Le monde du fleuve a ses règles, ses peuples et ses rites. L’Homme y a vu la richesse pour les cultures, mais aussi une protection contre l’ennemi, un élément à canaliser, à apprivoiser. Alors le fleuve a été bâti, parsemé de jetées, de moulins, les bateaux l’ont remonté, les ponts l’ont traversé. Tout un monde se crée autour de cette eau qui court vers la mer. A Suresnes le fleuve est donc incontournable et fait vivre ses riverains autant qu’il peut les tuer.
La Seine, comme ses frères le Rhône et le Rhin ou sa sœur la Loire, est capricieuse, dangereuse. L’expression « long fleuve tranquille » y est une chimère : au début du XIXe siècle la Seine est encore inhospitalière durant des mois.
Permettre l’accès à Paris des bateaux de commerce
On ne peut y naviguer en été car le tirant d’eau est faible, le niveau a baissé, la profondeur est insuffisante pour des bateaux chargés de marchandises qui s’échouent. En hiver, ce n’est guère plus réjouissant : les glaces s’en mêlent, les crues interdisent la remontée du fleuve. Un bateau met 25 à 35 jours pour aller du Havre à Saint-Denis affirme l’ingénieur Navier en 1826.
La vapeur apparaît à peine, les esquifs sont tributaires des bateliers et de leurs chevaux qui les tirent, c’est le temps des chemins de halage. Six mois par an, la Seine est impraticable. Or nous ne sommes plus au temps des invasions vikings, il est vital pour le commerce que le fleuve se transforme et soit pacifié.
En 1824, sous le règne de Charles X, il est question de canaliser la Seine, de sorte que les bateaux de commerce puissent accéder à Paris. La révolution industrielle en est à ses prémices, la circulation anarchique des marchandises sur le fleuve est un frein. Il en va de l’avenir du commerce de rendre le fleuve navigable en toute saison. Le temps des écluses et des barrages est venu.
Fin des chemins de halage
Le 6 décembre 1861, le baron Haussmann, qui ne s’occupait pas que des boulevards, signe un décret pour établir un barrage-écluse à Suresnes. Il faudra 8 ans de travaux avant que celui-ci soit fonctionnel en 1869. Trois ouvrages se succèdent sur la Seine : Suresnes, Neuilly puis Levallois-Perret. Le niveau des eaux devient constant à 2,20 mètres, les bateaux peuvent naviguer sans crainte. En 1880, de nouveaux travaux sont réalisés, l’écluse est prolongée de 57 m, un second ouvrage est construit. Ces travaux ne vont pas sans un bouleversement des berges : expropriations, fin des chemins de halage…
Mais en 1910, la crue du siècle qui inonde Paris oblige l’Etat à repenser encore une fois la régulation de la Seine. La guerre a repoussé les travaux, mais en 1926 il est décidé d’ériger un nouveau barrage à Suresnes. Plus rapide à mettre en œuvre, plus performant, le barrage signe la mort du troisième bras du fleuve, celui qui longe le bois de Boulogne.
C’est la désolation pour les pêcheurs à la ligne ! Cet endroit est un paradis, loin des péniches et près du déversoir des égouts de Passy, le poisson y pullule. Mais le progrès avance sans trop regarder les pêches miraculeuses et le bras qui longeait l’île de la Folie meurt. Les gravats issus de la transformation du Palais du Trocadéro après l’exposition universelle de 1937 sont jetés dans cette partie du fleuve et ensevelissent les restes de l’ancien barrage.
En 1933, après trois ans de labeur, 13 320 m3 de matériaux et 350 tonnes d’acier, les travaux sont achevés. Suresnes possède un barrage des plus modernes. La nouvelle écluse, achevée au même moment, complète le paysage aquatique de la ville. La Seine est apaisée, les lourdes péniches entrent dans Paris et les cafés des mariniers donnent aux bords de Seine une allure portuaire. Suresnes est encore aujourd’hui la seule porte d’entrée fluviale de Paris.
A lire pour une visite moderne des écluses www.paris-autrement.paris/les-ecluses-de-suresnes/
La prochaine exposition temporaire du MUS, en novembre, sera consacrée à la Seine