Le Théâtre Jean Vilar entre hommage et souvenir

novembre 2021

Le mois de novembre débute par une chorégraphie en hommage à Cécile Misse, chargée de production du Théâtre, décédée lors de l’attentat du Bataclan en novembre 2015. La programmation célèbre la langue française à travers les vers ciselés de Jean Racine, dont deux pièces mises en scène par Robin Renucci, ou la prose acérée de Pierre Desproges.

Texte : Stephane Legras

Le 13 novembre 2015, Cécile Misse, chargée de production au Théâtre de Suresnes Jean Vilar, tombe sous les balles des terroristes du Bataclan. Le 12 novembre 2021, un hommage lui est rendu sur la scène suresnoise avec la chorégraphie Coup de Grâce, de Michel Kelemenis.

Un hommage sans mots donc, juste la beauté des corps en mouvement, où sept interprètes s’abandonnent à la musique, heureux et insouciants. Lorsque la mort investit les lieux, ils se transforment en étranges gisants et composent des tableaux vivants. Michel Kelemenis propose ici sa version de la grâce pour tenter de conjurer l’horreur. La programmation du mois de novembre est aussi une célébration de la langue française à travers, entre autres, trois pièces de Jean Racine.

Vers sublimes

Andromaque (9 et 10 novembre) est mise en scène par Anne Coutureau. Les vers sublimes de Racine y explorent l’éternel thème de l’amour. De l’amour à sens unique : Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort. Que ce soit au 17e ou au 20e siècle, la mécanique opère : plus tu m’ignores, plus je me rapproche, plus tu suscites mon désir. Cette célébration de la langue française et de celle de Racine se poursuit en toute logique avec le Centre dramatique national des Tréteaux de France, héritiers de Jean Vilar, promoteur de l’accès à la culture pour le plus grand nombre.

Deux mises en scène, signées Robin Renucci (lire l’interview ci-contre), jouent sur la diction des acteurs afin de rendre accessible la langue de Racine, pure, complexe et si belle. Les vers de Britannicus et Bérénice façonnent des destins opposés.

Britannicus et Bérénice

Dans Britannicus (20 novembre), le pouvoir, l’ivresse du pouvoir et la tyrannie déchaînent les désirs, les pulsions sexuelles et poussent le tyran au geste ultime donnant la mort.

« Britannicus est une œuvre violente où Néron est un tyran naissant, un gamin pas bien fini. Sa mère est une intrigante qui a tué son mari. Il y est question de pouvoir dominateur et castrateur dans un univers mafieux d’une grande vulgarité », résume Robin Renucci. A l’inverse, Bérénice (20 et 21 novembre) est l’histoire d’un amour empêché par le pouvoir et la différence d’origine, alors que les désirs inassouvis sont pourtant réciproques. Les deux textes, dits classiques, font forcément penser à l’actualité post Me too. « Le théâtre, c’est donner à voir le monde », rappelle d’ailleurs Robin Renucci.

La célébration de la langue française se poursuivra avec la reprise de textes de l’incontournable Pierre Desproges, une des plumes les plus acides, drôles, riches et flamboyantes des humoristes français du 20e siècle.

Le théâtre a été frappé de plein fouet par le drame du 13 novembre 2015. Cécile Misse, notre chargée de production, est morte assassinée ainsi que son amoureux ce soir-là. Elle avait 32 ans, faisait très bien son travail et avait un merveilleux sourire qui disait toute sa joie de vivre. Toute l’équipe aimait Cécile. Elle faisait partie de la famille, nous ne l’oublierons jamais. J’ai donc voulu organiser un hommage sans mots avec la force d’expression du spectacle de Michel Kelemenis qui nous touche droit au cœur, sans pathos, et rend hommage à cette jeunesse assassinée.

Olivier Meyer, directeur du Theatre de Suresnes Jean Vilar

Interview: ROBIN RENUCCI

« Permettre au spectateur de créer son propre imaginaire. »

Suresnes-Mag : Comment rendre accessibles les œuvres de Racine ?

Dans le cadre des missions du Centre dramatique national, nous sommes les héritiers de Jean Vilar, qui avait œuvré à Suresnes et qui était si attaché à la transmission du théâtre populaire. Nous jouons deux œuvres majeures de Racine, écrites au 17e siècle en alexandrins, ce qui peut paraître loin. En fait, elles sont tout à fait accessibles si on les aborde comme de la poésie et non comme de la prose. L’on peut ainsi jouer sur la diction des acteurs et cela coule tout seul : le spectateur peut aller jusqu’à anticiper les rimes et ressentir des émotions.

S-M: Vous dites que la langue française est actuellement malmenée…

Il est bien que la langue évolue mais il ne faut pas la détruire. La langue devient utilitaire au détriment du poétique. Les théâtres doivent transmettre une langue belle, puissante et politique. Racine voulait un théâtre d’émotions qui passaient par le verbe. J’apprécie aussi cette phrase de Francis Ponge : « Servir la République, c’est donner force et tenue à la langue. »

S-M: Britannicus semble terriblement d’actualité avec le mouvement Me too.

Je souhaite que les spectateurs frémissent quand Néron, dans Britannicus, va rapprocher ses mains de la jeune fille. Il est question du rapport entre les hommes et les femmes, de la prédation. Mais on voit aussi, avec sa mère, la possibilité de la femme de détruire le cerveau de son fils. C’est ce qui est puissant chez Racine, il parle aussi de la femme et de son propre pouvoir.

S-M: Quelle est votre relation au public ?

Nous sommes avides d’échanges avec lui. Le Théâtre de Suresnes est situé dans un quartier dont la conception favorisait une société plus égalitaire. Il est proche du Mémorial du Mont-Valérien, et nous sommes très attachés à ce que l’on doit au Conseil national de la Résistance.

S-M: Que doit apporter le théâtre ?

Le théâtre c’est le lieu où l’on regarde le monde. C’est très important dans notre société où le « voir » est prédominant. Plus on donne à voir des images qui sidèrent, moins les gens parlent. Or le théâtre est le lieu où l’on parle, où l’on invente, désire et développe l’esprit critique pour participer à la vie du monde en refusant un imaginaire préfabriqué. Mon but de metteur en scène est de permettre aux spectateurs de créer leurs propres images, de développer leur singularité. Tout en acceptant la singularité de l’autre.

Andromaque de Jean Racine, mis en scène par Anne Coutureau, les 9 et 10 novembre à 20h30

Coup de Grâce, chorégraphie de Michel Kelemenis, le 12 novembre à 20h30

Oblomov de Nicolas Kerszenbaum, mis en scène par Robin Renucci, directeur des Tréteaux de France, le 19 novembre à 20h30

Britannicus de Jean Racine, mis en scène par Robin Renucci, le 20 novembre à 15h

Bérénice de Jean Racine, mis en scène par Robin Renucci, le 20 novembre à 20h30 et le 21 novembre à 17h

La seule certitude que j’ai, c’est d’être dans le doute de Pierre Desproges, mis en scène par Alain Lenglet et Marc Fayet, le 30 novembre à 20h30

Sans oublier…

Tous les marins sont des chanteurs conférence chantée de François Morel, Gérard Mordillat et Antoine Sahler, le 27 novembre à 20h30 et 28 novembre à 17h

François, le saint jongleur de Dario Fo, mis en scène par Claude Mathieu et interprété par Guillaume Gallienne, les 9 et 10 décembre à 20h30 ■ Programme complet sur theatre-suresnes.fr

Partagez l'article :