La débâcle de1870 est passée par Suresnes

novembre 2020

Il y a 150 ans, un conflit dévastateur entre la Prusse et la France se déclenchait. Suresnes fut touchée de plein fouet par cette guerre, matrice du conflit mondial de 1914. Après le recul des armées françaises, l’humiliation est complète lorsque les Prussiens assiègent Paris et rentrent dans Suresnes.

Texte : Matthieu Frachon Photos : MUS, Archives municipales, Societe d’histoire de Suresnes

Le 19 juillet 1870 la France de Napoléon III déclare la guerre à la Prusse de Guillaume Ier.. La guerre des deux empires couvait depuis des mois. A Suresnes comme dans le reste du pays, nul ne doute de la victoire : les armées françaises ont triomphé en Italie, vaincu la Russie en Crimée. Le 22 juillet, le maire Jacques Lecourt ouvre la séance du conseil municipal par une harangue aussi guerrière qu’optimiste : «Nos soldats se rendent à la frontière pour défendre l’honneur outragé de la Nation. La Patrie n’est pas en danger !»

Une cagnotte de « dons patriotiques » destinée aux enfants de Suresnes, aux jeunes adultes qui partent au front, est décrétée. La petite commune de 5000 habitants voit sa physionomie modifiée par cette guerre, la première aux frontières depuis l’autre Napoléon.

Suresnes est une ville de garnison, puisque l’imposant Mont-Valérien est occupé par des voltigeurs, des hussards et des chasseurs à cheval. Ceux-ci partent pour le front et sont remplacés par la garde mobile. La loi de 1868 a institué cette garde mobile nationale, elle fait obligation à tous les exemptés de service de la rejoindre et de suppléer les troupes d’active.

La ville se militarise

Ces soldats, parfois gueulards et débraillés, se réunissent dans un des cafés de la Place Henri IV qui gardera le surnom de «Café de la Mobile ». La ville se militarise, ceux qui ne sont pas appelables même au sein de la mobile, rejoignent la Garde Nationale, le dernier rempart. Mais bon, « on les aura ! » et chacun reste confiant.

Mais les mauvaises nouvelles s’enchaînent. L’armée française recule et cède partout sous le feu ennemi. Lors de la bataille de Gravelotte, la mitraille s’abat à une telle cadence que l’on forge l’expression « ça tombe comme à Gravelotte ! » La cavalerie est hachée par les mitrailleuses, le 2 septembre Sedan tombe et l’empereur se rend à l’ennemi.

Pourtant, symptôme d’une guerre moderne, il ne suffit plus de quelques batailles gagnées pour emporter la guerre. La République proclamée à Paris le 4 septembre entend bien continuer le combat. A Suresnes, sur ordre du gouverneur militaire de Paris, les bordures en granit des voies de chemin de fer sont enlevées pour que les convois blindés puissent circuler. Les troupes du Morbihan, formant le 31ecrégiment de mobiles, arrivent à Suresnes en chantant :

« Marchons en guerre
Ne craignons rien,
Nous ferons la guerre
A ces Prussiens.
Marchons contents,
Marchons gaiement,
Vive la Bretagne !
Marchons contents,
Gaiement, marchons,
Vivent les Bretons ! »

Ces jeunes gens, dont beaucoup ne parlaient qu’imparfaitement le français, quitteront Suresnes le 27 novembre et traverseront Paris pour tenter une sortie et rompre le siège. Suresnes connaît depuis la débâcle de septembre des scènes d’exode.

Des familles entières traversent la ville sur des voitures à cheval ou à bras surchargées. On signale l’ennemi à quelques kilomètres, les récits des exactions des terribles cavaliers uhlans font frémir. La presse relaie les crimes de la soldatesque prussienne qui réagit avec férocité à la guérilla des francs-tireurs.

Le 10 septembre, le tambour résonne dans Suresnes et annonce l’arrivée des troupes de Guillaume 1er, de nombreux Suresnois quittent la ville pour se réfugier à Paris, à l’abri des fortifications.

Le 1er mars, le Kaiser traverse la Seine à Suresnes

La mairie loue un appartement au 31 de la rue d’Anjou. Il sert de « mairie parisienne de Suresnes » pour les réfugiés. Le Mont-Valérien renforcé et lourdement équipé en artillerie, donne de la voix et le bruit des départs d’obus donne une réalité tangible à la guerre.

