Les peuples des temps anciens passent du nomadisme au sédentarisme. Ils se fixent dans des lieux où se trouvent des éléments vitaux pour leur survie. « Les Parisii », tribu gauloise ancêtre des Parisiens, a connu sa puissance grâce à sa maîtrise de la Seine.
Elle a d’abord surgi sur le site de Nanterre, avant de coloniser l’île de la Cité. Mais le fleuve n’est pas tout et l’eau qui jaillit d’une source possède de nombreux attraits. Elle est l’objet de cultes, elle est vitale, elle est sacrée. Nous avons tous en mémoire l’image de ces sourciers traquant le filet d’eau tant désiré.
A Suresnes trois sources sont identifiées. La première est celle des Vaux d’or. Il ne s’agit pas bien sûr de l’idole adoré par les Hébreux, l’animal mythique qui provoqua la colère de Moïse, mais du pluriel de val d’or, le vallon fertile. Elle est issue de la couche marneuse du coteau de Saint-Cloud, à la limite de cette commune et sa présence est très ancienne. Elle est attestée par de multiples affaires de justice.
Batailles juridiques pour la fontaine des Vaux d’or
En 1606, Monsieur Albin Ducarnoy (ou Du Carnoy), orfèvre et valet de chambre d’Henri IV, et Monsieur Aubéry conseiller du Roi, acquièrent deux propriétés auprès du Cardinal de Gondi. Ducarnoy achète le château de la Source, Aubéry celui de Suresnes. Les deux hommes, pas particulièrement amis, font des travaux très importants pour amener l’eau de la fontaine des Vaux d’or dans leurs propriétés.
Ce n’est pas du goût des religieuses de la confrérie des Dames de Longchamp qui accusent les propriétaires, ainsi qu’une dame nommée Le Féron, de s’être accaparés la source en la détournant. Les Dames assurent qu’une canalisation traversait la Seine pour amener le précieux liquide à l’Abbaye. Le procès dure de 1615 à 1624 et se termine par un verdict en faveur des religieuses qui les autorise à utiliser les eaux de la source. Mais à charge pour elles de les amener à Longchamp. Le coût des travaux a dissuadé les Dames de Longchamp et la source reste sur la rive gauche, c’est une victoire judiciaire mais une défaite technique et financière.
En 1891, c’est un certain Henri Baillière qui est propriétaire depuis 1873 du château de la Source, tandis que le château de Suresnes appartient aux docteurs Magnan et Bouchereau qui dirigent la Maison de santé. Cette année-là les châtelains s’adressent au maire de Suresnes, Albert Caron, afin de solliciter l’autorisation de réparer une canalisation de la source des Vaux d’or.
Cette source aboutit dans un réservoir qui se trouve dans une tourelle, vestige des guerres de religion datant de 1559, qui se dresse sur la rue de Saint-Cloud.
Démolition de la tourelle de la source des Vaux
Or le Conseil municipal répond en demandant la démolition de la tourelle qui «gène la circulation et empiète sur la rue ». Les propriétaires protestent, le Conseil municipal se déplace et propose de démolir la tourelle aux frais de la commune qui alloue 15 francs par mètre pour les trois ou quatre mètres que récupèrent la ville. De manière très républicaine et laïque, et quelque peu excessive, un membre du Conseil lance : « Tout cela vous a été donné par les curés, on sait que la révolution française a aboli les donations des curés !»
La suite lui prouva que non. Henri Baillière (lire ci-contre), ancien juge du tribunal de Paris intente un procès à la commune, appuyé par les propriétaires du château de Suresnes, en 1892. En 1896 le tribunal civil de Paris nomme un expert. Ce n’est qu’en 1899 – tempus fugit stat justis – que le verdict du tribunal donne tort à la ville de Suresnes dans cette affaire aquatique.
La tourelle qui avait résisté à toutes les avanies depuis le XVIe siècle est finalement démolie en 1907 car elle obstrue la rue de Saint-Cloud, mais la municipalité fait reconstruire à ses frais une réplique dans la propriété. Entretemps, Henri Baillière a revendu le château de la Source au parfumeur François Coty.
En 1910, la source va démontrer son utilité. La crue de la Seine rend impossible la distribution d’eau potable. La direction de la Maison de santé ouvre la fontaine de son parc au public et assure la distribution. Mais depuis 1975, il n’y a plus d’eau, plus de fontaine et la source des Vaux d’or a disparu pour des raisons inconnues.
Les miracles de la fontaine du Tertre
Une autre source répertoriée est celle de la fontaine du Tertre. Aujourd’hui, c’est celle-ci qui semble viable et suscite l’intérêt de la Ville. Elle provient des pentes du Mont-Valérien, de leurs eaux marneuses. On en trouve mention dans des actes de propriété de 1660. Au XIXe siècle, la fontaine située à l’actuel emplacement du cimetière américain eut une réputation de faiseuse de miracle. On raconte qu’elle est consacrée à Sainte-Geneviève (sainte patronne de Paris et de la Gendarmerie). Mais la ferveur s’éteint.
En 1901, les eaux sont analysées par le laboratoire de Police de la Préfecture de Paris. Les Suresnois trouvent l’eau municipale d’un goût douteux et se plaignent. Le laboratoire déclare l’eau du Tertre de bonne qualité et des citoyens viennent s’approvisionner à la fontaine, délaissant l’eau de la ville. Il est même créée une borne fontaine pour amener l’eau au cœur de Suresnes.
Mais en 1906, coup de tonnerre : le même laboratoire déclare l’eau du Tertre impropre à la consommation, non-potable. Le maire ferme la fontaine, la fait démolir, et dirige le flux vers les égouts. C’en est fini de l’eau du Tertre.
Troisième source, celle dite de la Fontaine de Piron. Elle tire son nom de l’ancien occupant d’une propriété située sur l’actuel parc des Landes, un bourgeois parisien du XVIIe . Elle aussi a disparu, sans doute lorsque le château des Landes fut rasé en 1870.
Donc les sources n’ont pas survécu au temps et il n’y a plus vraiment de fontaines. On ne se querelle plus pour des histoires de robinet, mais cette aqua simplex reste essentielle et précieuse. La ruée vers l’eau a pourtant bien eu lieu.