L’exposition a été imaginée il y a deux ans: l’équipe du Musée d’histoire urbaine et sociale de Suresnes peut sans rougir prétendre au titre de visionnaire. Nos vies quotidiennes depuis plusieurs mois ne sontelles pas jalonnées de gestes barrières et hantées par la pandémie de Covid-19 ? Evoquer l’hygiène dans la ville est dans l’actualité et ne manque pas de triste à propos.
« Pourtant, à l’époque, nous voulions aborder ce thème sans lourdeur, mais entre-temps est arrivé ce qui est arrivé », confirme Marie-Pierre Deguillaume, directrice et conservatrice en chef du MUS. Si la politique hygiéniste d’Henri Sellier est seulement évoquée dans son exposition permanente, l’acquisition récente d’objets en rapport avec le domaine a fait le reste : à partir du 16 octobre, la nouvelle exposition temporaire du MUS s’appellera donc « C’est du propre ! L’hygiène et la ville depuis le XIXe siècle ».
Ville, hygiène, propreté : le sujet est vaste. Au XIXe siècle, les conditions d’hygiène sont désastreuses : point de tout à l’égout, des familles entassées dans des habitats parfois insalubres, des pots de chambre vidés directement dans la rue… La tâche est colossale mais les consciences lucides : des politiques sont mises en place, des conseils d’hygiène et de salubrité créés.
D’autant que ce manque d’hygiène est source d’importants problèmes de santé publique. Il faudra attendre encore un peu avant que le lien avec les maladies soit établi par les découvertes de Pasteur ou de Koch et son fameux bacille responsable de la tuberculose. Lutte contre les microbes, c’est lutter contre les maladies. Or à la fin du XIXe siècle, il n’est pas rare que les malades soient mélangés dans les hôpitaux, qu’une femme accouche dans un lit occupé auparavant par un patient lourdement atteint. Afin de cadrer les choses, Paul Juillerat qui dirige le bureau d’hygiène de la Ville de Paris, réalise une enquête sanitaire entre 1894 et 1904, établissant des casiers sanitaires des habitations. Son étude est étendue au département de la Seine : celui de Suresnes est présenté dans l’exposition du MUS.
Première loi en 1850
Une frise représente également l’évolution de l’hygiène publique, les différentes lois et commissions mises en place, comme la première loi de salubrité publique qui date du 13 avril 1850. L’objectif de l’exposition est donc bien de montrer comment la réglementation, l’action pour l’hygiène, se traduisent au niveau d’une ville. Les campagnes ne sont pas abordées.
L’hygiène urbaine, concrètement, c’est quoi? Différents documents et objets montrent comment cela s’est traduit dans les foyers, par exemple avec la mise en place de l’assainissement – en 1910, 43% des immeubles parisiens sont équipés du tout à l’égout – ou l’arrivée de l’eau courante potable, en 1864 à Suresnes.
« L’accès à l’eau est alors très inégal en France. L’exposition ne s’arrêtera pas à la seconde guerre mondiale. Par exemple, en 1954, seule la moitié des logements français a accès à l’eau courante », souligne Marie-Pierre Deguillaume.
Pour pallier ce manque, des bains douches, parfois à l’architecture très soignée, comme à Suresnes, sont construits. Là aussi des documents les présentent. Sont également évoquées les piscines qui ne devaient pas simplement permettre de nager mais aussi d’inciter les habitants des villes à se laver.
Les pouvoirs publics avaient en effet la volonté, déjà (!), d’apprendre les gestes d’hygiène à la population, prenant le relais de fondations qui avaient lancé le mouvement. Un petit camion sillonnait par exemple la France. Des films sensibilisant aux bons gestes y étaient notamment projetés.
L’hygiène s’est développée partout en Occident, on le voit avec les expositions universelles qui comprenaient des pavillons de l’hygiène, comme à Paris en 1889 (celle de la Tour Eiffel) et 1900. Des images de ces pavillons sont dévoilées.
Deux documents provenant des Archives de Paris attestent par ailleurs de l’arrivée des vespasiennes et des urinoirs dans son espace public. « Sans oublier les chalets de nécessité, qui étaient payants pour les femmes », souligne Marie-Pierre Deguillaume.
Eugène Poubelle, « pionnier » du tri sélectif
Autres exemples : le pavage des rues ou la gestion des déchets avec pour figure emblématique Eugène Poubelle qui donna son nom aux fameux contenants. «C’était un précurseur, il préconisait par exemple le tri sélectif », précise la directrice et conservatrice en chef. Un travail sur la rue est également mené, notamment sur sa largeur, en augmentant la distance entre deux immeubles afin de laisser passer davantage d’air et de lumière. Leur prise en compte nécessite de repenser l’architecture, par exemple en privilégiant des immeubles en gradins et l’utilisation de la céramique.
Une partie de « C’est du propre ! » montre l’évolution des logements et des commodités. La prise en charge complète de l’hygiène est intégrée à la conception des Habitations à bon marché (HBM) puis des Cités-jardins et même des grands ensembles.
« La pièce phare de l’exposition nous vient du Musée des Arts et métiers : une maquette en bois peint de maison salubre avec toutes les commodités qui date de 1889. Elle fut présentée par une entreprise lors de l’Exposition universelle de la même année. Nous en avons d’ailleurs profité pour la restaurer», se félicite Marie-Pierre Deguillaume. Pots de chambre, maquette d’une chaise percée à soupape prêtée par le Musée des Arts et métiers, brocs ou le tableau titrée La Toilette de Pierre Dubreuil permettent de suivre les évolutions et inventions en matière d’hygiène comme les arrivées du savon, de la brosse à dents et du dentifrice.
Il faut attendre 1992, pour qu’une salle de bain soit présente dans 93,4% des logements. Quant à la Covid-19, elle nous a, et continue, de nous rappeler qu’un lavabo et une savonnette ne sont utiles que si l’on s’en sert.