La vie de Suresnes est un riche champ d’études. Celles-ci ont souvent négligé le Moyen Age car la période est longue, difficile à documenter et a longtemps souffert d’un désamour certain. Pourtant, c’est bien durant cette époque que Suresnes passe du rang de hameau à celui de village, et même de petit bourg.
Un fleuve assez facile à franchir et navigable, une colline bien exposée, il n’en faut pas plus pour que les hommes s’installent et créent un foyer. La découverte en 1887 de cercueils datant de l’époque mérovingienne démontre l’existence d’une petite localité dans ce périmètre. Dans ces temps d’invasions et de troubles, le mont Valérien constitue aussi un point d’observation très utile.
Suresnes vaut bien une messe
Petit hameau rural, dépendant de Nanterre, il est fait mention de Surisnas le 14 mai 918 dans un document signé à Compiègne par le roi Charles III le simple qui attribue à l’abbaye de Saint-Germain-des-Prés un certain nombre de terres, dont celles de Suresnes. Saint-Germain est l’un des fiefs les plus importants de cette France qui se bâtit, le monastère a des terres jusqu’en Bretagne.
Le pays est encore féodal et le domaine royal fluctue au gré des événements. Le roi Charles III exige juste qu’en échange de ces terres de Suresnes une messe soit célébrée chaque année en mémoire de Frérone, son épouse décédée. En 940 Hugues 1er inaugure la dynastie des Capétiens, les temps sont troublés.
Durant près de deux siècles Suresnes va subir les pires avanies. Les terribles raids des « Normands » ravagent les villes des rives de la Seine. Les Nordmen, les hommes du Nord venus de Norvège, remontent la Seine à bord de leurs Drakkars, détruisent, pillent, terrorisent.
Dans les églises de Saint-Cloud, de Saint-Germain et de Suresnes, les moines en prière murmurent « A furore Normandis libera nos domine» (que Dieu nous protège de la fureur des Normands). Pillards et invasions Las, les pillards reviennent, le tocsin sonne et la mince population de Suresnes fuit dans les bois, sur la colline ou dans des galeries conçues pour cela.
Après, il faut rebâtir les maisons détruites, reconstituer les minces récoltes, attendre la prochaine vendange en espérant que le prochain raid épargnera Suresnes. Aux invasions succèdent les attaques des bandes de pillards qui font régner la terreur dès que l’on s’éloigne des villes. En 1080, c’est la Seine qui envahit Suresnes et noie l’île de Gennevilliers, Neuilly, Champerret et Boulogne.
Puis la famine ravage la région en 1088 et c’est ensuite le mal des ardents (l’ergotisme né d’un parasite du seigle) qui fait des ravages en 1150. Notons aussi en 1358 les ravages de la guerre de cent ans lorsque l’Anglois passe au fil de l’épée la plupart des habitants de Suresnes.
En 1411 les Bourguignons se « contentent » d’en occire une centaine, réfugiés dans le donjon de Saint-Cloud. Anglais et Bourguignons ont dans le même élan brûlé l’église Saint Leufroy, que les habitants de Suresnes rebâtirent par deux fois. Si Suresnes n’est pas encore une ville, ou même un bourg au sens de l’époque, c’est à dire avec une enceinte fortifiée, le village s’organise.
C’est la vigne qui fournit le gros des ressources des terres suresnoises. Le vin de Suresnes acquiert une belle réputation, mais les récoltes sont aléatoires. Les moines de Saint-Germain délèguent l’administration à un prévôt, ils perçoivent les taxes dues par les habitants. En 1250, le servage, qui réduit certains paysans à la servitude, est aboli sur les terres de Suresnes.
Le village naît autour de l’église Saint Leufroy
La proximité de Paris, Notre-Dame est à 11 km, serait un atout pour le petit bourg ? Nenni, il faut traverser le bois de Rouvray, notre bois de Boulogne actuel, et celui-ci est infesté de brigands. Encore faut-il passer le fleuve à Neuilly ou Saint-Cloud car il n’y a pas de bac à Suresnes.
Quant à la vie religieuse, elle est ténue. Il y a bien un petit ermitage en 1400 au sommet du mont Valérien, mais le pèlerinage n’attirera les fidèles qu’à partir du début du XVIIe siècle. Suresnes n’a pas une vie trépidante en ces temps-là. Elle ne commerce pas et les moines s’arrogent les tonneaux du vin qui a bonne réputation. Elle se suffit à elle-même, s’organise en paroisse autour de son église.
C’est dans les rues qui entourent aujourd’hui l’ancienne église Saint Leufroy que se situe l’acte de naissance d’un petit village qui grandira.
Le roi François 1er découvrira la région lors de ses chasses et la commune se fortifiera en 1569, mais nous sommes déjà sortis du Moyen-Âge, et donc de notre propos. Plus tard, on viendra au calme à Suresnes. On s’y retire, pas trop loin de Paris. Il a bien fallu que jeunesse se passe, il en est ainsi des hommes et des villes.