Sur le papier, cela fait rêver : apercevoir un dirigeable géant, silencieux, économe, voire écolo, gracieux comme une baleine peut l’être dans l’eau, voler dans le ciel… En 2012, Sébastien Bougon, un ingénieur ayant également roulé sa bosse dans les médias, met en route un projet diablement ambitieux : imaginer, construire et faire voler un dirigeable gigantesque. L’idée a germé lors d’une discussion avec l’ONF, l’Office national des forêts.
« Il y a beaucoup de zones forestières très peu accessibles en France », raconte Romain Schalck, market manager de l’entreprise Flying Whales, installée quai Marcel Dassault à Suresnes. « Nous possédons la troisième plus grande surface de forêts d’Europe, mais elle n’est pas gérée et cela peut être problématique.Nous devrions pouvoir utiliser ses ressources sans la mettre en péril grâce à une sylviculture raisonnée. Pour évacuer le bois mort ou gênant, le dirigeable est l’engin idéal. Il permet d’accéder à des endroits très reculés, qui nécessiteraient une infrastructure routière très lourde et particulièrement polluante. »
Arrimé comme un navire, l’engin permet en effet de charger et de décharger des volumes très conséquents allant jusqu’à 60 tonnes. « Il n’existe que deux modèles d’avion qui permettent d’emporter plus », note Romain Schalck. L’engin vole grâce à sa portance aérostatique, assurée par l’hélium, un gaz inerte, qui ne présente pas de danger. La propulsion est assurée par des moteurs hybrides, peu gourmands.
« Le simple fait de ne pas utiliser de carburant pour décoller fait qu’on consomme beaucoup moins que n’importe quel autre appareil employé pour le même usage. » En vol, l’engin pourra atteindre une vitesse de 100 kilomètres-heure. Le soir, en fin de mission, le dirigeable rentrera au hangar.
La BPI investit 25 millions d’euros
« Les premiers terrains seront en région Rhône-Alpes. Sur des trajets plus longs, on peut avoir la possibilité de l’accrocher à un mât de campagne pour ne pas le fixer au sol, un peu comme un bateau volant. »
Poétique, majestueuse, cette baleine flottante sera rien moins que le plus gros porteur aéronautique au monde avec 150 mètres de longueur et environ 40 de hauteur. « Il faut imaginer le premier étage de la Tour Eiffel ! », s’enthousiasme Romain Schalck. À la différence d’une montgolfière dont la toile se plie, le dirigeable possédera une structure rigide en carbone autour de laquelle sera tendu un textile de pointe, développé par Zodiac Aerospace (aujourd’hui groupe Safran).
Pour bâtir ce beau rêve, démesuré, il a fallu trouver des capitaux, or « en Europe, nous n’avions pas un choix énorme d’investisseurs », ajoute le jeune homme. BPI France (banque publique d’investissement) a investi 25 millions d’euros dans le projet. L’entreprise a également pris contact avec Avic (Aviation Industry Corporation of China), l’équivalent chinois d’Airbus, qui est aujourd’hui leur plus gros actionnaire.
Nous avons recruté d’ex ingénieurs et cadres d’Airbus. Et on accueille à bras ouverts tous les passionnés.
« Un programme comme le nôtre est très gourmand. La masse salariale, qui comprend 70 personnes, coûte extrêmement cher. Pour concevoir un tel engin, il faut des gens compétents et qui soient enthousiasmés par le projet. Nous avons recruté d’ex ingénieurs et cadres d’Airbus. Et on accueille à bras ouverts tous les passionnés. » Flying Whales compte sortir son premier engin en 2022 avant de le rendre opérationnel pour 2024.
Aller chercher du bois sera le coeur de métier de Flying Whales, qui lorgne sur d’autres exploitations possibles de son bébé : le transport exceptionnel pour des courtes distances « par exemple pour transporter les pales d’éoliennes, ou les pylônes de lignes électriques… Pour ces derniers, le transport se fait aujourd’hui par hélicoptère, en plusieurs fois. On aurait la possibilité de transporter les pylônes d’un seul tenant », explique Romain Schalck. Les rêveurs devront cependant se contenter de le regarder : le transport de passagers n’est pas au programme.