L’épopée Blériot a décollé à Suresnes

octobre 2020

Aviateur et avionneur de légende, Louis Blériot a marqué l’histoire avec sa traversée de la Manche. Mais c’est à Suresnes que s’est construite sa réussite industrielle.

Texte : Matthieu Frachon. Photos : MUS, Société d’histoire de Suresnes, Archives municipale

S’il est un aviateur qui marque le début de l’épopée du plus lourd que l’air, selon l’expression du photographe Nadar pour désigner certaines machines volantes, c’est sans contexte Louis Blériot. L’Histoire retient de lui la traversée de la Manche qu’il fut le premier à accomplir, le 25 juillet 1909. Mais il ne se contenta pas de cet exploit de 37 minutes, il inscrit son nom au fronton des grands entrepreneurs, et cet envol là se fait à Suresnes.

A partir de 1910, Louis Blériot entreprend de vendre son savoir-faire. Avant d’être aviateur, il est avionneur ! Ingénieur diplômé de l’école Centrale, il entend bien faire de son entreprise de construction aéronautique une réussite technique et commerciale. Le Blériot XI qui a fait la Manche doit lui remplir les poches. En août 1914, Louis Blériot rachète avec un groupe d’industriels la Société pour les appareils Deperdussin en grande difficulté. Elle est rebaptisée Société pour l’aéronautique et ses dérivés (SPAD). L’aventure peut commencer.

Le développement fulgurant de l’aviation militaire remplit les carnets de commande, mais la place manque au sein des petites usines SPAD. L’Etat propose aux établissements SPAD un vaste quadrilatère en bord de Seine à Suresnes. La mairie accorde l’autorisation d’implanter « une usine avec bureaux, remises, annexes, logement de concierge, sur la propriété bordée par le quai de Suresnes, la rue du Val d’Or et la rue de Chardin ». En 1915, l’architecte Henri Martin dirige la construction de l’ensemble qui sort de terre à une vitesse stupéfiante: 40 000 m2 de terrain, 28 000 m2 de superficie d’ateliers.

Ateliers en ébullition

A la fin du premier conflit mondial, Blériot aéronautique et SPAD auront fourni 10% des avions construits en France, construisant près de 10 000 appareils. Les SPAD s’illustrent aux mains des plus grands pilotes: René Fonck, l’as aux 75 victoires, Georges Guynemer la légende, abattu aux commandes du phénoménal SPAD S.XIII (220 km/h, considéré comme le maître du ciel), ou encore Charles Nungesser qui disparaîtra en 1927 en essayant de vaincre l’Atlantique. A Suresnes, durant le conflit, les ateliers sont en pleine ébullition, les 2500 ouvriers travaillent jour et nuit. Il sort 23 appareils par jour qui passent des hangars au quai de la Seine pour être chargés par les navires qui les emmènent vers les aérodromes puis vers les combats. Le grand ingénieur artisan de la supériorité des SPAD est Louis Béchereau que Guynemer nommait « l’as des constructeurs ».

L’ingénieur quitte pourtant la SPAD fin 1917, ses relations avec le patron Louis Blériot s’étant dégradées. Il faut dire que le patron avec ses grosses moustaches noires en crocs de boucher et ses yeux perçants, n’est pas doté du meilleur caractère qui soit.

Dur, exigeant, il veut le meilleur et exige toujours plus de ses collaborateurs. D’autant plus que la fin de la guerre signifie l’annulation des commandes d’appareils militaires et la nécessité de réussir dans l’aviation civile. Les temps sont durs et de nombreux constructeurs déposent le bilan. En 1921, Louis Blériot fusionne Blériot aéronautique et la SPAD, il rapatrie le bureau d’étude de Paris à Suresnes.

Record du monde de vitesse

C’est un jeune ingénieur de 24 ans, André Herbemont qui a la lourde tâche de succéder à Béchereau et de porter la transition civile de l’entreprise. Né un Vendredi saint, il affirme être pourvu d’une « patience angélique » ce qui provoque immanquablement un grognement de Louis Blériot. Son premier avion, le SPAD XX bat le record du monde de vitesse.

André Herbemont crée 123 prototypes qui vont battre des records. Cela ne suffit pas à Louis Blériot qui se lance dans une politique de diversification très risquée. Le patron a réalisé quelques beaux investissements après la guerre, notamment sur la Côte d’Azur, il a les reins solides. Mais les beaux jours de l’usine sont passés et la motocyclette Blériot ne rencontre pas le succès, tout comme les hydroglisseurs et les chars à voile. Pour utiliser les importants stocks de bois, Blériot fabrique des meubles et se lance même dans la construction maritime en produisant des thoniers. L’entreprise n’a plus le rythme de production qu’elle avait auparavant, son activité subit les aléas des carnets de commande.

Blériot aéronautique SPAD n’est plus qu’un réalisateur talentueux de prototypes et d’inventions qui sont réalisés en série par d’autres, comme ce Marcel Bloch qui deviendra Dassault. Le 1er août 1936, Louis Blériot s’éteint à l’âge de 64 ans. Comme un symbole alors que son entreprise est nationalisée le 11 août par le gouvernement du Front populaire. Blériot aéronautique devient la Société nationale de constructions aéronautiques du Sud-Ouest (SNCASO), ce qui est – avouons-le – nettement moins romantique.

Mais malgré tout, de nombreux ouvriers suresnois diront encore « je bosse chez Blériot » bien des années après. Aujourd’hui les bâtiments d’EADS ont succédé aux établissements Blériot, mais cela est une toute
autre histoire.

12 juillet 1917 : le jour où …

La légion d’honneur à l’usine !

C’est dans le hall principal de l’usine SPAD que s’avance ce 12 juillet 1917 un homme qui fait murmurer les quelques personnes qui ont été conviées à la cérémonie. L’homme est un pilote, sans doute le plus populaire, il se nomme Charles Guynemer. Il vient remettre en présence du ministre de la Guerre, Paul Painlevé, la Légion d’honneur au directeur technique de la firme, Louis Béchereau. L’aviateur adresse ces quelques mots à l’ingénieur : « Vous avez donné la suprématie aérienne à votre pays, et vous
aurez une grande part dans la victoire. C’est un splendide titre de gloire. C’est avec le sentiment de l’admiration et de la grande reconnaissance que nous vous devons tous, que je vous donne l’accolade. » A la fin de l’année, Béchereau quitte l’usine pour aller voler sous d’autres cieux, le capitaine Guynemer a définitivement replié ses ailes le 11 septembre 1917 au-dessus de la Belgique. Il avait 22 ans.

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