La Maison des Artistes Danois, une bohême nordique à Suresnes

avril 2022

De 1947 à 1956, Suresnes a abrité un foyer artistique important installé dans une maison rue de la Tuilerie. En 2017, deux professeurs du Lycée Paul Langevin ont sorti de l’ombre cette page trop peu connue de l’histoire de l’art.

Texte : Matthieu Frachon.

Photos : Tristan Hedoux, Pierre-Marie Deparis, Jean-Pierre Maroille

Les résidences d’artistes font désormais partie du paysage culturel. Elles sont les héritières de ces communautés des années foisonnantes de l’art, du bateau-lavoir de Montmartre. À Suresnes un groupe d’artistes danois a vécu cette expérience de vie commune dans l’immédiat après-guerre. Pierre-Marie Deparis et Tristan Hédoux ont sorti de l’ombre l’histoire trop peu connue de la Maison des Artistes Danois.

Alors professeur au lycée Langevin, Pierre-Marie Deparis découvre l’existence de cette aventure et se lance avec son collègue Tristan Hédoux dans la rédaction d’un ouvrage. Tout commence à la fin de l’année 1946. Les artistes danois ont envie de conquérir le monde au sortir d’une guerre qui les a maintenus isolés. Et le monde pour un artiste, c’est Paris. Mais la vie est chère, la France est loin.

Le peintre André Schlichting va apporter une solution. Ce Franco-Danois de retour au pays Robert Jacobsen devant la façade en meulière du pavillon. après 20 ans passés en France a une piste. L’un de ses amis, le peintre Louis Chesnay, serait disposé à louer à de jeunes artistes danois une partie de sa villa située en banlieue parisienne, à Suresnes.

Pavillon en meulière

Après avoir rassemblé quelques dons, Richard Mortensen, son épouse et Robert Jacobsen, arrivent à Suresnes sous le soleil de juin 1947. Ils sont les premiers artistes danois de Suresnes. La maison qu’ils découvrent est située au 20 rue de la Tuilerie côté cour, et donne sur la rue Victor Diederich à l’opposé. C’est un pavillon aux vitres cassées qui est enchâssé au milieu d’autres bâtiments donnant sur une longue cour.

Les voisins sont un atelier de réparation automobile à la réputation douteuse, une dame de petite vertu, un serrurier alcoolique et d’autres gens plus tranquilles. D’anciennes stalles pour chevaux expliquent le anneau « Haras de Longchamp » apposé à l’entrée de la cour. Les Danois investissent la villa des haras, un pavillon en meulière qui donne sur un vaste jardin.

La maison n’est pas confortable, elle n’est pas entretenue. Une vaste pièce au rez-de-chaussée devient l’atelier, il y a trois chambres et une cuisine à l’étage, un poêle au tirage approximatif ne chauffe pas du tout.

« Danske Kunsternhus i Suresnes »

C’est la maison des courants d’air, mais les Danois sont en France et le monde de l’art les attend. Les deux artistes se retroussent les manches et tentent de rendre la maison habitable. Petit à petit, d’autres Danois vont et viennent dans cette « Danske Kunsternhus i Suresnes ». Ils posent leurs toiles, leurs sculptures, puis repartent. Le pilier de cette communauté disparate est le sculpteur Robert Jacobsen qui restera 9 ans à Suresnes avec sa fille Lykke, soit toute la durée de cette aventure.

La vie est frugale, Jacobsen apprend la soudure et se mue en réparateur pour vivre. Mais il n’oublie pas son art. Il vit la vie d’un ouvrier-artiste, allant boire un verre au café de la Tuilerie voisin. Le soir une grande tablée réunit les artistes qui refont le monde. Des gens passent pour une soirée, d’autres viennent et repartent…

Certains sont restés des créateurs majeurs dans les Arts plastiques du XXe siècle. L’expérience se termine en 1956 lorsque les pavillons sont saisis pour laisser place à des HLM. La Maison des Artistes Danois a vécu.

3 questions à TRISTAN HEDOUX,

co-auteur de « La Maison des Artistes Danois de Suresnes », supplément hors-série au Bulletin de la Société d’histoire de Suresnes (2017).

Comment en êtes-vous venus avec Pierre-Marie Deparis à vous intéresser à La Maison des Artistes Danois ?

Ce fut d’abord le fruit du hasard. Pierre-Marie Deparis effectuait des recherches en histoire de l’art sur internet quand il remarqua que la maison de vente d’œuvres d’art Rasmussen de Copenhague proposait aux enchères un panneau indicateur mentionnant «La Maison des Artistes Danois». Il effectua les premières recherches pour vérifier l’existence d’une telle institution et la période de son occupation par les artistes danois.

Comme nous travaillions ensemble dans l’option Arts plastiques au lycée Paul Langevin, nous avons pu approfondir cette découverte et montrer que Suresnes avait été de 1947 à 1956 un foyer artistique important.

Les recherches pour réaliser votre livre ont-elles été difficiles ?

Elles furent menées de deux manières. D’abord en consultant les ouvrages sur cette maison, les biographies des artistes danois qui avaient séjourné à Paris et dans sa banlieue pendant l’après-guerre, et les archives municipales ainsi que de la Société historique de Suresnes.

Puis par la rencontre avec Lykke Jacobsen, la fille du sculpteur Robert Jacobsen, qui habitèrent tous les deux dans cette maison. Nous eûmes plusieurs entretiens et elle nous transmit de nombreux documents, en particulier des magazines et des journaux danois de cette époque. La traduction des textes danois fut faite grâce au Lions Club, par l’intermédiaire duquel nous avions pu la contacter. Son apport fut essentiel. Nous avons enfin clarifié des points grâce à la Bibliothèque nordique, annexe de la Bibliothèque Sainte-Geneviève.

En quoi ce lieu fut unique selon vous ?

Il l’est à plus d’un titre. D’abord, parce qu’à cette époque il n’y avait pas d’équivalent comme lieu d’hébergement pour des artistes étrangers à Paris. Il servait aussi de représentation artistique pour le Danemark. Ensuite, au cours de son existence, la Maison accueillit de nombreux artistes danois mais aussi d’autres pays pour des séjours plus ou moins longs et joua le rôle de pépinière. Le peintre Michaël Bruël en témoigna en estimant que «[…] cette période-là a beaucoup compté pour mon travail. Cette maison est un inestimable soutien pour les artistes danois.»

Enfin, elle représenta pour toute une génération d’artistes, d’historiens et critiques d’art et de galeristes de l’après-guerre un lieu de rencontres et de débats qui enrichirent l’art contemporain. Elle occupe donc une place éminente dans l’histoire de l’art.

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