Le 19 juillet 1870 la France de Napoléon III déclare la guerre à la Prusse de Guillaume Ier.. La guerre des deux empires couvait depuis des mois. A Suresnes comme dans le reste du pays, nul ne doute de la victoire : les armées françaises ont triomphé en Italie, vaincu la Russie en Crimée. Le 22 juillet, le maire Jacques Lecourt ouvre la séance du conseil municipal par une harangue aussi guerrière qu’optimiste : «Nos soldats se rendent à la frontière pour défendre l’honneur outragé de la Nation. La Patrie n’est pas en danger !»
Une cagnotte de « dons patriotiques » destinée aux enfants de Suresnes, aux jeunes adultes qui partent au front, est décrétée. La petite commune de 5000 habitants voit sa physionomie modifiée par cette guerre, la première aux frontières depuis l’autre Napoléon.
Suresnes est une ville de garnison, puisque l’imposant Mont-Valérien est occupé par des voltigeurs, des hussards et des chasseurs à cheval. Ceux-ci partent pour le front et sont remplacés par la garde mobile. La loi de 1868 a institué cette garde mobile nationale, elle fait obligation à tous les exemptés de service de la rejoindre et de suppléer les troupes d’active.
La ville se militarise
Ces soldats, parfois gueulards et débraillés, se réunissent dans un des cafés de la Place Henri IV qui gardera le surnom de «Café de la Mobile ». La ville se militarise, ceux qui ne sont pas appelables même au sein de la mobile, rejoignent la Garde Nationale, le dernier rempart. Mais bon, « on les aura ! » et chacun reste confiant.
Mais les mauvaises nouvelles s’enchaînent. L’armée française recule et cède partout sous le feu ennemi. Lors de la bataille de Gravelotte, la mitraille s’abat à une telle cadence que l’on forge l’expression « ça tombe comme à Gravelotte ! » La cavalerie est hachée par les mitrailleuses, le 2 septembre Sedan tombe et l’empereur se rend à l’ennemi.
Pourtant, symptôme d’une guerre moderne, il ne suffit plus de quelques batailles gagnées pour emporter la guerre. La République proclamée à Paris le 4 septembre entend bien continuer le combat. A Suresnes, sur ordre du gouverneur militaire de Paris, les bordures en granit des voies de chemin de fer sont enlevées pour que les convois blindés puissent circuler. Les troupes du Morbihan, formant le 31ecrégiment de mobiles, arrivent à Suresnes en chantant :
« Marchons en guerre
Ne craignons rien,
Nous ferons la guerre
A ces Prussiens.
Marchons contents,
Marchons gaiement,
Vive la Bretagne !
Marchons contents,
Gaiement, marchons,
Vivent les Bretons ! »
Ces jeunes gens, dont beaucoup ne parlaient qu’imparfaitement le français, quitteront Suresnes le 27 novembre et traverseront Paris pour tenter une sortie et rompre le siège. Suresnes connaît depuis la débâcle de septembre des scènes d’exode.
Des familles entières traversent la ville sur des voitures à cheval ou à bras surchargées. On signale l’ennemi à quelques kilomètres, les récits des exactions des terribles cavaliers uhlans font frémir. La presse relaie les crimes de la soldatesque prussienne qui réagit avec férocité à la guérilla des francs-tireurs.
Le 10 septembre, le tambour résonne dans Suresnes et annonce l’arrivée des troupes de Guillaume 1er, de nombreux Suresnois quittent la ville pour se réfugier à Paris, à l’abri des fortifications.
Le 1er mars, le Kaiser traverse la Seine à Suresnes
La mairie loue un appartement au 31 de la rue d’Anjou. Il sert de « mairie parisienne de Suresnes » pour les réfugiés. Le Mont-Valérien renforcé et lourdement équipé en artillerie, donne de la voix et le bruit des départs d’obus donne une réalité tangible à la guerre.
Les effets du siège se font sentir, la nourriture se met à manquer, l’épicier vend de la graisse de cheval. Un bateau de guerre, une canonnière, est amarrée au pont de Suresnes et effectue quelques bombardements, mais les seuls Prussiens qu’aperçoivent les rares habitants restés sur place sont ceux capturés par les mobiles et les francs-tireurs.
Le 18 janvier, la bataille de Buzenval fait renaître l’espoir, mais il est trop tard. Le 25 c’est le cessez-le-feu et le 27 la capitulation. Le fort du Mont-Valérien dépose les armes, les Prussiens sont là, ils occupent la citadelle. Le 1er mars, l’humiliation suprême a lieu. L’empereur de Prusse traverse la Seine à Suresnes.
Il emprunte un pont fait de bateaux, œuvre du Génie qui remplace le pont suspendu incendié. Le Kaiser est allé se faire proclamer Empereur d’Allemagne dans la galerie des glaces de Versailles le 18 janvier, il ne reste plus à Guillaume le conquérant et l’unificateur qu’à entrer dans Paris !
A Suresnes, les troupes allemandes s’installent pour quelques semaines. Le 7 mars, elles quittent le Mont-Valérien et Suresnes tandis que la guerre civile, la Commune, gronde à Paris. De retour d’exil, le poète national Victor Hugo plaide pour que les plaies soient pansées et affirme « Ma vengeance, c’est la fraternité». Il ne sera pas entendu, et la revanche se mettra en marche en 1914…