Et le Mont Valérien devint suresnois

janvier 2021

Avec l’implantation d’un fort sur le mont Valérien, le rattachement administratif devint un enjeu politique et économique. Longtemps fluctuante l’attribution fut faite à Suresnes en 1850. Texte : Matthieu Frachon Photos : MUS, Archives municipales

L’attribution administrative des territoires obéit à des lois parfois aussi étonnantes qu’obscures. Ainsi bien au sud de Suresnes, le voyageur se retrouve avec un pied dans la Drôme, un autre dans le Vaucluse et pourrait d’un simple élan kilométrique remettre ses pas dans la Drôme, depuis l’enclave des papes. Le mont Valérien n’a pas échappé à cette attribution territoriale fluctuante.
Jusqu’en 1850, le lieu dépend de trois communes : Rueil, Nanterre et Suresnes. Les missionnaires occupent le terrain, Suresnes tire du profit des visiteurs qui empruntent le bac pour s’y rendre et nul ne songe à revendiquer la globalité du mont.
Oui, mais… La révolution de 1830 chasse les religieux, le cimetière est délaissé et surtout en 1841, le gouvernement Thiers décide de bâtir un fort sur le mont Valérien. Voilà qui change tout. Un fort, c’est du mouvement, des soldats, un apport économique. En 1844, les autorités militaires prennent possession des lieux et la question de la possession administrative devient cruciale.
A qui allait-on attribuer le code postal du mont Valérien ? L’administration prit son temps, l’Histoire ayant un peu fait bouger les lignes avec la révolution de 1848 et la chute de Louis Philippe. La loi du 9 aout 1850 décrètera finalement que le territoire du mont Valérien est attribué entièrement à la commune de Suresnes. Les parties autrefois dévolues à Rueil et à Nanterre deviennent suresnoises.

Il est vrai que Suresnes avance alors des arguments plus que solides pour revendiquer le rattachement total de ces terrains. L’entrée du fort est déjà sur le territoire de la commune, toutes les maisons des alentours sont suresnoises. Si l’on examine l’aspect routier, on constate que si « toutes les routes mènent à Rome », toutes les voies stratégiques qui vont au fort passent par Suresnes. Les terrains appartiennent à des habitants de Suresnes si l’on se penche sur le foncier. Et que dire du postal ? C’est l’administration des postes suresnoise qui dessert le fort ! Il y a aussi l’aspect moral : pour construire le bâtiment, les infrastructures et les routes, on a bien réduit la circonscription. Sans parler des recettes du bac qui ont bien baissé depuis le départ des religieux.
La logique administrative ne fut pas déroutante. Elle entendit les arguments de la commune et Suresnes y annexé le mont Valérien en toute logique, légalité et sans avoir fait couler autre chose que de l’encre !

 

 

Et de quatre !

Entre 1792 et 1929, sans tirer un coup de canon, Suresnes réalise quatre annexions :
Le pas Saint-Maurice durant la Révolution,
Le mont Valérien en 1850,
Un bout de Rueil lors de l’édification de la Cité-jardins,
Et enfin, en 1929, la chute des dernières enclaves de Nanterre sur le plateau Nord.
Ce dernier rattachement fut le fait des habitants de ces endroits. Quatre-vingt-quinze citoyens de Nanterre voulurent être Suresnois. L’aspect pratique là encore l’emporta : pour se rendre à Nanterre effectuer la moindre démarche, ces habitants parcouraient plus de route que s’ils dépendaient de Suresnes. De plus, ils devaient traverser une zone peu hospitalière tenue par les chiffonniers de Nanterre. La pétition ayant recueilli 155 signataires, dont 95 Nanterrois, l’affaire est entendue. De là à faire de Suresnes une puissance colonisatrice, voire prédatrice, il y a un pas que nous nous refusons à franchir.

Le 6 janvier 1937 : le jour où…

Les enfants de Guernica ont chanté à Suresnes

Guernica, blessure indélébile pour le Pays basque espagnol. Le 26 avril 1937, les pilotes allemands de la légion Condor bombardent la petite ville de Guernica (7 000 habitants). Ce lundi est jour de marché et par deux vagues les bombardiers allemands lâchent cinquante tonnes de bombes. Pour la première fois dans l’Histoire, un objectif purement civil est attaqué par les airs.

La ville est rasée, le retentissement mondial est énorme. La France se propose d’accueillir les réfugiés de Guernica, notamment les enfants, un comité d’aide est créé. Cinquante d’entre eux sont accueillis à Suresnes au sein de la paroisse Notre Dame de la paix. Le froid s’installant, ils sont logés à la salle paroissiale Notre Dame de la Salette. Ces enfants forment une chorale Elaï-Alaï, et c’est l’abbé espagnol Da Costa qui s’occupe d’eux.

A Suresnes, on vient les écouter répéter leurs chants basques, un élan de générosité se forme pour les vêtir, les nourrir sous l’égide du père Lhande qui leur servit d’aumônier. Les petits Basques de Guernica quittent Suresnes à la fin de l’année 1937 pour être logés à Paris, plus confortablement. Mais le jeudi 6 janvier, ils reviennent dans la ville. Cet après-midi là, ils donnent un concert pour la paroisse de Suresnes à la salle de Notre Dame de la Salette. Le cardinal archevêque de Paris, Monseigneur Verdier s’est déplacé.

A quelques jours de l’épiphanie, les voix d’enfants ont résonné, oubliant cette folie des hommes que Picasso a exprimé dans son célèbre tableau (*) exposé quelques semaines auparavant au pavillon espagnol de l’Exposition universelle de Paris.
Les enfants de Guernica ne sont pas les seuls à trouver refuge en France et à Suresnes. Depuis le déclenchement de la guerre civile en 1936, le gouvernement du Front populaire considère les réfugiés comme des « asilés », selon une étonnante terminologie administrative. Les hommes valides sont internés dans des camps surveillés, alors que femmes, enfants et vieillards sont répartis dans 77 communes en France. Les organisations syndicales avec la puissante CGT en fer de lance se mobilisent. Des comités d’accueil se constituent et organisent la vie des réfugiés.

A Suresnes, la CGT a transformé une ancienne usine, refaisant la plomberie, l’installation de gaz, l’électricité et faisant de l’ancien hall une cantine. Le 29 juin 1937, les enfants commencent à affluer, ils viennent de Santander dans les Asturies.
Les petits réfugiés sont examinés et vaccinés par les docteurs Stoffer et Rigaut. Ce centre de transit va recevoir 4000 enfants au total.
Cela ne se fait pas sans heurts et la politique vient s’en mêler : au centre du Val-d’or à Saint-Cloud un certain François Martinez, cégétiste de Suresnes d’origine espagnol provoque une fronde. Ce chômeur est employé au camp contre une rétribution de 20 francs par jour et la direction veut le renvoyer. Il mobilise les enfants et adolescents réfugiés qui vont jusqu’à jeter des pierres sur les gardes mobiles venus sur place. Martinez est réintégré et le calme revient. En 1938, la chute du gouvernement du Front populaire durcit l’accueil des réfugiés espagnols. Tous ne chantèrent pas…

(*) Lors de l’exposition, un Allemand en uniforme s’est adressé au peintre et lui a demandé en montrant le tableau : « C’est vous qui avez fait ça ? » Picasso lui a répondu « non, c’est vous ! ».

 

Réalisé avec le concours de la Société d’histoire de Suresnes

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