Les écluses ont libéré le commerce fluvial

septembre 2021

Incontournable mais capricieuse, la Seine demeurait impraticable six mois l’an jusqu’à ce qu’au XIXe siècle on entreprenne de la dompter. Dépassé par les crues de 1910, le premier barrage-écluse fut remplacé en 1933 par l’ouvrage actuel qui, aujourd’hui encore, fait de Suresnes la porte fluviale de Paris.

Texte : Matthieu Frachon Photos : Archives municipales- MUS

Le monde du fleuve a ses règles, ses peuples et ses rites. L’Homme y a vu la richesse pour les cultures, mais aussi une protection contre l’ennemi, un élément à canaliser, à apprivoiser. Alors le fleuve a été bâti, parsemé de jetées, de moulins, les bateaux l’ont remonté, les ponts l’ont traversé. Tout un monde se crée autour de cette eau qui court vers la mer. A Suresnes le fleuve est donc incontournable et fait vivre ses riverains autant qu’il peut les tuer.

La Seine, comme ses frères le Rhône et le Rhin ou sa sœur la Loire, est capricieuse, dangereuse. L’expression « long fleuve tranquille » y est une chimère : au début du XIXe siècle la Seine est encore inhospitalière durant des mois.

Permettre l’accès à Paris des bateaux de commerce

On ne peut y naviguer en été car le tirant d’eau est faible, le niveau a baissé, la profondeur est insuffisante pour des bateaux chargés de marchandises qui s’échouent. En hiver, ce n’est guère plus réjouissant : les glaces s’en mêlent, les crues interdisent la remontée du fleuve. Un bateau met 25 à 35 jours pour aller du Havre à Saint-Denis affirme l’ingénieur Navier en 1826.

La vapeur apparaît à peine, les esquifs sont tributaires des bateliers et de leurs chevaux qui les tirent, c’est le temps des chemins de halage. Six mois par an, la Seine est impraticable. Or nous ne sommes plus au temps des invasions vikings, il est vital pour le commerce que le fleuve se transforme et soit pacifié.

En 1824, sous le règne de Charles X, il est question de canaliser la Seine, de sorte que les bateaux de commerce puissent accéder à Paris. La révolution industrielle en est à ses prémices, la circulation anarchique des marchandises sur le fleuve est un frein. Il en va de l’avenir du commerce de rendre le fleuve navigable en toute saison. Le temps des écluses et des barrages est venu.

Fin des chemins de halage

Le 6 décembre 1861, le baron Haussmann, qui ne s’occupait pas que des boulevards, signe un décret pour établir un barrage-écluse à Suresnes. Il faudra 8 ans de travaux avant que celui-ci soit fonctionnel en 1869. Trois ouvrages se succèdent sur la Seine : Suresnes, Neuilly puis Levallois-Perret. Le niveau des eaux devient constant à 2,20 mètres, les bateaux peuvent naviguer sans crainte. En 1880, de nouveaux travaux sont réalisés, l’écluse est prolongée de 57 m, un second ouvrage est construit. Ces travaux ne vont pas sans un bouleversement des berges : expropriations, fin des chemins de halage…

Mais en 1910, la crue du siècle qui inonde Paris oblige l’Etat à repenser encore une fois la régulation de la Seine. La guerre a repoussé les travaux, mais en 1926 il est décidé d’ériger un nouveau barrage à Suresnes. Plus rapide à mettre en œuvre, plus performant, le barrage signe la mort du troisième bras du fleuve, celui qui longe le bois de Boulogne.

C’est la désolation pour les pêcheurs à la ligne ! Cet endroit est un paradis, loin des péniches et près du déversoir des égouts de Passy, le poisson y pullule. Mais le progrès avance sans trop regarder les pêches miraculeuses et le bras qui longeait l’île de la Folie meurt. Les gravats issus de la transformation du Palais du Trocadéro après l’exposition universelle de 1937 sont jetés dans cette partie du fleuve et ensevelissent les restes de l’ancien barrage.

