Olibet, une épopée gourmande à Suresnes

juin 2022

La célèbre biscuiterie fut l’une des premières industries à s’installer dans la ville en 1879, ce qui lui permit de séduire la clientèle parisienne et de conquérir un marché national. Aujourd’hui la marque renaît sous l’impulsion d’un descendant de la famille Olibet.

Texte : Matthieu Frachon. Images : MUS

Les petits gâteaux, les goûters, le quatre heures, autant de mots qui renvoient à l’enfance, à la boîte en fer blanc joliment illustrée. Une marque renaissante a connu ses grandes heures à Suresnes, les biscuits Olibet. L’usine Olibet est l’une des premières industries à s’installer à Suresnes en 1879.

La ville connaît un bouleversement économique et démographique. Les teintureries-blanchisseries qui forment le cœur de l’activité sont en recul, la révolution industrielle transforme l’ensemble du territoire. La fabrique, l’ouvrier, la machine et le nouvel ordre social s’imposent. Sur ces terrains près de Paris il y a la place pour de nouvelles activités économiques et la production de masse.

En 1840, Jean-Honoré Olibet n’est qu’un petit producteur de biscuits secs installé dans le quartier Saint-Pierre à Bordeaux. Le biscuit est une formidable invention culinaire qui nourrit le marin et le soldat, car il se conserve longtemps. Mais, il peine à dépasser cet utilitarisme. Olibet, lui, fabrique des biscuits fantaisie qui séduisent la clientèle bordelaise.

Fabrication en série

En 1860, le fils Eugène rentre d’Angleterre et convainc son père de se lancer dans la fabrication en série des friandises en important des machines-outils d’Outre-Manche. La fabrique bordelaise devient trop petite, une usine est construite à Talence en 1872. L’idée des Olibet consiste à créer des biscuits de bonne qualité, accessibles et présentés dans des boîtes très décorées.

Le biscuit devient un plaisir dans un emballage évoquant un environnement luxueux. Olibet devient le pionnier du biscuit avec ses « demilune », « Lux », « Prime-thé » et « Petit-beurre. » La publicité, la « réclame » selon la formule del’époque, a un rôle à jouer : la marque revendique son statut de « biscuit français » qui a « affranchi notre pays du monopole étranger». En clair, boutons le british biscuit hors de France !

1879, c’est l’arrivée à Suresnes. Les biscuits Olibet entendent conquérir le marché national, réduire les coûts de transport et accoler à leur marque un nom qui fait rêver : Paris. C’est ainsi que, contrairement à ses concurrents, notamment le Nantais Lefèvre-Utile (LU), Olibet s’affranchit d’une image provinciale et devient « Olibet-Paris, 1re marque française ! ».

La guerre des biscuits

Le procédé de chromolithographie, l’impression d’images en couleurs à grande échelle, provoque une avalanche de publicités sur les boîtes, sur les affiches, dans les journaux. La lutte est féroce entre les différents fabricants, Olibet revendique la paternité du nom « petit-beurre » en 1887 et attaque LU. Le tribunal tranche en 1891 et estime que « petit beurre » appartient à tout le monde. On se déchire à coup de slogans, de revendications patriotiques, d’affirmations plus ou moins avérées. C’est la guerre des biscuits !

L’usine de Suresnes est visible de loin avec ses deux cheminées de 40 mètres de haut qui dominent la Seine et toisent le paysage de plus en plus industriel (dans l’actuelle rue des Fusillés de la Résistance). Le bruit des machines à vapeur est assourdissant. Tout au long de la journée de travail, douze heures, les produits sortent du laboratoire : amandes pilées, pâtes, sucre… Puis ils sont mélangés, cuits et laminés avant d’être emballés. La chaleur et la vapeur règnent en maîtres, les accidents sont fréquents.

Dans les ateliers de glaçage, les ouvrières sucrent et donnent aux biscuits leurs derniers atours. Puis c’est l’emballage, le dernier coup de tampon sur la belle boîte avant d’être emmenés sur le quai de chargement. C’est le détaillant qui prendra la suite à Paris, Lille ou ailleurs. A son apogée l’usine suresnoise emploie 650 personnes.