Les effets du siège se font sentir, la nourriture se met à manquer, l’épicier vend de la graisse de cheval. Un bateau de guerre, une canonnière, est amarrée au pont de Suresnes et effectue quelques bombardements, mais les seuls Prussiens qu’aperçoivent les rares habitants restés sur place sont ceux capturés par les mobiles et les francs-tireurs.

Le 18 janvier, la bataille de Buzenval fait renaître l’espoir, mais il est trop tard. Le 25 c’est le cessez-le-feu et le 27 la capitulation. Le fort du Mont-Valérien dépose les armes, les Prussiens sont là, ils occupent la citadelle. Le 1er mars, l’humiliation suprême a lieu. L’empereur de Prusse traverse la Seine à Suresnes.

Il emprunte un pont fait de bateaux, œuvre du Génie qui remplace le pont suspendu incendié. Le Kaiser est allé se faire proclamer Empereur d’Allemagne dans la galerie des glaces de Versailles le 18 janvier, il ne reste plus à Guillaume le conquérant et l’unificateur qu’à entrer dans Paris !

A Suresnes, les troupes allemandes s’installent pour quelques semaines. Le 7 mars, elles quittent le Mont-Valérien et Suresnes tandis que la guerre civile, la Commune, gronde à Paris. De retour d’exil, le poète national Victor Hugo plaide pour que les plaies soient pansées et affirme « Ma vengeance, c’est la fraternité». Il ne sera pas entendu, et la revanche se mettra en marche en 1914…

Ernest-Antoine de Boulogne,
évêque frondeur

Parmi les personnages qui furent enterrés dans l’ancien cimetière du Mont Valérien, il en est un des plus singuliers. Né en Avignon en 1747, Ernest-Antoine de Boulogne est remarqué pour sa maîtrise du verbe. Jeune prêtre, il remporte le premier prix du concours d’éloquence de Montauban en 1773. Il monte alors à Paris, et se fait remarquer par ses prêches en chaire de Saint-Germain l’Auxerrois.

Mais il ne se prive pas de glisser quelques piques et l’archevêque le censure avant de le faire enfermer pour trois mois à la prison de Saint-Lazare. Il en sort, est élu député du clergé pour Saint Sulpice et est apprécié de la cour. La Révolution vient et le caractère réfractaire du curé s’accentue. Il refuse les décrets de l’Assemblée constituante, refuse de prêter serment et combat les divers courants théocratiques que la Révolution entend substituer au catholicisme. Arrêté trois fois sous la Terreur, il s’évade et publie moult écris anti révolutionnaires.

Emprisonné

Lorsque Bonaparte paraît, Ernest-Antoine applaudit. Il est nommé chapelain de l’Empereur, évêque de Troyes, et fait baron. Le bouillant évêque se serait assagi. Que nenni ! Lorsque Napoléon emprisonne la Pape Pie VII en 1809, l’enragé Boulogne exige la libération du pontife et traite Napoléon de tous les noms. De nouveau, il est emprisonné après avoir présidé le concile des évêques en 1811.

Le prélat éliminé, le concile dit « amen » à l’Empereur. Mis en forteresse à Vincennes, puis assigné à résidence à Falaise, il vitupère contre le souverain durant quatre ans, jusqu’à ce que le retour des Bourbon sur le trône de France vienne le remettre en selle.

Serait-il calmé ? Non, on veut le nommer archevêque mais certains royalistes sont contre, rappelant qu’il a soutenu Napoléon avant de s’y opposer. On le nomme Archevêque « à titre personnel », ce qui est une échappatoire amusante.

En 1825, il meurt d’une crise d’apoplexie et on l’enterre au Mont-Valérien. Mais le clergé de Troyes réclame sa dépouille. Louis XVIII refuse son transfert, son successeur Charles X aussi.Ce n’est qu’en 1842 que le corps de l’évêque qui disait non fut transféré à Troyes.

Histoire contée par François Sureau dans son livre « L’or du temps, un voyage au long de la Seine qui
passe par Suresnes »  (éditions Gallimar)

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