En 1933, après trois ans de labeur, 13 320 m3 de matériaux et 350 tonnes d’acier, les travaux sont achevés. Suresnes possède un barrage des plus modernes. La nouvelle écluse, achevée au même moment, complète le paysage aquatique de la ville. La Seine est apaisée, les lourdes péniches entrent dans Paris et les cafés des mariniers donnent aux bords de Seine une allure portuaire. Suresnes est encore aujourd’hui la seule porte d’entrée fluviale de Paris.

A lire pour une visite moderne des écluses www.paris-autrement.paris/les-ecluses-de-suresnes/

La prochaine exposition temporaire du MUS, en novembre, sera consacrée à la Seine

 

80 bateaux par jour

Avec 23 millions de tonnes de marchandises et 7 millions de passagers par an, les écluses de Suresnes connaissent un trafic plus dense que celui de la route.

Cela représente 80 bateaux par jour dans les deux sens. Le poste de Suresnes assure la régulation des 17 km de la Seine jusqu’à Maisons-Alfort.

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Jean-Louis Fargeon mettait la reine au parfum

L’apothicaire eut les faveurs de Madame du Barry, de Marie-Antoinette puis de l’impératrice Joséphine…

Sous l’enseigne « Fargeon de Montpellier, parfumeur du Roi et de la Cour » se trouve à Suresnes à la veille de la Révolution l’atelier du maître en senteur de la cour. L’homme est issu d’une belle lignée d’apothicaires, son ancêtre fournissait la cour du roi Louis XV.

 

Mais c’est Jean-Louis qui franchit le pas et vient s’établir à Paris en 1774, quittant Montpellier pour la rue du Roule, puis Suresnes. Il séduit d’abord par ses parfums Madame du Barry, puis décroche le Graal avec la Reine. Marie-Antoinette apprécie ses créations, notamment les gants parfumés et les sachets pour le bain joliment dénommés « bain de modestie». Elle ne lui octroie pas le titre de « parfumeur de la Reine », mais « chacun sait ce que doit », selon la formule consacrée.

Jean-Louis Fargeon survit à la Révolution bien qu’il soit emprisonné durant la Terreur pour une affaire de faux assignats (fausse monnaie, accusation courante à l’époque). Il publie en 1801 L’Art du parfumeur, ou Traité complet de la préparation des parfums et devient fournisseur de la cour impériale, l’impératrice Joséphine lui dédiant sa clientèle. Il meurt en 1806 à l’âge de 58 ans.

Pour en savoir plus, lire le livre d’Élisabeth de Feydeau : Jean-Louis Fargeon, parfumeur de Marie-Antoinette, collection « Les métiers de Versailles », Paris, Perrin, 2004

 

 

15 novembre 1962 : le jour où…

Maigret vient à Suresnes…

C’est ce jour-là que paraît en feuilleton dans le Figaro le nouveau roman de Georges Simenon, Maigret et le client du samedi. Ce « client » est un nommé Planchon qui vient dire au commissaire combien il est malheureux et voudrait tuer sa femme et l’amant de celle-ci. Maigret le raisonne.

Mais un jour, l’on retrouve le corps de Planchon dans la Seine, à l’écluse de Suresnes. Maigret comprend alors que son « client du samedi » a été assassiné et mène l’enquête… Dans plusieurs ouvrages, le commissaire parisien passe par Suresnes. Car le monde des mariniers et des écluses est un décor familier au chef de la Brigade Criminelle.

Autre trace de l’univers de Simenon, c’est à Suresnes que le réalisateur Gilles Grangier (1911-1996) vint s’établir jusqu’à la fin de sa vie. Il avait réalisé Maigret voit rouge  en 1962. Ne pas oublier aussi Bruno Cremer, impeccable Maigret à la télévision, qui fut longtemps Suresnois.

 

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