Les très riches heures du château de Bel-Air

mars 2023

La plus ancienne construction aristocratique de Suresnes a eu pour propriétaires des membres de la maison du Roi, de riches bourgeois, des marquis, un banquier, une princesse ou un membre du Directoire, avant de devenir une Maison de santé. Détruite en 1975 pour laisser place au parc du Château, elle aura vu se succéder une galerie de personnages dignes d’un roman.

Texte : Matthieu Frachon Photos : MUS-SHS

Aurait-on pu ériger une pierre tombale, graver une épitaphe à l’entrée du parc du château et y inscrire ces quelques mots : « ci-gît le château de Bel-Air, né petite demeure en 1630, porté à terre en 1975 » ? Et pourquoi pas, tant l’histoire de cette bâtisse a traversé le temps et connu d’aléas.

Vers 1630 (l’année est approximative) un dénommé Fauvet ou Fauvette acquiert un terrain situé au lieu-dit « la Saussaye », à la croisée du chemin des meuniers qui relie Suresnes à Saint-Cloud et d’un sentier qui mène à la Seine. Ce monsieur est un riche bourgeois, un des 25 marchands de vin « privilégiés », c’est à dire fournisseur de la cour Royale. Il y fait bâtir une maison toute simple mais qui est bien au-dessus des standards de Suresnes en ce temps-là. Atteint de frénésie immobilière, il achète plusieurs parcelles, étend son domaine et agrandit la demeure.

A sa mort en 1650, sa seule héritière est sa sœur Nicole qui s’empresse de vendre toutes les possessions fraternelles. C’est alors que démarre une grande partie de Monopoly où il n’y aurait qu’une unique case « propriété à Suresnes » : pas moins de 126 propriétaires se succèdent entre 1650 et 1874 au gré des 45 ventes successives. Dans les premiers temps, les acquéreurs appartiennent à la maison du Roi, citons le chef de la Fruiterie de Louis XIV, un commissaire ordinaire aux guerres, un procureur du Châtelet…

Un pavillon recouvert d’un toit d’ardoises

Selon la description des divers actes notariés, la propriété consiste en un pavillon recouvert d’un toit d’ardoises, une cour, des bâtiments annexes, des vignes et terres. Mais l’Histoire est en marche, les classes sociales évoluent, les propriétaires aussi.

Le grand bourgeois aux portes de la petite noblesse cède la place au commerçant enrichi. Les noms changent aussi : en 1686, sur un contrat la maison de la Saussaye est renommée « propriété de Belair (sic) ». Les divers propriétaires ajoutent des bâtiments, un étage, transforment la voie d’accès en cour d’honneur.

L’Histoire reprend son mouvement de balancier et un noble prend la main, le marquis de Jumilhac en 1759. Petit à petit « Bel-Air » s’embellit et prend des allures de petit château avec son pavillon d’été et son perron. Un autre marquis rachète la propriété, puis un comte, et enfin un bourgeois épris d’idées nouvelles, Etienne Clavière.

La Révolution passe par là, le couple propriétaire se suicide en 1793 et l’Etat jacobin récupère ce que l’on nomme déjà le château Bel-Air qui est adjugé à un banquier. La Révolution s’achève, vient le Directoire et ses cinq directeurs.

C’est l’un d’entre eux et pas des moindres, Paul Barras, vicomte devenu révolutionnaire, qui rachète en 1796 les lieux où, selon certaines sources, il aurait reçu Bonaparte.

Ce grand amateur de femmes, y a-t-il emmené Joséphine de Beauharnais, la future impératrice, à Suresnes avant de lui présenter le fringant général ? L’Histoire ne le dit pas et le séjour de Barras fut bref puisqu’il revend le château Bel-Air en 1797 aux frères Chevalier.

Orangerie

En 1803, c’est la princesse de Vaudemont qui rachète et se met aussitôt à l’ouvrage : elle fait construire l’orangerie, une serre, la maison du gardien et réaménage le parc « à l’Anglaise ». En 1834, le banquier Welles se porte acquéreur et rebâtit une dépendance, « la maison du potager ».