L’aventure prend fin en 1938 pour Suresnes. L’usine est fermée, cède la place à la métallurgie. Olibet survit tant bien que mal, victime d’un marché de plus en plus concurrentiel et de l’irruption de la grande distribution. Mise en faillite en 1977, Olibet est rachetée puis disparaît en 2012… Avant une renaissance autant familiale qu’inespérée en 2022, depuis le fief de Bordeaux… pour l’instant.

3 questions à AYMERIC OLIBET

Descendant de la famille Olibet, il vient de relancer la marque de biscuits

Suresnes mag : Descendant de Jean-Honoré Olibet, vous avez relancé la marque qui a une forte empreinte suresnoise. Pourquoi cette aventure ?

A. Olibet : L’aventure entrepreneuriale de mes ancêtres m’a toujours intéressé. Nous n’en connaissions que des bribes lorsque j’étais enfant, puis l’arrivée d’internet, et quelques récits d’historiens, notamment le livre d’Olivier Londeix, professeur d’histoire à Bordeaux, m’ont permis de découvrir le rôle de premier plan de la Société des Biscuits Olibet au début de la révolution industrielle, et toute la créativité dont l’entreprise a fait preuve pendant plus d’un siècle.

Alors que je collectionnais depuis des années des visuels, des boîtes, des objets de toute sorte, l’occasion s’est présentée de racheter la marque – qui est aussi mon nom -, je ne pouvais pas passer à côté. Etant très engagé dans la transition environnementale, j’ai à cœur d’associer les meilleures pratiques à ce projet, dans la sélection des matières premières, les emballages et même un partenariat avec une ONG impliquée dans la reforestation.

S. M. : De 1879 à 1938 l’une des principales usines Olibet est à Suresnes. Que pouvez-vous nous dire de cette période ?

A. O. : La toute première usine de biscuits en France a été inaugurée par mes ancêtres en 1872 à Talence, près de Bordeaux. Avec un peu de retard par rapport aux Anglais, les entreprises françaises se mécanisent, et en parallèle les habitudes de consommation changent. Une consommation bourgeoise se développe, celle-ci est exigeante sur la qualité des produits et sensible aux beaux emballages.

La Société des Biscuits Olibet est à la pointe dans son domaine, et l’arrivée à Suresnes en 1879 est une étape importante pour celle qui s’autoproclame la « première marque française ». Cela lui permet de s’associer avec d’autres industriels installés à proximité, afin d’optimiser ses procédés (citons par exemple les premiers constructeurs automobiles pour les livraisons) et d’être idéalement placée pour vendre ses produits à la clientèle parisienne…

S. M. : Vous vous appuyez sur cette histoire, ce patrimoine de l’entreprise, c’est important ?

A. O. : C’est à la base du projet. Les chromolithographies, les affiches, les boîtes et autres objets sont autant de pièces qui témoignent d’une époque à la fois dynamique et très sensible au design, à une certaine forme de poésie. Les premières publicités étaient de véritables œuvres d’art ; la Société des Biscuits Olibet, comme son concurrent Lefèvre-Utile (LU, à Nantes), fit travailler de nombreux artistes et affichistes.

A cela s’ajoutent de nombreuses photos qui aident à mieux saisir encore la société de l’époque – le tout mis bout à bout est vraiment digne d’intérêt pour tous ceux qui s’intéressent à l’histoire socio-économique de la France à la fin du XIXe et au début du XXe . Le Musée d’histoire Urbaine et Sociale (MUS) de Suresnes et le Musée d’Aquitaine à Bordeaux ont d’ailleurs de belles collections.

www.biscuitsolibet.com

Dégustation des biscuits Olibet le 16 juin à 19h Aymeric Olibet sera présent lors de la soirée dégustation organisée par le MUS. L’occasion de goûter les nouveaux produits de la marque et d’approfondir son histoire. Voir page 48. Renseignements et inscriptions au MUS, sur mus@ville-suresnes.fr ou au 01 41 18 37 37.

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