Jacques Weber, les éclats d’une vie

octobre 2021

Pour rencontrer Cyrano, Don Juan, Harpagon et Edmond Dantès en un seul homme, on a rendez-vous devant un café et un pain au chocolat au Bistrot des Toqués.

Suresnois depuis 7 ans, Jacques Weber a ses habitudes, matinales, dans ce café de la rue Pasteur, et ne dédaigne pas y faire tonner sa voix de stentor tant les bistrots sont pour lui un autre théâtre de la vie et de la cité.

On l’y retrouve avant qu’il s’imprègne du texte du Roi Lear qu’il interprétera en novembre au Théâtre de la Porte Saint-Martin. Le 19 octobre, c’est au Théâtre Jean Vilar de Suresnes qu’il fera escale pour partager avec sa faconde complice les éclats d’une vie qui se confond avec les grands textes et les grands rôles qu’il a servis et incarnés.

Une soirée unique pour dérouler les fils des 50 ans de carrière de ce monstre sacré de la scène française, dont les émotions intimes transmettent, inlassablement, la passion du théâtre.

Propos recueillis par Arnaud Levy

Photos: DR et Tiphaine Lanvin

 

LES CAFES

« J’y suis tous les matins pour un petit déjeuner qui se compose d’une bouteille d’Evian, d’un double express, d’un pain au chocolat et d’une tartine beurrée. On parle de tout, on déconne sur le football, on s’engueule gentiment sur la politique.

C’est un lieu essentiel de brassage relationnel et social. Le bistrot crée les conditions de l’empathie et du débat. Je me désole qu’ils se rarifient tout comme les commerces victimes des GAFA ou qui s’équipent de caisses automatiques. J’y vois le signe d’une rupture avec une reconnaissance fraternelle, d’une régression qui est celle de notre époque. »

DE CANCRE A MONSTRE SACRE

« A l’école j’étais un cancre. Mais ça ne fait pas de moi un symbole ou un exemple qui dirait qu’on peut toujours s’en sortir. Ce qui compte ce sont ceux, si nombreux, qui ne s’en sortent pas. Et quand le fossé s’écarte entre la misère sociale, les classes moyennes et les très privilégiés, ce n’est pas le théâtre qui changera vraiment les choses. Moi, je suis d’une famille de petite bourgeoisie, avec des parents intelligents qui m’ont bien éduqué.

J’ai connu un prof de français formidable et un extraordinaire professeur d’art dramatique au conservatoire municipal. Il s’appelait François Florent, il avait 24 ans et il est devenu un des plus importants professeurs de théâtre du monde. J’ai l’itinéraire d’un enfant gâté qui a pu rencontrer sa passion. »

L’ENGAGEMENT

« Jean Vilar disait que ce n’est pas le théâtre qui fera la révolution, c’est la révolution qui fera le théâtre. Le théâtre n’est qu’un miroir proposé à la société pour qu’on se regarde et s’interroge. Moi je ne connais pas des théâtres mais LE théâtre. Si une pièce de boulevard que moi je n’apprécie pas fait rire et fait du bien, je dis : tant mieux !

Le théâtre n’est pas pédagogique et ne doit pas être démagogique. Il est un lieu de médiation, où l’imaginaire est roi et la liberté est reine, un lieu de vigilance poétique et de réconciliation fraternelle. »

LE THEATRE JEAN VILAR DE SURESNES

« Son directeur, Olivier Meyer, fait un boulot formidable avec une programmation éclectique et de qualité qui n’hésite ni à aller vers le grand public ni à prendre des risques.

J’ai fait ça pendant près de 25 ans: je sais à quel point c’est difficile. Pour entretenir la curiosité, pour que le monde avance, il faut une rupture avec l’ancien. Tout en se rappelant que pour que l’arbre bourgeonne il faut des racines. Cet équilibre-là est très difficile. Suresnes cités danse, par exemple, c’est une réussite exceptionnelle qui a ouvert un langage jeune et contemporain au public.»

ECLATS DE VIE

« Dans Eclats de vie, ma vie n’est pas le plus important. Toute vie est un petit ilot secret, unique, avec ses problèmes, ses tourments et ses contradictions.

