La grande histoire des historiens de Suresnes

avril 2021

Suresnes ne manque pas d’histoire et qui dit histoire dit historiens. Il est temps de se pencher sur le puit d’où sort la vérité historique dans sa troublante nudité. Un petit tour d’horizon de ceux qu’Alain Decaux appelait « les passeurs de temps » s’impose.
Texte : Matthieu Frachon Photos : SHS, MUS, Archives municipales
Réalisé avec le concours de la Société d’histoire de Suresnes

La chronologie est maîtresse, bien évidemment. A quel moment une cité, un lieu devient un objet historique ? Vaste question qui agite les cercles pensants depuis les tréfonds des premières études. En ce qui concerne Suresnes, l’embryon d’une évocation historique est religieuse. Suresnes est rattachée à l’abbaye de Saint-Germain tenue par les Bénédictins. Durs au labeur et opiniâtres, d’où l’expression « un travail de bénédictin », les moines-copistes recensent les premiers au XIVe siècle les événements marquants rattachés à Suresnes. Il s’agit d’authentifier les reliques de Saint Leufroy, mais aussi d’une approche cadastrale et administrative. L’Eglise est une puissance financière et politique. Les moines érudits travaillent depuis l’abbaye de Saint-Germain des Prés, ils rassemblent les textes, archivent, compilent.

En 1754 paraît la première « Histoire de Suresnes ». C’est un chapitre de l’oeuvre de Jean Lebeuf, chanoine d’Auxerre et de Paris. Le religieux explore la région parisienne et note tout ce qu’il voit, ce qu’il peut lire. Il a comme ambition d’écrire une « histoire de la ville et de tout le diocèse de Paris et des environs. » Lebeuf rassemble les connaissances du temps sur Paris et ses alentours. Suresnes y occupe huit pages, ce qui n’est pas rien pour un modeste village.

Le curé historien s’efface derrière l’instituteur
Les lourds événements historiques qui suivent relèguent la recherche historique au second plan. Entre 1789 et 1870, la France connaît trois révolutions, deux républiques, un directoire, un consulat, deux monarchies et deux empires. Le curé historien va alors s’effacer derrière l’instituteur.
Le livre de l’abbé Lebeuf est réédité et complété en 1890 par Bournon, mais c’est le maire de Puteaux, Roques de Filliol, qui publie l’histoire de la Presqu’ile de Gennevilliers et du Mont Valérien en 1887.
Cette année-là, un jeune instituteur est nommé à Suresnes, il s’appelle Edgard Fournier. Les « hussards noirs de la République » ont fourni un contingent d’historiens plus ou moins éclairés, non négligeable. Fournier s’appuie sur les travaux de Narcisse Meunier, un industriel suresnois auteur d’un manuscrit très complet sur la ville de Suresnes… qui ne fut cependant jamais diffusé (la SHS et le MUS en détiennent une impression). En 1890, le livre de Fournier est publié : comme beaucoup d’ouvrages de ces instituteurs, il n’est pas toujours exact, il brode, ne vérifie pas. C’est l’époque du « roman national », de Michelet. Mais le ton est là, l’ouvrage fleure la pédagogie de la Troisième République et il est le fruit d’un authentique curieux.
En 1906, Henri Baillère publie Autour d’une source, un livre qui reflète l’importance des eaux à Suresnes. Il est le fruit d’un contentieux avec la ville autour de la source, mais il est le premier ouvrage à inclure des documents originaux.
Après la guerre de 14-18, l’étude historique suresnoise connaît un véritable boum. Le directeur du cours complémentaire, Octave Seron, réédite et enrichit le travail d’Edgar Fournier, Suresnes d’autrefois et d’aujourd’hui et bénéficie du soutien inconditionnel du maire Henri Sellier.

