Retour sur le futur au Théâtre de Suresnes Jean Vilar

juin 2020

Le 10 juin, Olivier Meyer, directeur du Théâtre de Suresnes Jean Vilar, a dévoilé sa prochaine
saison. Une programmation éclectique, cohérente et parfois impertinente qui intervient après
la fermeture brutale de mars pour cause de crise sanitaire. Interview et coups de cœur

Olivier Meyer, directeur du Théâtre de Suresnes Jean Vilar

« Le mélange d’une programmation rêvée et de spectacles reportés »

Suresnes magazine : Comment va le Théâtre ?

Il n’y a depuis des semaines ni artiste sur le plateau, ni public dans la salle. Un de mes rôles est de faire en sorte que leur rencontre puisse à nouveau intervenir. Et j’ai fait le pari qu’en octobre,
les choses se seront arrangées. Car tout finit par s’arranger, même mal… L’évolution de la situation laisse espérer un retour à la normale et que le virus nous laisse tranquilles. D’autant que les théâtres étant autorisés à rouvrir en cette fin de mois de juin, nous disposons de trois mois supplémentaires nous permettant, encore une fois, de fonctionner normalement, sans ménager d’espaces de plusieurs mètres entre chaque spectateur. Ce qui serait totalement en contradiction avec l’esprit du théâtre, qui est le lieu de la réunion, de l’énergie partagée. C’est donc un pari que j’ai fait, celui d’un fonctionnement acceptable dès octobre.
S. M. : La saison commence par le spectacle J’ai des doutes de François Morel, suivi par Plaidoyer pour une civilisation nouvelle et Notre jeunesse. Vu la crise sanitaire que nous venons de traverser, ce ne peut être un hasard…

O. M. : J’aimais l’effet des titres, en commençant même par Capitaine Fracasse. Mais pour des raisons de calendrier, cela n’a pas été possible. C’est une conjonction de possibilité et de désir. François Morel devait jouer en avril Tous les marins sont des chanteurs, qu’il n’a même pas pu répéter, donc nous avons dû l’annuler. Mais j’ai réussi à glisser son spectacle J’ai des doutes en ouverture de saison, avec deux autres propositions aux titres évocateurs.
Selon moi, même si l’on a forcément des doutes, il faut changer les choses, d’où Plaidoyer pour une civilisation nouvelle, basé sur des textes de la philosophe Simone Weil puis Notre jeunesse, d’après Charles Péguy, tous deux mis en scène par Jean-Baptiste Sastre. On peut bien sûr y comprendre que c’est la jeunesse qui fera éclore cette nouvelle civilisation.

S. M. : Comment avez-vous construit cette nouvelle saison ?

O. M. : Déjà, je n’aurais jamais imaginé devoir annuler 26 représentations, ici à Suresnes. Et cela a été brutal. Le 13 mars, les décors, imposants et très beaux de Un instant étaient installés. Et la décision est tombée : en 48 heures nous avons dû démonter et dès le lundi 16 mars le Théâtre était fermé. Dans un premier temps il ne s’agissait que d’annuler quelques spectacles, et au final c’est toute la dernière partie de la saison qui est passée à la trappe.

J’ai réussi à reprogrammer une partie de ces spectacles dans la saison 2020-2021, que j’ai en fait ajoutés à la saison dont la programmation était déjà prête ! On se retrouve donc avec un programme important, dense et éclectique de 62 spectacles et 118 représentations. C’est le mélange d’une programmation rêvée et de spectacles reportés, ce qui en fait des rendez-vous formidables et généreux.
S. M. : Plusieurs spectacles n’auraient jamais pu être programmés sans les travaux de ces
derniers mois…

O. M. : La soirée Grands airs d’opéra, Georges Dandin, ou les Ballets russes notamment n’auraient pas pu être accueillis. Nous avons gagné 4 mètres de plateau de chaque côté, nous avons maintenant des coulisses, toute la machinerie scénique a été changée. Pour résumer : tout est mieux et plus beau. Cela nous
offre de nouvelles possibilités techniques et artistiques.
S. M. : Cette programmation semble à l’image de votre vision du théâtre et plus largement
du spectacle vivant…

 

O. M. : Oui, cette saison est pleine de belles promesses et comprendra des moments intenses, graves mais aussi légers. Un éclectisme qui n’empêche pas la cohérence, celle par exemple de la vie, de l’envie de se redresser, de se mettre debout en sortant du théâtre. Une saison également construite autour de ce qui doit être préservé : l’indépendance et la liberté. Le théâtre est un espace de liberté et c’est pour cela que j’aime ce que font les artistes pour exprimer librement la complexité du monde.

