Dramatique promenade !

mai 2023

En 1804 un accident de calèche coûte la vie à la jeune Camille Desbassayns de Richemont, enfant d’une famille de la noblesse proche de Napoléon. Le drame, survenu au sein d’une des familles fortunées qui avaient choisi Suresnes pour villégiature sous l’Empire, créa un émoi considérable dans la population. Cette bienveillance amena la comtesse à financer en retour la tradition des Rosières, aujourd’hui tombée en désuétude.

Texte: Matthieu Frachon

Photos: MUS

En cette période impériale du début du XIXe siècle, Suresnes devient une villégiature prisée des nouveaux puissants créés par Napoléon. Le petit village voit s’ériger plusieurs demeures bourgeoises et se « gentrifie » un peu grâce à la proximité de Malmaison, le château où résident le futur empereur et sa femme Joséphine. Un dramatique accident va faire entrer l’une de ces familles, les Desbassayns de Richemont, dans la mémoire collective de la ville.

Par un beau jour de juillet 1804, on se prépare à partir dans la cour du château des Landes à Suresnes au pied du Mont Valérien. La maîtresse de maison, la comtesse Jeanne Panon Desbassayns de Richemont a fait atteler la calèche pour aller au château de Rueil-Malmaison. Si elle se rend en quasi-voisine à la demeure de Napoléon alors encore Premier Consul, c’est parce que sa famille est « en cour », selon l’expression consacrée.

Son mari, Philippe Panon Desbassayns de Richemont est chargé de missions délicates comme les négociations avec l’Angleterre. Jeanne est surtout une amie de Joséphine de Beauharnais et Napoléon lui a tourné un beau compliment, la comparant à un portrait exécuté par Raphaël : « Cette madone, madame, est aussi belle que vous, car vous êtes aussi pure qu’elle. »

La calèche se renverse dans un virage

Durant cette période d’été la famille Panon Desbassayns de Richemont a quitté l’île de la Réunion où Philippe possède des terres, pour prendre ses quartiers à Suresnes. Le temps est beau, Jeanne monte à bord de la calèche avec sa fille Camille âgée de trois ans. Mais il a beaucoup plu les jours précédents et la route escarpée qui mène au château de Rueil-Malmaison est creusée de profondes ravines.

Au détour d’un virage en descente, la calèche se renverse entraînant équipage et passagères. Le choc a été violent, mais la mère, la fille et les cochers se relèvent. Ils semblent juste commotionnés. Le médecin personnel de Bonaparte se rend au château des Landes pour examiner Jeanne et Camille. Il se montre rassurant, plus de peur que de mal.

Mais le 21 août, plus d’un mois après l’accident, la petite Camille se sent soudainement mal. Alors qu’elle regarde les images d’un livre avec sa mère, elle se met à délirer puis est prise de convulsions avant de s’évanouir. Jeanne se précipite chez le docteur Girard, médecin à Suresnes.

Hélas, la petite fille meurt en arrivant dans le cabinet du docteur. Ce dernier diagnostique un caillot de sang au cerveau. La comtesse, qui a déjà perdu un enfant en bas âge l’année précédente, est effondrée. La petite commune de Suresnes est bouleversée.

Des lettres touchantes affluent au château, le conseil municipal s’associe au deuil de la famille : il n’est pas un jour sans que des marques d’affection ne soient prodiguées à la maman de Camille. Les obsèques sont émouvantes et suivies par tous.

Le 14 février 1805, Jeanne Panon Desbassayns de Richemont écrit une lettre au maire, Monsieur Bidart. Elle y souligne : « J’ai reçu des habitants du village des secours et des preuves de sensibilité dont mon cœur a été vivement touché. » La comtesse propose à la commune la création d’un prix de vertu en faveur des jeunes filles de Suresnes afin d’y « rétablir l’utile et bienfaisante institution de la Rosière. »

Ce prix qu’elle propose de financer, sera décerné le 21 août, date anniversaire de la mort de Camille. Aujourd’hui tombée en désuétude, la tradition « rosiériste » remonterait à Saint Médard en 530. L’évêque de Noyon avait imaginé récompenser la jeune fille la plus méritante en la couronnant de roses lors d’une cérémonie et en offrant 25 livres pour sa dot. La Rosière était distinguée par un comité qui examinait les candidates les plus dévouées à leurs parents, les plus pieuses, les plus « moralement et chrétiennement irréprochables. »

Ce prix de vertu s’est répandu partout en France, « fille aînée de l’Eglise » et connut une grande vogue au XVIIIe siècle. A Suresnes il était apparu en 1777 sous l’égide de l’abbé d’Héliot. La Révolution le fit disparaître en 1793. La mort de Camille et la volonté généreuse de la comtesse provoquèrent sa renaissance. La proposition est aussitôt acceptée par le conseil municipal. Et c’est ainsi que d’un drame naquit une œuvre de bienfaisance. L’Histoire s’en est ensuite mêlée, puisque à la très catholique Rosière du départ, il fut adjoint une Rosière laïque en 1913. Ce qui fit de Suresnes jusqu’en 2012, avec quelques interruptions, l’une des rares communes à couronner le même jour deux vertueuses jeunes filles.

 

Aristide Corre l’étrange fusillé du Mont-Valérien

L’histoire des fusillés de Suresnes est décidément remplie de parcours étonnants, parfois atypiques mais illustrant la diversité des visages de la Résistance. Parmi eux Aristide Corre qui suit avant-guerre une trajectoire emblématique au sein de « La Cagoule », mouvement d’extrême-droite qui avait conçu un vaste plan pour renverser la République, et terminera pourtant en martyr à Suresnes au MontValérien.

Le 24 juin 1977, sur le plateau de la célèbre émission de Bernard Pivot « Apostrophes », le journaliste Christian Bernadac présente un étonnant document : « Les carnets secrets de la Cagoule » (éditions France Empire).

Sous son pseudonyme Dagore, Aristide Corre a été l’archiviste du CSAR, le Comité Secret d’Action Révolutionnaire, nom véritable de la Cagoule. En 1937 le mouvement est démantelé alors que ses membres s’apprêtent à réaliser un coup d’Etat. La plupart fuient en Espagne se réfugier chez Franco. Lors de l’Occupation, nombreux ex-cagoulards choisissent la collaboration, tel le président-fondateur Eugène Deloncle.

Mais Aristide Corre, aussi extrémiste et antirépublicain soit-il, ne supporte pas de voir son pays occupé et il rejoint la Résistance. Il est arrêté en mai 1942 sous le nom de Claude Meunier. Il rencontre le Père Joseph Filly, lui-même emprisonné, qui sert de confesseur aux détenus. Il lui confie avoir caché ses archives du CSAR et lui demande de les récupérer s’il le peut.

Le 31 mai aux côtés d’autres otages, l’ancien Cagoulard est fusillé au Mont-Valérien. Le Père Filly part en déportation. À son retour il récupère les précieuses archives et les transmet trente ans après à Christian Bernadac…

 

Réalisé avec le concours de la Société d’histoire de Suresnes.

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