Lettre de Noël imaginaire d’un Suresnois de 1920

janvier 2021

Pour terminer cette année particulière avec une note d’espoir et un brin de survol historique, nous sommes partis cent ans en arrière. Un Suresnois de 1920 aurait pu écrire cette lettre sortie de notre imagination, mais à la toile de fond bien exacte.

Texte : Matthieu Frachon Photos : SHS, MUS

Suresnes, le 28 décembre 1920
Mon cher ami, Il y a bien longtemps que je ne t’ai écrit, mais le tourbillon du quotidien s’est bien accéléré ces derniers temps. Je m’en vais donc te donner des nouvelles de notre petite ville de Suresnes.
J’ai eu 50 ans cette année : eh oui, je suis né lors de la guerre de 70. Ma mère me racontait que le canon du Mont Valérien avait tonné le jour de ma naissance ! Elle a bien changé notre ville de Suresnes. Le gros village que tu avais quitté il y a plus de trente ans est devenu une cité qui s’agrandit d’année en année.

Depuis l’an dernier, le 10 décembre 1919 pour être exact, nous avons élu un nouveau maire. Il se nomme Henri Sellier et s’il réalise ne serait-ce que la moitié de ses projets, Suresnes sera un exemple pour toute la région.

Tu sais que ma douce Louise travaille à la mairie et du coup je suis bien au courant. Figure-toi qu’il veut construire une cité avec des jardins pour les familles modestes ! C’est un positiviste, un homme qui croit en l’avenir. En juillet dernier il a lancé le projet d’une école sur le plateau. Mais au rythme où la population s’agrandit il va falloir prévoir grand ou en construire d’autres !

Pendant ces vacances de Noël, j’ai vu dans les rues un nombre impressionnant d’enfants, de landaus, de poussettes. Il faut dire que la ville, ses usines, son cadre agréable, offre de plus en plus d’attraits. Les choses bougent. Par exemple, notre vin de Suresnes, le « petit bleu » que nous buvions lorsque nous avions
20 ans, et bien il s’éteint petit à petit. Les vignerons disparaissent et on n’en trouve plus que dans quelques cafés en bord de Seine. Ceux-là aussi disparaissent : le bateau est de moins en moins utilisé et les guinguettes ferment. Enfin, il y a toujours « La Belle Gabrielle » et autant de cafés dans la Rue du Pont.

Mais j’ai une grande nouvelle à t’annoncer, nous allons avoir une salle de cinéma ! Louise m’a dit que la mairie avait accepté le projet des frères Schwob, ceux qui possèdent les terrains de l’ancienne usine Meunier. Ils vont construire un cinéma, ils ont même déjà le nom : Le Capitole. En attendant, la mairie donne des séances dans la salle des fêtes depuis ce mois-ci.

Ha oui, le petit village qui s’endormait le soir appartient au passé, depuis janvier dernier on a même un « comité des fêtes » ! Pour les loisirs, on commence à être presque « Parisiens ». J’exagère un peu, mais en 1914 la grande course cycliste Paris-Roubaix s’est élancée depuis Suresnes ! Les courses d’aviron sur la Seine attirent du monde et nos commerces nous offrent tout ce dont nous avons besoin.

En tous cas à Noël, pour la messe de minuit, l’église était bien pleine. C’est vrai que tu n’as pas connu la nouvelle maison de Dieu, l’église « Chœur immaculé de Marie » a supplanté la vénérable église « Saint Leufroy ». Et, tiens toi bien, depuis l’an dernier il est question de bâtir une autre église qui s’appellera «Notre Dame de la Salette ».

Les fêtes se passent bien dans notre bonne ville, on a du mal à croire que ce n’est que le troisième Noël depuis la fin de la guerre. Les visages sont joyeux, et Suresnes change à vue d’œil. Je te donne aussi quelques nouvelles du travail.

Je suis toujours chez Monsieur Blériot, Catherine mon aînée va rentrer chez Worth à Paris, les Worth de Suresnes que l’on croisait en voiture à cheval autrefois. D’ailleurs j’ai acheté une auto et elle est même fabriquée à Suresnes. Oh, c’est une occasion, une petite Zèbre, mais c’est ma première voiture !

Et nous avons quitté le centre-ville pour acheter un petit pavillon sur les hauteurs, Suresnes s’agrandit. On y croise aujourd’hui plus d’ouvriers et d’employés que de paysans. Ce qui n’a pas changé, ce sont les Parisiens qui viennent le dimanche pour goûter les joies de la campagne et du bon air.

J’arrête là cette lettre, mon vieil ami. Je songe que dans cent ans, dans notre bonne ville, les gens vivront le même Noël, avec sa magie, les gosses qui ouvriront les cadeaux.

J’espère que mes arrières petits-enfants seront heureux dans un monde en paix et qu’ils pourront se promener dans notre cité encore plus belle.

Tu te souviens de notre devise : « Nul ne sort de Suresnes qui souvent n’y revienne»!

Bien à toi, mon ami.

Notre-Dame de la Salette : sacrée chapelle !

En 1919 un projet de lieu de pèlerinage consacré à la Vierge Marie est mis sur les rails. C’est le Père Patrice Flynn, curé de Suresnes et ancien aumônier-capitaine à Verdun durant la guerre, qui en est l’initiateur.
Il prévoit de bâtir une église sur un terrain qu’il fait acquérir par l’archevêché, grâce à la générosité de la famille Philippon, sur un coteau au sud-ouest de la ville.

L’édifice est imaginé par l’architecte Pierre Sardou : une grande nef surmontée d’un clocher qui fait face au Sacré Chœur de Montmartre. Le nom de baptême de l’église est « Notre Dame de la Salette ». L’abbé Flynn est ambitieux et voudrait bâtir un « deuxième Montmartre » avec un grand pèlerinage annuel. Il entend renouer avec les grandes heures du Mont Valérien et les processions au calvaire.

Le 14 septembre 1922, le cardinal de Paris procède à la bénédiction de la première pierre. Mais trop excentrée, puis devenue obsolète lorsque Henri Sellier offre à l’archevêché un terrain au cœur de la Cité-Jardins, Notre Dame de la Salette change de dimension.

La crypte est achevée, mais il ne sera érigé qu’une simple chapelle qui deviendra une cité paroissiale parfois surnommée « la chapelle de  secours ». L’abbé Flynn*, né d’une famille irlandaise, va poursuivre une brillante carrière puisqu’il deviendra directeur de l’enseignement libre puis évêque de Nevers en 1932.

*pour en savoir plus

https://www.irishtimes.com/opinionwan-irishman-s-diary-onpatrice-flynn-a-franco-irish-catholic-bishop-who-never-forgot-his-roots-1.2925622

 

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