LES CHOIX ET TEMPS FORTS D’OLIVIER MEYER

✱ Classiques du répertoire… (1et 2)

« Ces textes sont restés parce qu’ils traversent le temps ». Robin Renucci présentera Britannicus et Bérénice de Jean Racine, une réflexion sur les tyrans et un drame amoureux, avec sa troupe des Tréteaux de France qui, dans la lignée de Jean Vilar, participe à la démocratisation de la culture. « Ce qui m’est cher aussi c’est la simplicité ».

Autre pièce en alexandrins, présentée dans une mise en scène de Jean Liermier, Cyrano de Bergerac, d’Edmond Rostand, où Cyrano fou amoureux de sa cousine Roxane accepte de venir en aide à Christian, aussi éloquent qu’une huître.

Pour Fracasse, mis en scène par Jean-Christophe Hembert, il s’agissait de dire l’intemporalité de ce saut dans le vide, celui d’un baron désargenté qui plaque tout pour suivre une troupe de théâtre. Dans le genre troupe, celle de Molière était célèbre et c’est sa comédie tragique mise en musique par Lully, George Dandin ou le Mari confondu, que jouera et mettra en scène Michel Fau. Ici c’est l’argent, et son inutilité dans le domaine de l’amour, qui est pointé.

« Ces pépites du théâtre français sont autant d’hommages au théâtre, au courage et à la joie qu’il suscite. La société vit par écrans interposés. Ces spectacles, comme finalement toute la programmation, viennent rappeler que le spectacle vivant est vital. Et puis, ce sont autant de textes où l’on s’aime, se déteste, où l’on vit, tout simplement… »
◗ Britanicus, le 6 novembre à 21h
◗ Bérénice, le 7 novembre à 21h et le 8 à 15h
◗ Cyrano de Bergerac, les 4 et 5 décembre à 19h30 et le 6 à 17h
◗ George Dandin ou le mari confondu, les 11 et 12 février à 21h
◗ Fracasse, les 6 et 7 mai à 21h

 

✱… et répertoire classique

« C’est un plaisir immense pour moi d’accueillir Le Messie d’Haendel que cedernier a composé pour fêter et raconter la vie de Jésus de sa naissance à sa résurrection. C’est une musique admirable, composée par un génie, traversée par la foi chrétienne et qui professe : jouer c’est être en vie ». Et être en vie c’est être joyeux, exubérant, comme la musique de Haendel qui fut critiquée par certains.

On peut ajouter que l’œuvre, pour chœur et orchestre, sera dirigée par un jeune chef prodige de 25 ans, Valentin Tournet. De son côté, l’orchestre national d’Île-de-France, proposera un programme titré Révérence autour de bouleversantes compositions de Strauss, Mahler et Rachmaninov.

« Il y est question du sujet universel de la mort, qui est notre destinée : la finitude de l’homme tout en rappelant, encore une fois, la nécessité de vivre à travers la musique. »
◗ Le Messie, le 20 décembre à 17h
◗ Révérence, le 15 novembre à 17h

 

✱ Politique et impertinence (3)

« Le spectacle ne peut être vivant que libre et indépendant. Mais les libertés sont menacées. J’espère que Tocqueville se trompait lorsqu’il disait que les Français étaient prêts à abandonner une partie de leurs libertés au nom de la sécurité. La démocratisation de la culture était chère à Jean Vilar. » Ce dernier a, et a eu, quelques descendants. L’un d’eux fut Jack Ralite.

