Même les moins férus de musique ont entendu parler des studios Abbey Road. Immortalisés avec l’album éponyme de 1969 par leurs plus célèbres occupants, les Beatles et leur pygmalion George Martin, les studios londoniens ont également vu naître quelques chefs-d’oeuvre emblématiques de la pop culture, signés Pink Floyd, Radiohead, ou Adele… Tous sont venus tutoyer la magie d’un lieu, mais surtout, l’excellence des ingénieurs du son du studio, fondé par la maison de disques EMI en 1931.
Pour continuer d’exister, ce lieu mythique qui a surtout brillé dans les années 60 et 70, a dû se réinventer. Avec les musiques de film des années 80 à 2000 (Star Wars, Harry Potter), et grâce aux « Institutes », qui transmettent leur savoir à des passionnés du son, de la Grande-Bretagne à l’Australie, en passant par la France dont l’institut est installé à Suresnes, les Pays-Bas et l’Allemagne. A la tête de l’établissement français depuis sa création en 2015, Jean- Philippe Boisson avait d’abord dirigé un centre de formation aux métiers de l’audiovisuel avant d’être contacté par les Anglais. « Ils cherchaient une personne qui connaisse la musique, qui comprenne les Français, ces gens bizarres, et qui sache gérer une entreprise », évoque dans un sourire ce passionné de musique. « L’idée des Anglais était de faire revivre le savoir-faire « Abbey Road », en respectant les codes et les règles de la maison, scrupuleusement consignés dans son sacrosaint cahier des charges, le EMI Recording Rules. Quel programme suivre, quel matériel utiliser, comment évaluer les étudiants… Pour le reste, on se débrouille », résume son directeur.
D’un studio à l’autre
Dénicher la perle rare, le lieu qui héberge ce centre de formation n’avait rien d’évident. « Des studios de la taille d’Abbey Road, à Paris, ça n’existe pas. Il fallait pourtant qu’il soit suffisamment vaste, avec un vécu et une histoire musicale. » Les Anglais jettent leur dévolu sur les studios Omega, qui ont vu défiler les plus grandes stars françaises et internationales. Loué en 2015, finalement acheté et agrandi en 2016, le lieu abrite aujourd’hui six studios et 60 stations de travail grand luxe, qui se déploient dans un dédale d’étages et d’escaliers, à la fois labyrinthique et vibrant. Les équipes veillent à la qualité du matériel proposé : le mélange de consoles analogiques et d’équipements numériques dernier cri permettent aux étudiants d’aborder le métier dans toute sa complexité. « Faire du tout numérique pourrait fonctionner, mais rien ne remplacera de grosses consoles et de vrais micros. L’analogique apporte une sonorité et une couleur incomparables », souligne Jean-Philippe Boisson.
En 12 ou 24 mois, l’Abbey Road Institute offre une formation au métier de réalisateur sonore. Parmi les 120 apprentis, sans limite d’âge, qui passent par le centre, se trouvent des mordus de musique en quête de savoir-faire ou des ingénieurs du son cherchant à se perfectionner.
Un parcours de rêve
« Nous leur demandons trois choses », détaille son directeur. « Avant tout, qu’ils sachent jouer d’un instrument. Certains savent lire la musique et ont suivi un parcours classique au sein d’un conservatoire. D’autres jouent dans des groupes ou créent sur un ordinateur. Quand on jamme, comme cela arrive régulièrement, on ne manque jamais de batteurs ou de guitaristes, et c’est difficile de les arrêter ! Deuxième critère : qu’ils manifestent un intérêt réel pour le son et l’audio. Certains ont un bagage technique, d’autres moins, mais tous s’avèrent sensibles à l’esthétique sonore. L’ultime attente ? Qu’ils aient un projet professionnel et une approche pragmatique de la musique, sans naïveté. On choisit la musique par passion, pas pour la sécurité de l’emploi. C’est un monde marginal, de débrouille, compliqué, parfois ingrat. C’est un choix de vie et il faut l’assumer. »
Au sein de l’institut, certains effectuent leur deuxième voire troisième reconversion, après des études ou une première carrière. Si la plupart des étudiants ont entre 25 et 35 ans, il n’est pas rare de croiser des quinquas passionnés, avides de réaliser un vieux rêve. En sortant de l’école, ils travailleront sur l’habillage sonore, la postproduction, ou réaliseront et produiront des disques en indépendant. Tous auront eu la chance de suivre des cours dispensés par de grands noms de la production française, ainsi que des masterclasses offertes par des légendes du métier. Ces cinq dernières années, ils ont pu échanger avec Brad Buxer (l’arrangeur de Michael Jackson), Jacob Collier (jeune prodige découvert par Quincy Jones), Ken Scott (l’ingénieur du son des Beatles et de David Bowie), le regretté Al Schmitt (légende du son qui a travaillé avec Elvis, Sam Cooke, ou Bob Dylan) ou encore Susan Rogers (collaboratrice de Prince époque Purple Rain). Un parcours de rêve qui s’accompagne également d’une visite des studios londoniens, là où tout a commencé… Photo sur le mythique passage piéton obligée !
www.abbeyroadinstitute.fr
Tél. : 01 47 94 78 50
Tarifs : 16 00 à 18 000 euros.
Fou de musique
Fils d’un général de gendarmerie, Jean-Philippe Boisson n’a pas vraiment marché sur les traces paternelles. Guitariste dès son plus jeune âge, il s’invite très jeune sur des enregistrements d’albums tout en poursuivant des études de musicologie. Il devientformateur dans une école d’audiovisuel qu’il finira par diriger. S’il passe beaucoup de temps derrière son bureau suresnois, Jean- Philippe Boisson continue toutefois à travailler sur des projets « extra-scolaires », toujours en studio (« J’ai toujours préféré leur atmosphère confinée à la scène. »), et pour des artistes aussi différents que China Moses, André Rieu, Booba ou Alan Stivell…
« Je choisis un projet par an. C’est une passion, je ne m’en lasse pas. Quand on organise des masterclasses avec de grands producteurs américains ou européens et qu’ils racontent leurs enregistrements mythiques, je suis le premier à écarquiller les yeux et boire leurs paroles ! »
Une adresse mythique
Bien avant l’Abbey Road Institute, le 51 de la rue Merlin de Thionville accueillait le studio Mega, devenu plus tard Omega. Créé par Thierry Rogen (ingénieur du son et collaborateur historique de Mylène Farmer) pour concurrencer les studios américains, vastes et richement équipés, le lieu a conservé tout
son lustre. Derrière la façade d’apparence banale se cachent une multitude de salles, de consoles impressionnantes, d’instruments (piano à queue, guitares) patinés. Pendant plus de trente ans, Omega a accueilli la crème des artistes français et internationaux de passage : Mylène Farmer, Sting, Phil Collins, Lenny Kravitz, Johnny Hallyday, IAM, Florent Pagny sans oublier la fidèle Céline Dion, qui y a réalisé tous ses albums depuis sa première collaboration avec Jean-Jacques Goldman