Et le mont Valérien se fortifia

février 2023

Elle a changé la vocation d’un site jusqu’alors consacré principalement à la religion : en 1846, après six ans d’intenses travaux, la forteresse du mont Valérien est déclarée apte au service. Construite dans le cadre du vaste programme de fortifications vouées à protéger Paris, elle était le plus important des 14 ouvrages érigés au terme de chantiers pharaoniques.

Texte : Matthieu Frachon

Images: MUS, SHS

« Paris fortifié » ! En 1818 la capitale se relève de deux invasions, les cosaques et les uhlans(1) sont entrés dans Paris. Cette année-là nait le projet de ceindre la capitale d’ouvrages fortifiés devant la protéger des féroces soldats qui pourraient mugir de nouveau dans nos campagnes franciliennes dans un futur plus ou moins proche.

La tendance à s’enfermer derrière des murs n’est pas nouvelle : depuis Philippe Auguste au XIIIe siècle, l’érection parisienne a donné naissance aux murailles du Louvre, à l’enceinte de Charles V et aux portes fortifiées de la barrière des fermiers généraux. La ville ne cesse de dépasser ses limites, elle s’étend, absorbe des villages comme Ménilmontant ou Belleville, tout se touche et on ne sait plus où finit la capitale.

Le traumatisme de l’occupation des troupes étrangères impose une défense de Paris plus conséquente et plus large. La patrie de Vauban retourne aux fondamentaux de l’art de la défense militaire d’une ville, la fortification. C’est le Président du Conseil Adolphe Thiers, futur premier Président de la Troisième République, qui va lancer les chantiers.

En 1840 l’Angleterre, la Russie, la Prusse et l’Empire Austro-Hongrois signent le traité de Londres, une protection de l’Empire Ottoman dirigée contre la France et qualifiée de « Waterloo diplomatique ». C’est l’aiguillon pour les partisans des fortifications qui convainquent le roi Louis-Philippe.

L’ensemble des travaux est du type pharaonique : édification de 14 forts sur 51 hectares par 50 000 ouvriers, 9500 chevaux et un budget de 140 millions de francs-or. Le tout est placé sous la direction du général du Génie Dode de la Brunerie.

La seule forteresse du dispositif

Le mont Valérien est un site remarquable et remarqué. Jusque-là sa destinée a oscillé au gré de l’Histoire entre le religieux, le révolutionnaire puis l’impérial. Sa situation dominante ne peut que convaincre les militaires d’y implanter un ouvrage fortifié. On se dirige au début vers un fort qui couronnera le promontoire, un édifice sur le modèle des forts qui vont encercler Paris à Ivry, Aubervilliers ou Issy.

Mais la situation particulière du mont force les ingénieurs du Génie militaire à revoir leurs ambitions à la hausse. Ce ne sera pas un fort, trop petit et indéfendable, mais une forteresse, la seule du dispositif ! Cinq bastions se répartissent sur les pentes et entourent les bâtiments principaux. Les travaux ne sont pas du goût de tout le monde. Le courant religieux catholique y voit un blasphème et voudrait que le mont Valérien retourne à son origine de mont de piété. Certains habitants de Suresnes s’alarment par voie de presse de la présence d’une poudrière à proximité de chez eux.

Mais où l’armée passe, l’opposition trépasse et la forteresse se bâtit sous la direction du colonel Vaneechout. Dix heures par jour les ouvriers et les sapeurs (militaires) déblaient, érigent, creusent. Un ouvrier transporte, selon les savants calculs de l’autorité militaire, entre 20 et 40 tonnes de sable par jour.

Débats sur le salaire des ouvriers

Les difficultés apparaissent au fur et à mesure : la qualité du sable est médiocre, des éboulements ont lieu, il faut consolider certains murs. Le 2 mai 1843 un éboulement fait douze victimes, ouvriers, militaires-sapeurs et terrassiers. La question du salaire des ouvriers est âprement débattue entre les entrepreneurs civils et la direction militaire des travaux.

Dans un rapport le capitaine Humbert attire l’attention de sa hiérarchie sur l’inégalité du traitement et propose une solution au profit des ouvriers. On ne sait si cette vision sociale a été retenue. Le chantier se poursuit, on invente des machines à chevaux pour broyer terre et cailloux et élever les hauts murs.

En décembre 1846, la forteresse est déclarée apte au service, terminée après six ans d’intenses travaux. Haute de 135 mètres au-dessus du niveau de la Seine, elle est bien différente des forts qui ceinturent Paris. Elle est isolée, contrairement à eux et couvre seule l’ouest de la capitale. Ses dimensions sont imposantes avec 23 hectares, cinq bastions et 600 hommes en garnison.

La forteresse couvre les routes d’Evreux et de Saint-Germain, le récent chemin de fer de Versailles, un réseau de chemins lui permet de concentrer des renforts. L’artillerie viendra plus tard renforcer ce dispositif avec les canons modernes à longue portée.

La forteresse est prête à affronter l’ennemi et à entrer dans l’Histoire. Elle canonnera le Prussien, servira de prison au faussaire de l’affaire Dreyfus, sera le lieu iconique des martyrs de la Résistance… D’autres pages à connaître et à lire.

1 Formations de cavalerie légère, composées de lanciers

 

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Quand Suresnes posait un lapin

Selon de sérieuses sources (1), la recette du lapin à la gibelotte est suresnoise. Elle a été imaginée à l’auberge du Père Lapin dans les années 60 (1860 bien entendu).

En ce temps là le lapin abondait dans la campagne francilienne au-delà des barrières de l’octroi (2) . Facile à attraper et à braconner, il faisait florès sur les tables des restaurants et des ménages.

Quant à l’auberge, ce n’est pas cette spécialité qui lui aurait valu son nom. Elle aurait été ainsi baptisée en hommage à l’activité des ouvriers qui avaient creusé le mont Valérien tout proche pour ériger le fort et que l’on surnommait…les lapins !

1 « On va déguster Paris », François-Régis Gaudry et ses amis, Éditions Marabout. 2022

2 Limites de recouvrement de la taxe municipale parisienne perçue sur les marchandises qui correspondaient approximativement au futur tracé du boulevard périphérique.

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