« Figure du communisme, il s’est battu toute sa vie pour la culture. Christian Gonon, de la Comédie-Française nous fera entendre sa pensée où il est notamment question de résistance à tous les renoncements. »

Libre, Pierre Desproges l’était assurément. Fan de la première heure, c’est encore Christian Gonon qui dira une sélection de ces écrits politiquement incorrects. Une autre forme de répertoire, tout aussi essentiel.
◗ La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute, le 27 novembre à 21h
◗ La pensée, la poésie et le politique, le 29 novembre à 15h

 

✱ 5 ans après, se souvenir du Bataclan (4)

« A travers notamment la pièce chorégraphique Coup de grâce, de Michel Kelemenis, nous célébrerons le souvenir d’une jeune femme de 32 ans, comme celui de toutes les victimes de l’attentat du Bataclan, 5 ans après ».Cette jeune femme, c’est Cécile Misse, elle était chargée de production au Théâtre de Suresnes Jean Vilar.

« Cécile était un soleil qui le soir du vendredi 13 novembre est partie rejoindre son amoureux pour un concert, elle y sera assassinée, comme quatre-vingt-neuf autres spectateurs », glisse Olivier Meyer, avec une émotion palpable. « Je n’ai par ailleurs pas voulu qu’il y ait de mots, mais juste des corps en mouvement, de la danse et de la musique. »

Sur scène, les corps de sept danseurs sont saisis par l’ivresse de la transe, mus par les boucles techno d’Angelos Liaros-Copola. Mais lorsque la mort investit les lieux, terrasse leur insouciance et leur bonheur, ils se font gisants avant que, comme dans un requiem, la grâce ne surgisse des ténèbres.
◗ Coup de grâce, le 13 novembre à 21h
◗ Révérence, le 15 novembre à 17h

 

✱ Incontournable Suresnes cités danse (5)

« Cette 29e édition se fera sur une scène plus large de 8 mètres, et pour la danse cela change tout. Le festival 2021 fera la part belle aux artistes enfants de  Suresnes, qui les a accompagnés, comme danseurs, puis comme chorégraphes. Je pense à Kader Attou ou Ousmane Sy (dit « Baba ») qui est devenu co-directeur du centre chorégraphique de Rennes. Je lui ai demandé d’imaginer un spectacle spécialement pour Suresnes. Il ouvrira le festival. Pour l’anecdote, il paraît qu’à Rennes, il parle au moins une fois par semaine de Suresnes !»

Il y aura ensuite la reprise d’Un Break à Mozart 1.1, spectacle de Kader Attou où les danseurs partagent le plateau avec l’orchestre des Champs-Elysées. « Je me souviens des premiers pas de danseur de Kader, ici, en 1994, il était inconnu… On retrouvera également Amala Dianor qui a fait sa première chorégraphie… à Suresnes. Pour finir par le spectacle de Farid Berki qui mêle danse hip hop et Beethoven. Et un dernier nom pour le plaisir : Jann Gallois, une enfant de Suresnes que Chaillot nous a piquée ».
◗ Suresnes cités danse, du 8 janvier au 31 janvier

 

✱ Joie et légèreté

Qu’on se le dise, l’opérette n’est pas un art mineur ! La preuve avec le programme Offenbach & Co, proposé par l’académie de l’opéra de Paris et l’orchestre atelier Ostinato, sous la direction de Jean-Luc Tingaud. On retrouvera donc des extraits de La Périchole, de La Belle Hélène ou de La Vie parisienne, composés par le génie Jacques Offenbach qui inventa l’opérette, petit opéra-comique qui se teinte de comédie et de fraîcheur. La soirée comprendra également des extraits d’œuvres de deux héritiers du maître du divertissement : Reynaldo Hahn et André Messager.

Le même orchestre, mais cette fois dirigé par Patrice Holiner, offrira également un florilège des Grands airs d’opéra. Sur scène, 200 musiciens, choristes et solistes donneront à entendre les airs et les tubes du répertoire. Le programme sera scindé en quatre actes : Le bel canto, Fêtes et drames romantiques, La force de Verdi et La jeune école. Outre des œuvres de Verdi, donc, ils interpréteront des pièces de Rossini, Donizetti, Bellini, Puccini, Cilea et Mascagni.
◗ Offenbach & Co, le 13 décembre à 17h
◗ Grands airs d’opéra, le 9 mai à 17h

 

✱ Seules en scène

Le titre de ce premier festival ne peut être plus explicite. Neuf femmes issues d’univers différents, spirituelles et drôles, rendent hommage à des œuvres qui ont marqué leur vie et portent un regard lucide sur les absurdités de notre époque.

