Les piscines de Suresnes une histoire d’eau en Art déco

juillet 2021

En 1927 et 1932, la construction de deux piscines dans des bâtiments scolaires suresnois conçus par les architectes Maurice Payret-Dortail et Alexandre Maistrasse fut une première en France. Le trésor Art déco du collège Henri Sellier n’est aujourd’hui plus aux normes. Celui du lycée Paul Langevin est devenu une salle des professeurs. Mais ces piscines ont révolutionné l’éducation aquatique et permis à des générations d’élèves de s’initier aux joies de la natation.

Texte : Matthieu Frachon Photos : MUS

Dans les années d’entre-deux guerres, la natation est un loisir peu accessible pour la plupart des enfants. Nous sommes encore loin du temps des piscines municipales généralisées, et l’eau courante n’est pas… courante du tout pour tout le monde. Un homme va faire en sorte que l’éducation aquatique entre dans l’école et que Suresnes en soit la pionnière.

C’est Henri Sellier, inlassable bâtisseur et visionnaire. Lorsqu’il entreprend de modeler Suresnes selon ses convictions, rien ne lui échappe. Elu maire de la ville pour la première fois en 1919, il a un programme ambitieux. Henri Sellier veut faire de Suresnes un véritable laboratoire social. Le cadre de vie n’est pas qu’un mot et toutes les réalisations comptent.

Président des Habitations bon marché de la Seine (HBM, nos actuels Offices HLM), il veut non seulement loger décemment les ménages les plus modestes, mais aussi assurer l’éducation sous toutes ses formes. Henri Sellier est un farouche tenant du courant hygiéniste, il a la devise « men sana in corpore sano » pour mantra. « Un esprit sain dans un corps sain » !

En 1920, la municipalité lance un concours pour la construction d’un groupe scolaire rue Voltaire (actuelle rue PayretDortail). Dans le cahier des charges figure une exigence : l’école devra être pourvue d’une piscine.

Discussions houleuses en Conseil municipal

En France c’est une idée révolutionnaire à l’époque. Elle s’inspire des établissements scolaires britanniques où le sport et le plein air font partie intégrante de l’architecture. Sellier ambitionne de « servir d’exemple aux lotisseurs qui depuis trente ans ont littéralement saboté la banlieue» (appel à concours 1920). Il ne veut ni de la laideur, ni de l’aspect «construction au rabais ».

Entre 1901 et 1921, et malgré la saignée de la Grande Guerre, Suresnes est passée de 11 000 à 20 000 habitants. Il est urgent de bâtir, mais pas n’importe comment. Certaines discussions houleuses portent, en Conseil municipal ou par voie de presse, sur cette fameuse piscine, mais Henri Sellier ne dévie pas de sa ligne. Pour les futurs élèves, c’est une révolution : école neuve avec piscine incorporée ! L’école aura donc sa piscine et sera un modèle.

L’intérieur est une oscillation entre l’inspiration Art déco et l’antique. Une statue féminine se reflète dans l’eau et une mosaïque colorée déride le béton. L’ensemble est lumineux grâce aux grandes fenêtres et aux carreaux de verre qui sont au plafond.

En 1924, c’est l’architecte Maurice Payret-Dortail qui emporte le concours et s’attelle à la conception de cette fameuse école. C’est un homme de 50 ans, très moderne, qui connaît parfaitement les problématiques du logement social et des équipements municipaux. Depuis la fin de la guerre, il travaille pour les HBM et a tissé des liens de confiance avec Henri Sellier.

L’architecture de la nouvelle école est dès le départ un défi technique. Elle doit se dresser sur un coteau au nord de Suresnes, avec une double pente. Entouré des deux bâtiments de façade réservés aux classes, au fond de la cour d’entrée, le lieu dévolu au sport est d’une modernité absolue. Il regroupe un gymnase à l’étage et la fameuse piscine qui est en sous-sol.

La presse vient la visiter

La façade de brique est typique de l’école HBM des années 20. L’intérieur est une oscillation entre l’inspiration Art déco et l’antique. Une statue féminine se reflète dans l’eau et une mosaïque colorée déride le béton. L’ensemble est lumineux grâce aux grandes fenêtres et aux carreaux de verre qui sont au plafond. Douches, vestiaires, pédiluve : rien n’a été oublié techniquement. Si le bassin est petit (12 m de long sur 7,50 m de large, 140 m3 ), il va du petit au grand bain, avec 2,80 m de profondeur et plongeoir.

Cette piscine intérieure dans une école est une première en France, qui plus est dans une commune de taille encore modeste. La presse vient visiter l’édifice lors de son inauguration en 1927, une publicité voulue par Henri Sellier qui fait taire les critiques. De plus la piscine est ouverte le soir pour les habitants, qui peuvent profiter autant des 22 douches que du bassin.

Car le maire n’entend pas s’arrêter là. Il a une œuvre à ériger : la Cité-jardins. C’est un nouveau quartier avec tous ses équipements, des espaces verts et du logement social qu’ambitionne de faire sortir de terre le maire de Suresnes. Le concours pour la direction architecturale est lancé en 1930. L’architecte choisi est Alexandre Maistrasse qui officie auprès de la Ville de Paris. Victime de la fièvre typhoïde, Maurice Payret-Dortail disparaît en 1929. Alexandre Maistrasse est lui-aussi un hygiéniste, il marche dans les traces de son prédécesseur. Et là encore, le cahier des charges du groupe scolaire comporte une piscine.

Décors monumentaux

L’architecte va rester cohérent avec la première réalisation aquatique scolaire de Payret-Dortail. Il reproduit le même schéma en œuvre à l’école déjà bâtie : deux bâtiments scolaires qui se font face alors que l’édifice gymnase-piscine est au fond. Les dimensions de la piscine sont exactement les mêmes que celles du groupe scolaire précédent.

Mais Maistrasse introduit sa touche avec un choix de décors plus monumentaux, comme des bornes-fontaines ou les douches. Là encore c’est l’influence Arts déco qui se fait sentir. L’école n’est d’abord à son inauguration en 1932 qu’une école primaire, puis elle devient un établissement pour filles, avant d’être baptisé de son nom actuel en 1969, « collège Henri Sellier ».

Quant au premier établissement avec piscine, il devient le « lycée Paul Langevin » en 1948. La piscine la plus ancienne, celle de ce lycée, a vécu. Sa transformation récente en salle des professeurs n’a pas été une profanation mais une utilisation intelligente et respectueuse de cet espace. La piscine du collège Sellier est aujourd’hui inadaptée aux normes actuelles, sa restauration serait très coûteuse.

Mais songez à la révolution que furent ces deux bassins. Pour de nombreux enfants aller à la piscine une fois par semaine était inaccessible. Sous la férule des instituteurs, ces fameux hussards noirs de la République, ils ont été investis des règles d’hygiène et des joies de la natation.

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