Au cœur de celle que Charles de Gaulle nommait « la guerre mécanisée », les bombardements sont tout au long de la Seconde Guerre mondiale une arme massivement employée. Il s’agit, selon la doctrine du Marshall de l’air anglais Arthur « bomber » Harris, de détruire le tissu économique de l’Allemagne, y compris dans les pays occupés, et d’atteindre le moral des populations.
Suresnes ne fut pas épargnée par cette stratégie du « bomb carpet » (tapis de bombes). Mais ce sont les Allemands qui ont tiré les premiers, forts de leur stratégie déjà expérimentée à Guernica durant la guerre d’Espagne puis dans le reste de l’Europe.
Le 3 juin 1940 à 13h20 la sirène d’alerte retentit, les bombardiers Henkel frappés de la croix gammée s’approchent de la ville. Dix minutes plus tard, l’enfer s’abat sur Suresnes, 28 bombes frappent les objectifs les plus divers. Si la gare de marchandises et le fort du Mont-Valérien sont atteints, la majorité des bombes sont larguées sur des cibles civiles dans la ville même. Le bilan est de trois morts et les dégâts sont importants puisque la mairie est lourdement touchée et ses services transférés dans une mairie provisoire.
En 1942, Suresnes est occupée et ce sont les alliés qui ont la maîtrise du ciel. La chasse allemande, la Luftwaffe, n’est plus capable de tenir les airs et la défense antiaérienne allemande, la redoutable Flak, ne peut contenir les vagues de bombardiers qui pilonnent les lieux stratégiques.
Le meuglement sinistre de la sirène
La région parisienne est en première ligne avec ses usines, son nœud ferroviaire, autant d’objectifs cruciaux pour les aviateurs alliés. Il faut détruire ces ateliers qui nourrissent la machine de guerre allemande. L’état-major anglo-américain a décidé d’intensifier les bombardements, de frapper sans relâche.
Les alliés ciblent des objectifs économiques ou militaires, la population civile occupée doit être épargnée… en théorie. Car la fameuse, et fumeuse, frappe chirurgicale, n’est pas encore d’actualité : larguées en haute altitude, plus de 6 000 mètres, les bombes ratent leurs cibles. La nuit du 29 au 30 mai 1942 à Suresnes en est le triste exemple.
A 2h30 du matin le meuglement sinistre de la sirène réveille les Suresnois. Ce n’est pas la première fois que l’alerte est donnée. De la ville, on peut souvent apercevoir la lueur des incendies déclenchés par les raids meurtriers des appareils alliés sur les usines et les voies ferrées.
Cette nuit-là, c’est l’usine Renault de Boulogne-Billancourt qui est à nouveau la cible de l’attaque. C’est une formation de bombardiers britanniques De Haviland « Mosquito » qui est à l’œuvre. L’appareil léger, rapide et produit en masse était le cauchemar du Maréchal Goering.
L’un des bombardiers se retrouve dans les lumières des projecteurs de la Flak, les obus explosent autour de lui, il tente d’échapper à cette DCA. Au-dessus de Suresnes, il lâche ses bombes. C’est la Cité-jardins qui est touchée de plein fouet. Des immeubles sont éventrés : on relève une trentaine de morts et de nombreux blessés.
Récupération du pouvoir vichyste
La propagande s’empare aussitôt du sujet : le président du Conseil Pierre Laval se rend à Suresnes dès le 30 mai pour témoigner de son soutien et saluer les victimes de « cette nouvelle attaque anglo-américaine » (compte-rendu de cette visite dans la presse collaborationniste).
Les Actualités mondiales vont projeter dans toutes les salles de cinéma de la France occupée un reportage, monté à Berlin, qui s’attarde sur les images des sinistrés : musique mélodramatique, commentaire affligé, gros plans sur les dégâts et les victimes. Les principaux journaux à la solde de Vichy publient les images de l’enterrement des victimes et s’apitoient sur « Suresnes qui pleure ses morts ».
La récupération du pouvoir vichyste connut son paroxysme en avril 1944 après le bombardement de Rouen par les Anglais. Ce fut la fameuse affiche représentant Jeanne d’Arc noyée par les flammes avec Rouen en arrière-plan et titrée « les assassins reviennent toujours sur le lieu de leur crime ! »
Suresnes subit un dernier bombardement le 4 avril 1944. Une escouade de bombardiers attaque la DCA de l’hippodrome de Longchamp, six bombes touchent Suresnes, détruisant une partie de l’ancien pont et les usines du parfumeur Coty. Elles ne font aucune victime dans la ville. C’est après cette attaque que les services de la Croix-Rouge de Suresnes sont réorganisés pour être plus efficaces. Selon les historiens, les alliés ont lâché un quart de leurs bombes sur la France entre 1940 et 1945.