins. Le rap ou l’électro n’ont plus le monopole du son. Haendel, Vivaldi, Stravinsky, Debussy, Beethoven ou Tchaïkovski accompagnent sans broncher les voltiges des breakers. Et la scène du Théâtre de Suresnes Jean Vilar convoque avec gourmandise des couleurs venues d’ailleurs : d’Afrique, des Amériques, des Antilles, des Comores…

Le festival a réconcilié la tradition et la modernité, métissé les genres, sublimé la différence. Et enrichi le vocabulaire chorégraphique pour écrire un nouveau chapitre de l’histoire de la danse. Confié à Bouside Ait Atmane et Saïdo Lehlouh, deux chorégraphes membres du collectif FAIR-E – à la tête du centre chorégraphique national de Bretagne – le spectacle d’ouverture promet brio et créativité.

Au fil de cet anniversaire, on retrouvera ceux qui ont étrenné, nourri et marqué le festival de leur empreinte : Kader Attou, Farid Berki, Michaël Le Mer, Blanca Li ou Pierre Rigal… Et de jeunes artistes dont Suresnes cités danse a favorisé l’éclosion : Jann Gallois ou Amala Dianor.

Mais le gâteau d’anniversaire recèle aussi de belles découvertes dont on pourrait bien reparler dans 10 ans…

Retrouvez ici le cahier spécial du Suresnes Mag qui retrace 30 ans de Suresnes Cités Danse

“ Depuis 30 ans déjà, Suresnes cités danse fait la fierté de Suresnes. Le succès artistique de ce festival qui fut visionnaire et demeure innovant, n’a jamais été démenti. Grâce à lui, le nom de Suresnes a rayonné sur les scènes nationales et internationales. Il a surtout permis d’abaisser des barrières en offrant à la fois une reconnaissance à cette danse des cités et un accompagnement à l’épanouissement chorégraphique des nombreux talents qu’elle a révélés. Il a mis la culture à portée de la jeunesse et de publics peu familiers de ses institutions, notamment en essaimant auprès des scolaires de la ville et du département. C’est cette conception d’une culture diverse et ouverte à tous les publics que notre équipe municipale a à cœur de promouvoir. »

Guillaume Boudy, maire de Suresnes

4 questions à Olivier Meyer

Directeur du Théâtre de Suresnes Jean Vilar

Suresnes Mag : L’idée fondatrice du festival ?

Olivier Meyer : Un coup de cœur mais pas un concept. En 1992, quel choc émotionnel de découvrir ce spectacle du chorégraphe new-yorkais Doug Elkins, qui inventait une nouvelle forme de danse, en associant différentes techniques et une grande diversité de musiques. Dans cette proposition artistique si innovante, il y avait une sincérité, une joie de danser et un désir de partage bouleversant.

S.M. : Comment le public a-t-il accueilli cette première édition ?

O.M. : A l’époque, le hip hop se résumait à une succession de numéros acrobatiques, imaginés par des collectifs, sans chorégraphe. Une partie des institutions et des professionnels du spectacle considérait qu’il valait mieux laisser ces danseurs s’exprimer en liberté à l’extérieur dans l’espace public. Dès la première édition, grâce à la programmation de danseurs hip hop virtuoses et de nouvelles formes de danse, grâce aussi à un écho médiatique important, les représentations étaient complètes.

S.M. : 30 ans après, c’est jour de fête ?

O.M. : Oui, je suis fier d’avoir, au cours de ces 30 années, provoqué des rencontres artistiques et humaines fécondes, d’avoir fait de ce théâtre une maison si attentive, bienveillante, exigeante et hospitalière. Ce sont trois générations d’artistes issus de la scène hip hop que nous avons accompagnées, programmées fidèlement et qui ont participé au succès du festival, qui est devenu souvent un tremplin. Je suis fier aussi d’avoir participé à faire reconnaître de grands talents féminins, danseuses et chorégraphes, dans ce monde qui était au départ très masculin.

S.M. : Et demain ?

O.M. : L’avenir, c’est continuer à se montrer exigeant, à prendre des risques, à provoquer des rencontres, à produire et accompagner des artistes engagés pour leur seul talent. Et toujours explorer de nouveaux champs artistiques, ne pas s’enfermer dans la seule étiquette hip hop. Il faut avoir en ligne d’horizon ce qui a fait la force du Festival : l’énergie, la générosité, l’audace, les prises de risque artistiques, j’ajoute même la fantaisie… et l’amour de la danse.

Les temps forts du festival 2022

On attend beaucoup d’eux et l’on ne devrait pas être déçu… En 1994, Kader Attou entend la Troisième symphonie de Górecki. Puissante, émouvante, l’œuvre le bouleverse. Six ans plus tard, elle lui inspire une pièce chorégraphique empreinte de poésie et d’émotion. Pour cet anniversaire, le chorégraphe revisite cette Symfonia Piesni Zalisnych, entre drame et lumière, servie par la grâce du geste.

Symfonia, le 25 janvier

En 2009, Pierre Rigal électrisait Suresnes cités danse avec Asphalte. Une sorte de roadmovie hip hop dans un univers graphique peuplé de créatures étranges. Treize ans plus tard, comme dans les jeux vidéo, Asphalte épisode 2 leur donne une nouvelle vie. Le monde a changé, la Covid est passé par là, charriant son lot d’incertitudes, impactant les corps et leurs mouvements. Dès lors, la pièce questionne le devenir de l’humanité…

Asphalte épisode 2, les 5 et 6 février

Depuis Macadam Macadam, Blanca Li, enchante le public de Suresnes. Elle s’attaque à un conte de fée, Casse-noisette, mis en musique par un enchanteur, Tchaïkovski. Mais elle s’en empare avec insolence. Sur une orchestration détonante huit danseurs hip hop virtuoses revisitent l’histoire et promettent le meilleur.

