La folle aventure de la collection Granoux

novembre 2022

Membre fondateur de la Société historique de Suresnes, Xavier Granoux était aussi un collectionneur invétéré. Il a accumulé une fabuleuse collection d’art populaire qui brosse le portrait de la France de la Troisième République.

Texte : Matthieu Frachon Photos : MUS

La « collectionnite » est une affection étrange. Elle frappe sans distinction et revêt les formes les plus diverses. Cela va du classique philatéliste (1) au plus surprenant glandophile (2), en passant par l’étonnant schoïnopentaxophile (3) . L’ancien conservateur du Musée municipal de Suresnes, Xavier Granoux, a constitué pour sa part une vaste collection sur les représentations populaires de l’Histoire de son temps.

Né en 1870, Xavier Granoux n’a pas laissé une biographie très fournie. On sait de lui qu’il n’était pas Suresnois d’origine et qu’il exerçait la profession de « rentier ». Cette enviable situation, personne qui vit de ses rentes, lui permet d’assouvir une compulsion pour la collection et une la curiosité pour l’Histoire immédiate, celle de son époque. Xavier Granoux est né en même temps que la Troisième République, il a grandi avec elle, en a épousé toutes les turbulences. Le jeune Granoux décide de collectionner tout ce qui touche la vie publique agitée de cette France de la fin du 19e siècle.

En 1894, alors qu’il n’a que 24 ans, un capitaine de l’armée française est accusé d’espionnage au profit de l’Allemagne, condamné par le tribunal militaire et dégradé dans la cour de l’Ecole militaire. Il se nomme Alfred Dreyfus, son affaire est appelée à un retentissement sans précédent.

Xavier Granoux va alors faire œuvre d’historien de l’art populaire et de l’objet en compilant tout ce qui a trait à cette affaire. Du dessin de presse à la marionnette en passant par les journaux, il réunit tout un panorama de ce qui se dit, s’édite et se fabrique sur le cas Dreyfus.

Les cartes postales de l’Affaire Dreyfus

Il va particulièrement s’attacher à l’un des médias les plus populaires qui soit, la carte postale. Cette dernière ne sert pas en ce temps-là à adresser des souvenirs de Paimpol ou d’un lieu de vacances. La carte postale reprend les caricatures parues dans la presse, elle se veut saignante comme une coupure de presse, mais elle est aussi politique, commémorative, humoristique.

En 1903, Xavier Granoux livre au public le fruit de son travail : « L ‘Affaire Dreyfus : catalogue descriptif des cartes postales illustrées françaises et étrangères parues depuis 1894 » paraît chez le libraire-éditeur H.Daragon situé 30 rue Duperré à Paris.

L’ouvrage est le premier d’une collection baptisée « L’Histoire par la cartophilie. » C’est un véritable catalogue qui recense tout ce qui a été édité sous forme de cartes postales sur l’affaire Dreyfus.

Xavier Granoux s’est-il déjà fixé à Suresnes ? Sa biographie reste assez floue. Néanmoins, une caricature le montre en homme dans la force de l’âge posant « pour la postérité » en costume de la Belle Epoque, au milieu de ses collections. En 1926, le bulletin numéro 1 de la Société historique de Suresnes le qualifie de « membre fondateur » de ladite Société, habitant 25 rue des Carrières et exerçant la profession de « propriétaire ».

Le Who’s Who de la Troisième République

Le curieux homme accumule les objets et dessins les plus divers : figurines en bois, marionnettes, cartes postales, caricatures, journaux, assiettes décorées, bustes… Ces arts populaires brossent le portrait de la France de la Troisième République. Les célébrités du temps sont représentées, caricaturées ou non. Ici l’on reconnaît le président de la République Emile Loubet avec son cordon rouge et sa barbe blanche, là c’est Clemenceau en petite figurine de lutteur de foire en collant rose… (voir dans la galerie photos ci- dessous).

Et puis il y a les têtes de pipes ! En ce temps-là, la mode était aux fourneaux de pipes sculptés à l’effigie de gens célèbres, de personnages historiques ou de figures populaires : le Kaiser Guillaume 1er, Victor Hugo, le rebelle Abd-El-Kader… Mais il y a aussi Marianne, une tête de zouave avec la chéchia qui fume… C’est le Who’s who de la République et de l’époque qui est portraituré en vase, en encrier (Gambetta), en casse-noisettes (Bismarck), en moine (Combes, l’initiateur de la loi de 1905 sur la laïcité).

Une telle collection, cela s’expose ! Cela pourrait mériter un musée, ou tout du moins une salle. Mais, en 1928 Xavier Granoux organise avec l’historien Seron une grande exposition sur le Vieux Suresnes. De cette exposition naît le Musée municipal dont on nomme comme conservateur… Xavier Granoux !

Lequel s’empresse de réserver une salle pour les plus belles pièces de sa collection que les visiteurs peuvent admirer les premier et troisième dimanches de chaque mois. La presse s’en fait l’écho et le musée y trouve son compte. On parle à l’époque d’une collection de 90 000 cartes, objets et bibelots.

En 1936, Xavier Granoux quitte ses fonctions de conservateur du Musée municipal et lègue sa collection à la Ville. Il s’établit à Marseille où il meurt en 1948. Ce collectionneur compulsif (pléonasme) a laissé un témoignage extraordinaire. C’est toute l’histoire populaire de cette Troisième République qui dura 69 ans qui est rassemblée à Suresnes. Ce qui nous prouve que la caricature n’est pas une chose nouvelle, et nous en apprend beaucoup sur cette histoire républicaine, cette France qui va du Président Thiers au Président Lebrun, et a vu passer à l’Elysée 14 locataires !

 

1 Collectionneur de timbres 2 Collectionneur de balles de frondes 3 Collectionneur de cordes de pendus

Xavier Granoux (assis à droite) au Musée d’histoire de Suresnes dans les années 30, en compagnie de deux de ses fondateurs: Octave Seron (debout) et Edouard Duval (assis à gauche).

 

Cartes, figurines, pipes, tirelires, boîtes et culbutos….

Environ 60 000 cartes postales accumulées par Xavier Granoux sont conservées dans le fonds documentaire du Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes (MUS) qui a d’ailleurs fait de cette collection le thème de sa première exposition temporaire lors de son inauguration en 2013. Elles ont pour thèmes la guerre russo-japonaise, les souverains européens, la construction du métro parisien, le premier Salon de l’automobile…

Parmi l’important fonds consacré à l’affaire Dreyfus outre l’ouvrage de Granoux (lire ci-contre) le musée détient une collection complète du « musée des horreurs », une série de caricatures antidreyfusardes, nationalistes, antisémites et antimaçonniques, publiée entre 1899 et 1900.

Les autres caricatures et figurines rassemblées par Granoux représentent un nombre impressionnant de personnalités : entre autres Alphonse XIII d’Espagne, Armand Fallières, Garibaldi, Edouard VII, Kruger, Nicolas II, Raymond Poincaré, Georges Clemenceau (en clown et en lutteur !), Napoléon…

Enfin, les supports sont également très variés : boîtes de camembert, boîtes à crayons, culbutos, calendriers, boîtes de jeu « Les chasses de Caran d’Ache », pipes en terre, tirelires, tabatières, masques en papier mâché, encriers…

 

RETROUVEZ UNE SELECTION DE LA COLLECTION GRANOUX DANS LA GALERIE CI- DESSOUS

Cliquez sur une image pour visionner la galerie en entière.

Réalisé avec le concours de la Société d’histoire de Suresnes

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