J’ai eu envie de descendre les grands auteurs de leur piédestal, de les mettre à hauteur d’homme. Par l’intermédiaire de très beaux textes on va essayer de se parler, de s’interroger, de rire, de s’émouvoir et de réfléchir ensemble.

Dans ce spectacle qui change tous les ans je mélange les époques, j’improvise parfois. Vous allez entendre Flaubert ou Duras, Molière ou Annie Ernaux, décortiquer une fable de La Fontaine ou un article de journal…»

 

SURESNES

« J’y suis bien. J’aime les marchés. Je vais à celui du Centre-ville, j’y ai des amis comme la poissonnière, Murielle. J‘aime le vendeur de produits libanais, la boulangerie qui est merveilleuse et les terrasses de la place du Général Leclerc où il y a du monde et un vrai brassage dès qu’il fait beau.

Mais je suis plutôt un solitaire : je marche et je suis adepte du vélo. Je peux être en quelques minutes dans les bois et au bord des lacs ou prendre les quais pour aller au Parc de Saint-Cloud et je suis heureux de cette proximité. Et aussi, ce qui m’est essentiel, c’est d’avoir près de chez moi de bons petits bistrots… »

 

LE LIBAN

« A la sortie de Cyrano, que je jouais 7 fois par semaine, j’étais épuisé, en dépression. On m’a proposé de tourner à Beyrouth. Je me suis dit : quand ça ne va pas il faut changer d’air. J’ai la chance d’avoir une femme qui m’accompagne depuis 30 ans, qui a eu le courage de m’accompagner. On est partis en méconnaissance totale de la guerre qui continuait insidieusement avec une violence inouïe.

Dès le premier soir on a été menacés, revolver sur la tempe par des mômes de 16 ans. Par courage, inconscience, fascination peut-être, on est restés. On est tombés amoureux du pays, on en a vu les drames éternels, l’impossibilité de les cicatriser, et en même temps une force incroyable à se reconstruire. On a découvert des amis fabuleux.

J’ai écrit un livre, Paris Beyrouth. Il m’arrive de dire des textes de Dominique Eddé, spécialiste du Liban. Aujourd’hui je crains qu’on ne soit arrivé à un point de non-retour. Un drame chasse l’autre dans l’actualité, on oublie. Moi j’ai gardé un attachement particulier pour le Liban. »

L’HOMME DES GRANDS ROLES

« Je formais le vœu qui s’est exaucé de jouer ces grands rôles qui m’ont beaucoup apporté. Je suis animé par une passion qui parfois me dévore, que j’essaie de maîtriser C’est ce qui se passe avec les répétitions du Roi Lear comme avec le spectacle que je propose à Suresnes. Comme le disait Flaubert, dans ma vie je n’ai pas cherché le Port mais la Haute mer.

Mon âge me permet maintenant de choisir, de prendre du temps pour écrire, méditer, rêver. Je souhaiterais vraiment au monde entier d’avoir cette faculté qui manque tant à tous ceux qui souffrent d’un monde où les inégalités se sont accentuées de façon disproportionnée. Moi j’ai pu vivre une passion extraordinaire. J’ai une très belle vie vous savez. ».

REPERES

23 aout 1949. Naissance à Paris

1969 et suivantes. Intègre le Conservatoire. En sort avec un prix d’excellence. Rencontre Pierre Brasseur. Refuse la Comédie Française. Rejoint Robert Hossein au Théâtre populaire de Reims.

1979. Edmond Dantès dans la série TV « Le Comte de Monte Cristo »

1979. Directeur du Centre national dramatique de Lyon

1981. Mariage avec Christine.

1984. Cyrano de Bergerac dans la mise en scène de Jérôme Savary

1986. Directeur du Théâtre de Nice

1991. César du 2d rôle pour celui du Comte de Guiche dans le Cyrano de Jean-Paul Rappeneau

2020. Publie Paris Beyrouth (Le Cherche Midi éditeur) sur son expérience au Liban

 

ECLATS DE VIE. DEUXIEME. // Théâtre de Suresnes Jean Vilar, mardi 19 octobre à 20h30

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