Casse-Noisette, les 11, 12 et 13 février

C’est en redécouvrant l’œuvre de Pierre Soulages que Mickaël Le Mer imagine Les yeux fermés. Le travail du peintre autour de la couleur noire lui souffle une œuvre en clair-obscur servie par huit danseurs et danseuses en quête de lumière. Cette lumière qui finira par inonder le plateau et la salle, comme un message d’espoir et une ode à la vie.

Les yeux fermés, les 22 et 23 janvier

Depuis Fantazia en passant par Le sacre du printemps en mode hip hop ou Stravinsky remix, Farid Berki travaille sur le décloisonnement des formes et des genres. Cette fois Locking for Beethoven invite la vigueur tellurique de six danseurs et les voltiges d’une danseuse circassienne à explorer la planète musicale du maître revisitée par le son électro de Malik Berki et le piano d’Antoine Hervé.

Locking for Beethoven 3.0, le 1er février

 

One shot

Voilà une danse puissante livrée par neuf femmes à la singularité créative, nourries d’influences multiples sur un mix musical de house et d’afrobeat. Une pièce qui place le Festival sous le signe du besoin vital et du bonheur de danser. Ousmane Sy, brillant chorégraphe et fondateur de la compagnie ParadoxSal, a porté avec enthousiasme ce formidable « crew » 100% féminin. Il ne le verra pas sur scène. Il y a un an, « Baba » nous quittait brutalement. Il avait 42 ans.

Les 29 et 30 janvier

Massiwa

Les sept danseurs de Salim Mzé Hamadi Moissi, dit « Seush », invitent à un voyage polychrome au cœur des Comores. Le chorégraphe joue des singularités gestuelles et culturelles qui forgent l’identité de sa terre natale. Il panache avec enthousiasme les couleurs des danses traditionnelles, le wadaha, l’afro-danse gagnée par l’urbanisation et l’énergie virtuose du hip hop. Et pour brouiller davantage les pistes, il conjugue les rythmes afro et la musique classique pour un piquant dialogue.

Le 1er février

Portrait

Salim Mzé Hamadi Moissi, de succès en succès

Il vit avec la danse depuis qu’il sait marcher, la danse traditionnelle de son pays, les Comores. Quand il a découvert le hip hop, c’est devenu vital. Salim a une passion et l’âme voyageuse.

A 18 ans, il part à Dakar faire ses études. Il y croise de « grands chorégraphes », dont Anthony Egea qui « aime [sa] gestuelle » et l’engage pour Rage. Un succès qui part en tournée et parcourt l’Europe. « Quand je suis rentré chez moi j’étais décidé, se souvient-il, je voulais créer ma compagnie ». Il le fait, il l’appelle Tché-Za et, dans la foulée, conçoit Soyons fous, sa première pièce. Il rêve aussi de venir en France « parce que c’est là que vivent Kader (Attou) et Mourad (Merzouki) », et pense que, fort de sa culture métissée, il peut « apporter [son] propre style ».

Mais en France on ne le connaît pas. Une chance : Salim a beaucoup d’amis et le meilleur de tous, c’est François Lamargot. L’enfant chéri de Suresnes envoie une captation de Soyons fous au Théâtre. Salim n’y croit pas : trop grand pour lui. Mais Olivier Meyer dit « oui » et le programme en 2019. « Les gens ont accroché, je ne m’attendais pas à ça, je me suis mis à y croire. » Olivier Meyer aussi.

L’année suivante : nouvelle commande. Salim a un mois pour créer Massiwa, mais tous les moyens nécessaires. « C’était comme apprendre à courir pieds nus et que, tout d’un coup, on vous donne des baskets. » Sa prochaine pièce ? « Ça bouillonne, lance-t-il dans un grand éclat de rire. Aux Comores, les danseuses n’existent pas. Alors, on a créé une école de danse professionnelle pour elles. Je veux mettre en scène les femmes de mon pays à Suresnes. » Comment lui dire non ?

Chorégraphe

Amala Dianor

Suresnes et moi

« J’ai débuté ma carrière à Suresnes comme danseur hip hop dans Play Back de Régis Obadia, Quand j’ai su que dans ce théâtre des danseurs de hip hop rencontraient des chorégraphes contemporains, je me suis dit : « Génial, j’ai enfin ma place quelque part ! » Dès lors, Olivier Meyer m’a poussé à devenir chorégraphe et m’a commandé Nona… Grâce à Suresnes, beaucoup de directeurs de théâtre m’ont repéré en tant que danseur et chorégraphe. Je ne sais pas si les gens s’en rendent compte, mais ce lieu est un formidable laboratoire ! »

Siguifin

« J’ai invité trois chorégraphes du Sénégal, du Mali et du Burkina Faso à cocréer une pièce pour les neuf jeunes danseurs africains qu’ils ont sélectionnés. À partir de ce travail de création pluriel, je tisse le fil rouge qui relie les trois propositions pour sculpter cet être magique que l’on nomme « Siguifin » en bambara ».

Partagez l'article :