Olivier Meyer, l’amour du risque

mai 2022

Le directeur du Théâtre de Suresnes Jean Vilar, après 32 ans de service, annonce son départ et sa succession par Carolyn Occelli, secrétaire générale depuis 3 ans.

Propos recueillis par Arnaud Levy
Photos Romain de Sigalas, Didier Plowy et Tiphaine Lanvin

En 1990, Christian Dupuy l’avait nommé, parmi 37 candidats, parce qu’il n’était « recommandé par personne » mais portait « le meilleur projet ». Le Théâtre de Suresnes Jean Vilar avait alors 5000 spectateurs par an et une scène de 14,5 mètres de mur à mur.

Trente-deux années plus tard, Olivier Meyer tourne la page. Fin juin, il transmettra un flambeau de passion et d’audace à la secrétaire générale Carolyn Occelli.

Le Théâtre de Suresnes Jean Vilar accueille aujourd’hui près de 40 000 spectateurs par an, sans compter les 8 000 enfants des spectacles dédiés aux écoles primaires. Sa scène, fierté du directeur, fait 22 mètres de mur à mur et peut recevoir la Comédie française ou les 30 danseurs du Sacre du printemps.

Son public provient par cercles concentriques de la ville, du département et de la capitale. Ses productions parcourent la France. Le festival Suresnes cités danse a donné droit de cité à la danse des cités jusque sur les scènes mondiales en même temps qu’il portait haut le nom de Suresnes.

Et saison après saison, les artistes qui s’y sont succédés ont dit leur bonheur d’être accueillis et accompagnés dans une maison qui a joué le rôle d’accélérateur de carrière pour une pléiade de créateurs.

Partir c’est revivre un peu. Pour le Suresnes Mag, Olivier Meyer a rouvert le livre et posé ses souvenirs en cinq mots clés.

1 REVER

J’ai voulu faire du théâtre de Suresnes Jean Vilar un espace de liberté, d’accueil chaleureux, de rencontres, d’audace, d’exigence et d’émotions. Rêver c’était programmer des saisons ouvertes à nos rêves multiples, ouvertes à la fragilité, à l’humanité, ouvertes à plus de beauté, de dangers et de fantaisie, repérer des talents d’artistes dans tous les domaines du spectacle vivant, et tisser des liens de confiance et de fidélité avec le public, tous les publics.

2 AGIR

Agir librement et en responsabilité : cela a été depuis l’enfance mon vœu le plus cher. J’ai pu l’exaucer comme directeur de théâtre à Suresnes et pendant toute ma vie professionnelle de producteur. Exercer librement la responsabilité de programmation et de gestion, pour que le théâtre reste toujours un espace d’expression libre, nécessite de répondre à des contrôles a posteriori de la collectivité, une fois obtenue sa confiance et son soutien.

A Suresnes, cela est le cas. Je suis reconnaissant à Christian Dupuy qui m’a nommé et soutenu si longtemps, au regretté Jean-Pierre Respaut, adjoint à la culture depuis 2008, qui a défendu notre ambition artistique, ainsi qu’à Guillaume Boudy, maire de Suresnes et spectateur régulier et enthousiaste qui connaît très bien le secteur culturel, d’avoir renouvelé le soutien si essentiel et nécessaire de la ville de Suresnes.

3 AIMER

J’ai tant aimé accompagner le talent, le courage, l’énergie des artistes, qui travaillent avec acharnement pour perfectionner leur technique, loin de toutes les influences et des modes passagères, ceux qui n’ont pas abandonné leurs rêves même naïfs, de nous rendre plus vivant, plus conscient, ceux qui à travers les œuvres nous cognent à la réalité.

J’ai aimé accueillir ce public qui s’est développé en relation avec les programmations si diverses. Il forme maintenant un public nombreux, curieux, un public de spectateurs-acteurs, un public très mélangé, d’âge, de sexe, et d’origines différentes, qui aurait peut-être beaucoup réjoui Jean Vilar.

J’ai aimé, enfin, l’état d’esprit de l’équipe du théâtre, qui est pour moi comme une famille, puisque j’ai eu la chance d’engager chacun des membres de cette équipe, experte, passionnée, sensible, engagée et pleine d’énergie, chacun à sa place, mais tous ensemble, pour servir notre belle mission de service public.  