« L’équipe du Théâtre de Suresnes est très largement féminine. L’idée était aussi de faire vivre le talent au féminin. Or il y avait beaucoup de propositions de spectacles de comédiennes. Je souhaitais donner toute sa place à l’énergie spirituelle et sensible du royaume des femmes. En matière de sentiments, les femmes ont un temps d’avance sur les hommes. C’est aussi cette dimension religieuse, reliée au mystère, puisque c’est la femme qui donne la vie. C’est elle qui est confrontée à cette immense possibilité doublée d’un aussi immense risque. »

Ce festival commencera et se terminera par deux poètes, Alfred de Musset et Fernando Pessoa. On y retrouvera également des textes de Marguerite Duras, d’Alexandra Cismondi ou de Robert Antelme.

Par ailleurs, le mois de mars, dont le 8 est consacré à la défense des droits des femmes, débutera par un concert dirigé par la violoniste Angèle Dubeau, star au Canada, qui proposera, avec son orchestre féminin La Pietà, un programme de musique plus contemporaine, allant de Philip Glass à Richter en passant par Yann Tiersen.
◗ Seules en scène, du 4 au 25 mars

 

✱ Diversité de la danse (6)

Il n’y a pas que le hip hop dans la vie. La scène du Théâtre Jean Vilar accueillera donc une institution : le ballet de l’opéra de Lyon. Cette prestigieuse compagnie pourra, elle aussi, profiter du nouveau plateau pour sa production ambitieuse au croisement de la technique classique et de l’écriture contemporaine avec trois grands chorégraphes : Nacho Duato, Mats Ek et Johan Inger.

Les Ballets russes quant à eux, et sous la houlette de Dominique Brun, reprendront le riche répertoire où l’on croise des noms prestigieux à commencer par Nijinski dont Le Sacre du printemps fut à sa création en 1913 aussi célébré et applaudi que critiqué. N’oublions pas IT dansa, « d’incroyables et fougueux jeunes danseurs venus de Barcelone », ou encore Magma, la commande de la biennale de Cannes produite par le Théâtre de Suresnes qui fait se rencontrer l’étoile Marie-Agnès Gillot et la star du flamenco Andrés Marín, sous la houlette de Christian Rizzo avec deux musiciens sur le plateau.
◗ Magma, le 15 octobre à 21h
◗ It Dansa, le 14 mars à 15h
◗ Ballets russes, le 9 avril à 21h et le 11 à 17h
◗ Ballet de Lyon le 30 mai à 15h

 

✱ Musiques plurielles (7)

« Je tiens tout particulièrement à trois rendez-vous musicaux. Tout d’abord la chanteuse citoyenne Souad Massi qui s’inspire avec talent du folk américain et de la musique traditionnelle algéroise. Son dernier album, sorti en 2019 est écrit pour les femmes de tous horizons. » Olivier Meyer retient aussi la soirée jazz manouche.

On peut parler de rendez-vous au sommet puisqu’il fera se rencontrer un des plus grands accordéonistes, Richard Galliano qui sera accompagné d’un des héritiers de Django Reinhardt, Stochelo Rosenberg. « La dernière est la soirée qui fera revivre le Buenos Aires du temps d’Astor Piazzolla. Le bandonéoniste de l’excellence musicale argentine en Europe, Juanjo Mosalini, célèbrera là le centenaire de la naissance du grand compositeur de tango. »

◗ Souad Massi, le 9 octobre à 21h
◗ Manouche partie Suresnes, le 11 octobre à 17h
◗ Adios Buenos Aires, le 5 mars à 21h

 

✱ Et pour finir ?

Une madeleine de Proust ? Olivier Plaisant s’est inspiré du livre Le Monde d’hier de Stefan Zweig. Entre concert, lecture et théâtre il nous fait revivre les derniers instants d’une Europe des empires sur le point de disparaître. « Comme une invitation à se souvenir du passé, pour vivre le présent et imaginer l’avenir. »
◗ Le Voyageur, le 29 mai à 21h et le 30 à 17h

 

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