Aux origines des lieux-dits de Suresnes

juillet 2023

Avant que les rues ne portent les noms de personnages célèbres, d’épisodes historiques ou de valeurs républicaines, les lieux-dits, dont les appellations sont toujours familières à Suresnes, illustraient la réalité géographique et géologique ou les particularités de la vie rurale.
Texte : Matthieu Frachon Images : MUS

Ne vous êtes-vous jamais demandé pourquoi votre cousin se nommait Dupont ? Ou comment se faisait-il que Dupré soit un homme des villes ou Latour habite un pavillon ? Les hommes furent nommés selon leurs caractéristiques physiques, leurs habitats, leurs métiers : Baker en Angleterre a eu des ancêtres qui pétrissaient le pain, Gallo a sans doute eu des aïeux qui élevaient des poules en Toscane.

L’histoire des lieux, en particulier des rues, obéit au même rituel. Les artères communales portent souvent des noms restés illustres, ou d’autres estimés de leurs contemporains, mais dont la renommée s’est diluée dans le temps. Mais avant le coin de rue ? Avant que l’on pave, que le monde moderne fasse irruption, comment nommait-on les lieux ?

Terres blanches, Val d’or, Fécheray, Cherchevets ou Bas Rogers : ces lieux-dits sont encore très présents à Suresnes, grâce notamment à Henri Sellier qui, membre de la Commission du Vieux Paris, soumettait les appellations tirées du terroir ancien à la Société historique de Suresnes.

Plus en amont on doit, relève Michel Guillot dans son introduction à « La belle histoire des rues de Suresnes », à deux bénédictins de l’Abbaye de Saint-Germain-des-Prés – Hilarion Chalant en 1669 puis Philibert Duroussin en 1752 – et à un géomètre – Jean-Baptiste Charpentier en 1731 – les premiers recensements des différents cantons et lieux-dits, qui seront repris par le cadastre napoléonien de 1813.

Champs, vignes et bois

Si cet art du lieu-dit incite aujourd’hui au vagabondage de l’esprit, le sens de ces appellations relevait alors surtout du pragmatisme géographique et des nécessités agricoles.

A Suresnes, il y eut ainsi la rue d’en-Haut (rue Émile Zola et rue de Verdun) qui était sur la partie haute du village et la rue d’en-Bas (rues de Saint-Cloud, des Bourets et LedruRollin) qui était fort logiquement sur le bas.

Les voies perpendiculaires ne sont que des chemins de campagne, plus ou moins nommés. Ils mènent à l’ouest vers Rueil et SaintCloud et à l’est vers Nanterre et Puteaux aux champs, aux vignes et aux bois.

Au fil de l’histoire politique et sociale, les patronymes des rues épouseront la tradition républicaine, rendront hommage aux grands personnages communaux, et traduiront les mutations urbaines de la ville industrielle.

Mais il suffit de vagabonder sur une ancienne carte, un vieux parchemin d’avant la Révolution, d’avant la République, pour imaginer des bois, des êtres légendaires, des dangers, des vieux métiers… Bref un monde de lieux-dits qui ont tant à nous dire.

 

Petit inventaire historique des appellations

Les Bochoux ou Bachoux renvoient au vieux vocable qui signifie « bosquets » et les Bois Roger ou Barogées – aujourd’hui rue des Bas Rogers – ramènent à un domaine boisé qui aurait appartenu à un dénommé Roger, témoignent d’un temps où une partie du territoire suresnois était couverte de forêts.

 La Ruelle aux Boeufs devait sentir l’étable, elle est devenue Rue du Bac lorsque celui-ci fut mis en service.

Pour le lieu-dit des Courqueux ou des Courtes-queux, toutes les interprétations, y compris les plus scabreuses, sont permises.

Les Couvaloux ont gardé leur nom de lieudit en référence aux couves à loups, pièges à loups, ce qui prouve que la ville fut assez sauvage et dangereuse.

Sur le lieu-dit de La Croix du Roy s’élevait – fort logiquement – une croix, mentionnée en 1490. Un moulin s’installa à proximité au 17e siècle.

Le clos des Ermites est une magnifique survivance de la tradition des ermites de Suresnes, en théorie religieux retirés du monde. En fait c’était l’allée centrale d’une vaste propriété tenue par les ermites du Mont-Valérien qui faisaient un vin assez renommé. Le nom de la rue était Sente des Ermites.

La Terrasse et la rue du Fécheray héritent quant à elles d’un lieu-dit dont le nom connut de multiples variations désignant toutes les fougères.

Il est permis d’apprécier la légende du chemin des Hocquettes : ce serait un ancien lieu de supplice où les pendus hoquetaient avant de rendre leurs âmes funestes. Mais on peut avancer plus prosaïquement que Hogue en vieux français signifie « petite hauteur ». Autrefois, c’était la Sente du pas Saint-Maurice (saint patron de Nanterre).

Que penser du lieu-dit Le pain moisi qui voisinait avec une parcelle dénommée les rats ? Rien de bon, assurément ! Une autre explication affirme qu’il s’agissait du « pain de Moïse ». Ce qui ne résout pas le voisinage de ces fichus rats !

Le nom de la rue du Petit-trou venait-il d’une cavité de faible taille ou d’un fossé ? Nul ne sait : c’est aujourd’hui la rue Gustave Flourens (du nom d’un communard tué par un gendarme dans une auberge de Rueil).

Et la Fontaine du Tertre, ou du Tartre en vieux français ? Le lieu fait référence à une source où Sainte Geneviève, patronne de Paris et de la Gendarmerie, venait faire boire ses moutons. La source existe toujours, elle coule depuis le cimetière américain jusqu’au réseau d’eau de la rue Worth.

Les Tourneroches se sont toujours appelés comme cela, même lorsque ce n’était qu’un lieu-dit. L’historien Sordes pense qu’il pourrait être question de monuments celtiques, les tourne-roches.

L’origine du lieu-dit des Terres blanches est facile à identifier : la terre était crayeuse à cet endroit.

Le Val d’Or, aujourd’hui incarné par la gare éponyme, fut d’abord successivement appelé Vaudor, Vaulx d’or, Vaux d’or et Veau d’or. Pour autant, il ne renvoyait pas à une idole mais plus probablement à un val fertile richement planté entre Suresnes et Saint-Cloud.

Dans le même esprit les Vellettes sont le pluriel de val ou vallée.

➜ Pour en savoir plus : « La Belle Histoire Des Rues De Suresnes », édité par la SHS en vente au MUS et sur suresnes-boutiques.fr

Des noms inspirés par la vigne

Sur cette terre de viticulteurs, la vigne a inspiré plusieurs lieux-dits. Celui des Bartoux pourrait être une déformation d’un terme de vigneron signifiant « planter ».

Les Verjus évoquent le jus acide de raisin cueilli avant maturité, tandis que les Bons raisins se passent de commentaire.

La rue des Trois arpents tire son nom d’un clos où un ordre religieux fabriquait le vin de Pâques distribué aux Suresnois lors de cette fête. C’est aujourd’hui la rue Georges Appay, du nom d’un imprimeur résistant fusillé en 1942.

Dénomination plus récente, l’actuelle rue des Bourets (l’ancienne « rue d’en-Bas ») tient peut-être elle aussi son nom d’un raisin cultivé à Suresnes.

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