4 RISQUER

Il faut prendre le risque de la création pour faire naître grâce aux artistes de nouvelles œuvres, avec la conviction que toutes formes d’art se moquent des catégories et des étiquettes et qu’il est nécessaire de « soulever la réalité » selon les mots de René Char. J’ai toujours cherché à imaginer de nouvelles productions, provoquer des rencontres artistiques, accompagner fidèlement les artistes qui ont du talent, leur faire confiance, et être à leur côté, présent, complice et bienveillant. Avoir pu repérer leur talent, avant même qu’ils ne soient reconnus, faire en sorte que le théâtre devienne un véritable tremplin, une étape décisive pour eux, dans leur carrière, reste la fierté et la raison d’être du directeur de théâtre que je suis. Suresnes cités danse, est aujourd’hui un festival reconnu qui assure au Théâtre et à Suresnes un grand rayonnement médiatique en France et à l’étranger.

Lors de sa création, il y a 30 ans, c’était une idée vraiment nouvelle de consacrer un festival à ces danseurs de Hip Hop, dont le talent s’exprimait dans la rue, mais il émanait d’eux un tel plaisir, une telle sincérité, un tel désir de partage et de reconnaissance : dès le début du festival, le public a été conquis.

5 TRANSMETTRE

Ces 32 années sont passées très vite. J’aime profondément ce métier de passion et d’engagement et je n’ai jamais autant maîtrisé cette responsabilité. Mais le moment est venu de transmettre. Après toutes ces années d’engagement, de travail, de contacts, de joies, de difficultés, de réussites ; après une saison consacrée aux travaux et deux saisons marquées par le confinement, le théâtre est de nouveau bien vivant et rayonnant.

Malgré un contexte extérieur difficile il bénéficie de possibilités d’accueil artistique et technique améliorées et modernisées, notamment après l’élargissement de la scène de la grande salle. Il peut compter sur la qualité de sa relation avec la Ville, sur le soutien du Département, de la Région et de l’Etat, et sur la fidélité d’un public confiant dans la qualité de sa programmation diverse et attractive. Et il s’appuie sur une équipe remarquable à tous les postes.

Dans cette équipe, Carolyn Occelli, l’actuelle secrétaire générale qui travaille au théâtre depuis 3 ans, a démontré des formidables qualités professionnelles et humaines, dans une période particulièrement difficile. Elle connaît et aime toutes les formes du spectacle vivant, et va pouvoir apporter sa sensibilité générationnelle.

J’ai donc proposé à la ville de Suresnes sa candidature pour prendre la direction du théâtre à compter du 1er juillet 2022, et je me réjouis que le conseil d’administration du Théâtre présidé par Isabelle de Crécy, adjointe au maire, l’ait nommée à cette fonction.

Sur scène, des marques de bonheur

160 productions. Plus de 3700 représentations « Il y aurait tant de spectacles à citer dans cet immense édifice du souvenir… Mais voilà quelques souvenirs parmi tant d’autres ».

1990 • Ouverture. Cent guitaristes sur le plateau. « C’était une folie et déjà la marque d’une certaine audace ».

1991 • Ah ! le grand homme : hommage à Jean Vilar commandé à Pierre Pradinas. « Six mois après c’était au Festival d’Avignon ».

1992 • La chanteuse de Gospel Marion Williams fait Chicago-Suresnes-Chicago pour 3 concerts. « Je n’oublierai jamais ce cri du cœur et de l’âme pour dire la force de la vie ».

1993 • Ouverture de Suresnes cités danse. Avec les Rock Steady Crew c’est le Bronx qui met le feu sur la scène de Jean Vilar

1997 • Le pianiste Antoine Hervé crée Mozart la nuit, avec 120 choristes. Dix ans plus tard ses Leçons de jazz feront le bonheur du public

1999 • Blanca Li avec Macadam Macadam.

2000 • Deux semaines de Shakespeare mis en scène par Laurent Laffargue. « Je vois encore la joie de ces lycéens qui faisaient la Ola après le ‘‘Songe d’une nuit d’été’’… »

2004 • Roland Petit fête ses 80 ans en présentant sur scène ses souvenirs de danse.

2015 • Laura Scozzi avec Barbe Neige et les sept petits cochons au Bois dormant : les noces du hip hop et de la danse contemporaine.

2020 • Inauguration de la nouvelle scène du Théâtre qui accueillera peu après La Comédie Française avec Les Fourberies de Scapin.

2021 • Les Yeux fermés de Mickaël Le Mer, lors des 30 ans de Suresnes cités danse.

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