Quand l’urgence de la paix met un terme à un engrenage de haine ethnique ou religieuse qui semblait sans fin, certains lieux que rien n’appelait à la postérité s’y ménagent une place. Les noms de Camp David, Dayton ou Arusha sont ainsi devenus les symboles (1) de la recherche d’un compromis qui prend enfin le pas sur des cycles d’affrontements nourris de fanatisme.
Dans une certaine mesure, c’est ainsi que Suresnes a fait son entrée dans l’histoire. Car c’est dans ce qui n’est alors qu’un humble bourg agricole entre Seine et mont Valérien qu’ont été définies en 1593 les conditions d’un accord qui mettait un terme à trois décennies de guerres de Religion.
En posant le principe de la conversion d’Henri IV au catholicisme, les conférences tenues à Suresnes entre catholiques et protestants ont en effet amorcé la fin d’un conflit sanglant qui avait déchiré la France et qui a, par la suite, marqué douloureusement la conscience nationale.
En ce début de 1593 la situation semble bloquée : si les catholiques sont militairement affaiblis aucun camp n’apparaît en mesure de l’emporter définitivement sur l’autre. Depuis qu’en 1589 Henri III, son beau-frère, l’a reconnu sur son lit de mort après avoir été poignardé par le moine Jacques Clément, Henri roi de Navarre est pourtant devenu Henri IV et légitime roi de France. Mais la majorité du pays refuse d’obéir à un monarque protestant
A commencer par Paris, fief radicalisé de la Ligue catholique, où Philippe II d’Espagne a dépêché des troupes, où l’on fait assaut de sectarisme, et où la terreur règne contre tout suspect d’accommodement avec « l’hérésie », comme le magistrat Barnabé Brisson, Premier Président du Parlement de Paris, accusé de tiédeur et pendu fin 1591.
Retour de la paix
A deux reprises Henri IV a tenté de prendre la ville et s’y est cassé les dents. Or en janvier, les Etats généraux de la Ligue s’y sont réunis pour désigner un roi catholique. Face au risque de voir émerger un rival à la couronne, il faut donc trouver une issue, saisir le « kaïros », ce temps de l’opportunité conceptualisé par les Grecs, qui distingue les grands politiques.
Abjurer sa foi Henri IV y est prêt. Non pas, cette fois, pour sauver sa peau comme quand il y a été contraint en 1572 pour échapper au massacre de la Saint-Barthélemy, mais pour être accepté par les catholiques.
Il y est poussé par sa maîtresse, Gabrielle d’Estrées, dont la légende (aussi belle qu’historiquement inexacte) a longtemps voulu qu’il lui ait conté fleurette à Suresnes, et par le duc de Sully (celui qui, devenu son ministre des Finances, théorisera que « labourage et pâturage sont les deux mamelles de la France »).
Ils peuvent trouver appui au sein des catholiques, parmi les « malcontents » ou « politiques » qui, désapprouvant le jusqu’au-boutisme des radicaux, souhaitent avant tout le retour à la paix et la restauration de l’autorité royale.
Les charmes de «Surène» séduisent les «sherpas» du XVIe siècle
C’est dans ce contexte que le principe d’une négociation est accepté. On convient que des délégués de chaque camp se rencontreront. Il faut un lieu proche de Paris et à même d’accueillir confortablement les hauts personnages de chaque camp. Montmartre, Saint-Maur ou Chaillot sont trop petits. Saint-Germain-en-Laye est jugée trop éloigné.
Trois délégués partent donc de Saint-Denis et trois autres de Paris et s’en vont en repérage autour de la capitale. En dépit des vicissitudes de ces temps de guerres, les charmes de Suresnes ont commencé à séduire depuis un siècle de riches bourgeois qui y ont acquis des vignes et fait aménager des maisons confortables. Ils vont opérer auprès de ces « sherpas »(2) du XVIe siècle qui optent à l’unanimité pour «Surène ».
Explosion de joie
Une troupe d’au moins 22 gardes suisses est affectée à la sécurité des délégations : 8 députés côté royaliste, menés par Renaud de Beaune archevêque de Bourges, et 12 côté ligueurs, conduits par Pierre d’Espinac, archevêque de Lyon. La première rencontre se tient le 29 avril. Une trêve de 10 jours est alors déclarée à compter du 2 mai 1593.
Il s’agit d’abord de prévenir tout coup de force contre les négociateurs susceptibles de mettre à mal la voie de la diplomatie. Mais elle vaut « pour toute personne qu’ils fussent à quatre lieues de Paris et autant à l’entour du bourg de Suresnes ». La nouvelle, rapporte l’historien de Suresnes René Sordes, est « accueillie dans la capitale par une explosion de joie ».
La ville assiégée est aussi une ville affamée. Ses citadins prennent en nombre la route de Suresnes, trop heureux de pouvoir, pour certains bourgeois, revoir leur propriété aux champs, et pour les autres tout simplement de profiter de l’air pur de la campagne suresnoise qui semble alors porter une espérance de paix.
Le 17 mai, les royalistes avancent plusieurs propositions dont l’une doit donner satisfaction aux ligueurs : le roi accepte de se convertir au catholicisme. Mais la réponse traîne et aucun accord ne sera finalement conclu à Suresnes qui, de ce fait, entre dans l’histoire sans y graver son nom.
Les conférences se poursuivront le 5 juin à la Roquette, puis le 11 à la Villette. Cependant l’essentiel, le principe de l’abjuration/conversion, avait bien été acquis à Suresnes.
Celle-ci sera célébrée le 25 juillet 1593 par Renaud de Beaune dans la basilique de SaintDenis et restera gravée dans l’histoire avec l’expression « Paris vaut bien une messe », attribuée à Henri IV. Sacré à Chartres le 27 février 1594, le roi entrera triomphalement dans sa capitale le 22 mars.
1 Respectivement siège des accords dans les conflits israélopalestinien, nord-irlandais et rwandais
2 Surnom donné aux conseillers qui participent à la préparation d’un sommet politique