1926, année faste
Après trois ans de travail, l’ouvrage sort en 1926, l’année même de la fondation de la Société Historique de Suresnes. Année faste puisqu’une exposition « Le vieux Suresnes » est mise en place à la mairie.
C’est le prélude du futur musée créé en 1928 et que la SHS administrera jusqu’en 1953 (lire ci-dessous). La SHS s’installe, publie ses travaux, et prospère jusqu’à aujourd’hui. Henri Sellier considère la SHS comme une commission municipale historique.
La guerre interrompt les travaux des historiens. Mais lorsque les hostilités cessent, la recherche reprend. C’est sous l’égide de René Sordes (voir ci-contre) que de nouvelles pages s’impriment. L’Histoire continue à s’écrire. En 1953, la gestion du musée revient donc à la municipalité.
Le musée René Sordes prend une nouvelle direction en 2013 en investissant la gare de Suresnes-Longchamp. C’est la naissance du MUS, Musée d’Histoire Urbaine, plus contemporain. Avec les archives municipales et la SHS, l’histoire suresnoise possède de solides piliers qui balayent le vaste champ de la mémoire.

◗ Dossier nourri par les travaux de Michel Guillot et le soutien de la SHS et son président Jean-Marie Maroille.
◗ Pour contacter la SHS : 100 rue de la République, 01 75 54 78 67.
◗ La SHS a lancé une série de vidéos sur l’histoire de Suresnes. Une première est déjà disponible via sa page Facebook, societe.histoire.suresnes.

René Sordes, l’incontournable

Tournons le dos aux instituteurs : René Sordes (1884-1965) est un scientifique. Il va apporter toute sa rigueur à une oeuvre qui fait date. Ingénieur chimiste, spécialiste des arômes de synthèse, il est un esprit curieux qui explore l’environnement suresnois et creuse son sillon. En 1926, il est l’un des membres premiers de la SHS et en devient le président en 1932. Très investi dans la vie locale, il se passionne pour la géologie et la préhistoire. René Sordes compile, cherche, agit en véritable historien. Il déniche des documents oubliés, s’attelle à la réouverture du musée municipal en 1945. C’est à cette époque qu’il commence à travailler à son ouvrage de référence Histoire de Suresnes.
Aidé par des membres de la SHS, dont Jean Becker, l’historien Michel Guillot (auteur de nombreux articles sur l’histoire religieuse et celle du Mont Valérien), il traque les légendes, déniche la vérité, référence. En 1965 son livre paraît, mais il ne le verra pas imprimé car il est disparu deux ans plus tôt.
L’apport de René Sordes est majeur : avec sa démarche scientifique, il livre un opus sans reproches. Les notes de bas de pages sont précises, les index sont des aides précieuses et le style ne rebute pas. Peu de gens peuvent se targuer d’avoir livré une « bible », il a réussi son oeuvre.

Le musée des érudits et des historiens

Photo :
Le conseil de la SHS devant le musée, avenue Franklin Roosevelt, en 1950

Le Musée de Suresnes est l’héritier des collections de plusieurs érudits locaux. Celles de Narcisse Meunier et Edgard Fournier (lire ci-dessus), sont à l’origine d’un premier musée en 1890. Le premier catalogue en dressant l’inventaire remonte à 1904.
En 1926, le collectionneur, Xavier Granoux et l’instituteur Octave Seron, rassemblent sur le stand d’une exposition communale les documents des vitrines municipales et des souvenirs conservés dans des familles suresnoises. C’est le succès de cette manifestation qui incite le maire, Henri Sellier, à créer un musée municipal permanent géré par la Société historique et artistique de Suresnes et inauguré en 1928.
Après-guerre, le président de la Société historique de Suresnes, René Sordes, le réorganise et lui donnera son nom. Installé dans la passerelle piétonnière de l’avenue du Général de Gaulle en 1978, il doit fermer en 1998, le site s’étant révélé inadapté au déploiement des collections. Le musée renaît avec le nouveau projet scientifique et culturel du MUS, qui documente l’Histoire de la ville et se pose en référence du Patrimoine urbain et architectural de l’entre-deux-guerres.
« L’avenir de Suresnes (est) lié à son passé » écrivait Herni Sellier en 1929, titre de son édito du bulletin de la Société d’histoire de Suresnes (SHS) faisant suite à l’ouverture du musée. La maxime est plus vraie que jamais.

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