Il reste dix ans au château avant de le céder en 1844 à LouisMarie Chabrier, un personnage digne d’un roman de Balzac. Chabrier est un « lampiste », un auvergnat monté à Paris et qui a fait fortune dans l’éclairage public. Il est le propriétaire du théâtre des Variétés où sera créée « La Belle Hélène » de Jacques Offenbach. Chabrier est l’arrière-grand père d’un certain Gaston Gallimard, fondateur des éditions du même nom.

Annonce dans Le Figaro

A sa mort en 1864, sa veuve hérite du château qu’elle met en vente dix ans plus tard par le moyen d’une annonce parue dans le Figaro : « A vendre le château de Suresnes situé sur la rive gauche de la Seine. Contenance 7 hectares. S’adresser sur les lieux. »

Le 23 novembre 1874, Gustave Bouchereau, Gustave Lolliot et Valentin Magnan deviennent propriétaires du Château de Suresnes. Ils vont le transformer en Maison de santé privée. La plus célèbre des internées fut la propre fille de Victor Hugo, Adèle, qui y passa ses 43 dernières années après avoir été admise pour « érotomanie ».

La longue histoire de la Maison de santé de Suresnes mérite cependant un article dédié, et nous y reviendrons le mois prochain. Après presque cent ans de stabilité dans son usage et sa propriété, la clinique du Château Bel-Air cesse son activité en 1973. Deux ans plus tard, elle est démolie et transformée en parc.

En guise de conclusion, notons que cette belle demeure n’a eu de château que le nom. C’était la plus ancienne construction aristocratique de la ville, mais son aspect extérieur n’en a jamais fait un véritable château. En revanche, son histoire, que nous vous avons contée, méritait le détour.

Réalisé avec le concours de la Société d’histoire de Suresnes.

Suite de l’histoire du château dans le Suresnes mag d’avril

Le tragique destin d’Etienne Clavière (1735-1793)

Ce Dauphinois réfugié en Suisse est un agitateur professionnel ! Après un mariage qui lui assure une belle rentrée d’argent, il s’enrichit et se mêle de politique. Banni de Suisse, il revient en France et développe sa fortune en parcourant l’Europe. Ami de Mirabeau, c’est un « esprit éclairé » qui est l’un des fondateurs de la « Société des amis des noirs » en 1788. La Révolution le ravit et lui permet de se lancer en politique alors qu’il vient d’acquérir la propriété suresnoise de Bel-Air.

Député girondin en 1791, puis ministre des Finances, il demande l’annexion de Genève, qu’il n’obtient pas. La Terreur le prend pour cible, il est arrêté le 22 juin 1793 et assigné à résidence dans sa propriété de Suresnes.

Selon les versions, il se suicide à la Conciergerie ou à Suresnes avec sa femme, le 8 décembre, après avoir pris connaissance de l’acte d’accusation. Ironie tragique de l’histoire : c’est dans sa voiture découverte que Louis XVI avait été conduit à l’échafaud le 21 janvier 1793.

Un « château de Suresnes » en Bavière

A Munich, dans le huppé quartier de Schwabing, se dresse une bâtisse aux murs jaunes entourée d’un parc d’un hectare de jardins (à la française bien sûr). Le « Schloss Suresnes » (Château de Suresnes) a été construit entre 1715 et 1718 par un ministre de l’Electeur de Bavière* Maximilien-Emmanuel, qu’il avait accompagné dans son exil en 1713 en France… à Suresnes précisément où le Prince donna des fêtes dignes de son rang.

Dans le Château de Suresnes ? Le Prince-électeur aurait en réalité séjourné dans une autre maison plus au nord de Suresnes, celle du Duc Hugues de Lyonne. C’est bien cependant en souvenir de ce séjour suresnois que fut construit le bâtiment, aujourd’hui occupé par l’Académie catholique de Bavière après avoir notamment été, à partir de la fin du XIXe , l’atelier de plusieurs artistes dont le peintre Paul Klee.

* Prince du Saint-Empire romain germanique

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