Le 18 juin 1960, un cortège officiel traverse Suresnes. Les DS noires précédées des motards s’immobilisent devant l’entrée du fort du Mont-Valérien. Une longue silhouette reconnaissable entre toutes sort de l’une des voitures. Les gendarmes saluent, Charles de Gaulle s’avance vers l’intérieur. Face à lui se dresse le mémorial qu’il va inaugurer, 16 ans après la Libération de la France occupée.
Le chef de la France Libre devenu chef de l’État, entre dans la crypte funéraire. La veille les corps de 16 martyrs y ont été transférés, leur dernière demeure au sein du mémorial. Accompagnés de six porteurs de torches lors d’une cérémonie poignante, ils ont quitté le caveau provisoire où ils reposaient. À l’appel de chaque nom, il est répondu : « Mort pour la France ! »
Ils représentent la résistance à l’occupant, la mort au bout du combat. De Pierre Ulmer, tué à l’ennemi le 24 mai 1940 durant la campagne de France à 24 ans, à Edmond Grethen fusillé par les Japonais le 16 mars 1945 au Laos à l’âge de 47 ans, ils sont là. Français libres tués au combat, membres de la Résistance exécutés, ou se suicidant comme Berty Albrecht, soldats venus d’Afrique pour libérer la France comme le tirailleur sénégalais Boutie Diasso Kal, résistante déportée « Nacht und Nebel » comme Renée Lévy, ces hommes et femmes ont donné leur vie pour libérer la nôtre. Trois déportés, trois résistants, dix combattants, et une urne contenant les cendres de déportés rajoutée en 1964. À côté des 16 caveaux les accueillant, un 17e attend : il est réservé au dernier compagnon de la Libération lorsque son heure viendra.
Devant le Président s’élève ce mur de 150 m de long, orné de 16 hauts reliefs qui rappellent les différentes résistances à l’oppression : Narvik en 1940, Bir-Hakeim en 1942, Forces françaises libres, Déportation, Fusillés, Maquis… Au milieu se dresse une immense croix de Lorraine, le Président de la République inaugure le lieu en allumant la flamme de la Résistance.
Cinq poteaux de bois
Charles de Gaulle était venu au Mont-Valérien pour la première fois le 1er novembre 1944. Il s’était recueilli, dans cette clairière où sont tombés tant de patriotes. À Suresnes, chacun se souvient alors du rituel macabre,entendu plus que vu. L’arrivée des camions qui transportaient les condamnés à mort dans l’enceinte de la forteresse, puis le bruit de la salve, le coup de feu isolé qui marquait le point final. Les cercueils étaient embarqués dans les camions, certains reposent dans le cimetière de Suresnes.
Face au général, à la place où se dressaient les cinq poteaux de bois, se trouve une stèle, une simple plaque posée au sol : « ici de 1940 à 1944 tombèrent plus de 4 500 résistants fusillés par l’ennemi pour leur indomptable foi dans le destin de leur pays » (le chiffre sera ramené à plus de 1000 par les historiens).
Ce 18 juin 1960, Charles de Gaulle se souvient-il combien cette résistance fut difficile ? Songe-t-il aux querelles entre ceux qui estimaient l’incarner ? Au Parti Communiste lançant le slogan « le parti aux 75 000 fusillés », s’appropriant tout le combat ? À la tâche accomplie par Jean Moulin mort sous la torture ? Alors que retentit la sonnerie aux morts, on pourrait presque imaginer le bruit de la salve, les ordres en allemand, les derniers mots des fusillés.
L’idée du mémorial a germé dès la libération, Henri Frenay, ministre des déportés prisonniers et réfugiés, est chargé d’organiser une première cérémonie pour le 11 novembre 1945. Frenay, ancien chef du mouvement Combat, connaît le prix du sang : il a perdu tant de camarades. La décision est prise d’inhumer 15 corps de la Seconde Guerre mondiale (le 16e représentant la résistance au Japon sera ajouté en 1952), tous tués en voulant une France libre.
Cette résistance intérieure et extérieure aux mille visages. Juifs, musulmans, hommes, femmes … Français… Il fallut attendre le retour aux affaires de De Gaulle pour que le grandiose projet devienne réalité.
Depuis lors, le Mont-Valérien entretient la flamme de la Résistance, la mémoire de ceux qui sont tombés pour que le pays se relève.