« Nous voyons des patients chroniques revenir seulement maintenant et, pour certains, c’est catastrophique. » Pour Camille Charpentier, l’une des trois médecins généralistes de la Maison de santé pluriprofessionnelle des Chênes (1), les premières semaines du déconfinement s’annoncent préoccupantes. « Ils pensaient que cela pouvait attendre. Pour ne pas nous déranger ou n’osant pas prendre la place de cas plus graves. » Pourtant, les praticiens des Chênes se sont organisés dès début mars pour recevoir les patients suspectés de covid-19 et les patients « non covid » sans qu’ils se croisent, en mettant en place des créneaux horaires spécifiques et des mesures sanitaires qui sont encore appliquées à la Maison de santé.
Des cas nouveaux se présentent aujourd’hui dans les salles d’attente, telle une personne enceinte qui, à 12 semaines de grossesse n’a encore vu aucun médecin ou des diabétiques qui ont arrêté tous médicaments. S’il y a bien eu une baisse d’activité en cabinet pour les médecins de ville en avril, Camille Charpentier reconnaît que la téléconsultation a permis de régler pas mal de cas pendant les 8 semaines de confinement. Un ordinateur avec une caméra et des modules sur Doctolib ou autre suffisent. Toutes les téléconsultations étant prises en charge à 100 % par l’Assurance maladie, elle n’a eu à faire payer aucun patient, simplement à effectuer des télétransmissions à la Sécurité sociale. « J’ai aussi listé mes patients fragiles ou âgés pour les appeler au téléphone, savoir comment ils allaient, s’ils avaient besoin de quelque chose, leur expliquer comment nos cabinets fonctionnaient, leur dire qu’ils pouvaient avoir le renouvellement de leur traitement par la pharmacie, les rassurer », ajoute Camille Charpentier. Pour Clotilde Kowalski aussi, qui exerce depuis trois ans dans son cabinet de l’avenue Franklin Roosevelt, il est essentiel que les médecins généralistes continuent à assurer leur rôle de prévention hors covid. « Le but est de voir les patients avant que les choses soient graves et qu’on évite qu’elles le deviennent », souligne-t-elle. Comme sa consœur, elle a mis à profit la petite baisse d’activité pour appeler ses patients les plus fragiles ou isolés, voir ceux qu’elle suit en ehpad et appeler ensuite leurs familles parfois très inquiètes, et libérer du temps pour tout ce que les médecins avaient à lire quotidiennement sur le Sars Cov-2.
S’informer, se former au quotidien
Car pour assurer pleinement leur rôle de premier contact face à une nouvelle maladie qu’on ne connaît pas, les médecins de ville, tout comme les hospitaliers, ont dû se tenir informés au quotidien. « On a vu les protocoles de prise en charge changer quasiment tous les jours. Il fallait vraiment être aux aguets de ce qui sortait et être sûr de sa source aussi », confirme-t-elle. « Se tenir à jour était assez épuisant. On recevait des mails en permanence, » ajoute Camille Charpentier qui reconnaît cependant que les 150 cas de suspicion de covid-19 que la Maison de santé a reçu allaient plutôt bien par rapport aux cas graves qui affluaient aux urgences de l’hôpital. « Il fallait néanmoins les suivre par téléphone pour parer à une aggravation souvent constatée entre le 7e et le 10e jour, quitte à les faire revenir au cabinet » explique-t-elle. Les généralistes ont aussi mis en place avec l’hôpital Foch un système de suivi par les médecins de ville des patients reçus pour covid aux Urgences mais dont l’état ne nécessite pas une hospitalisation.
Des retards à rattraper
Depuis début mai, les patients atteints de maladies chroniques reviennent dans les cabinets suresnois, notamment ceux qui étaient partis « se confiner » ailleurs. Toutes les consultations hospitalières ayant été annulées pendant la vague de covid-19, les deux généralistes ne peuvent que déplorer des retards de prise en charge d’un certain nombre de maladies faute d’avoir pu faire pratiquer les examens de leurs patients. « On se retrouve avec des maladies qui ont évolué, des décompensations de maladies chroniques qui n’ont pas pu être suivies correctement, des explorations en retard… Je pense que nous allons avoir une période un peu compliquée, d’autant que la prise en charge des soins à l’hôpital ne reviendra pas à la normale avant plusieurs mois, » estime Camille Charpentier. Les médecins généralistes vont donc devoir gérer ces retards tout en restant en mesure d’accueillir un nouveau flux éventuel de covid-19, et faire en sorte que les patients « covid » et « non covid » ne se mélangent pas dans leurs cabinets. Ils doivent aussi traiter les effets secondaires du confinement sur des patients de tous âges. « J’ai commencé à voir des pathologies dues au sport à la maison. Certains se sont remis au sport, ce qui était très bien, mais un peu trop excessivement, occasionnant claquages et tendinites », confie Clotilde Kowalski. D’autres pathologies sont à mettre au compte du télétravail pour les patients qui n’ont pas eu le temps de prévoir une bonne installation chez eux. Les praticiens constatent une augmentation des névralgies cervico-brachiales, des lombalgies et des tendinites des poignets, dus à de mauvaises positions prolongées. Le mal de dos revient en force. « Les personnes âgées qui ne sont pas sorties de chez elles pendant le confinement ont toutes des décompensations à l’effort. Elles sont essoufflées dès qu’elles montent un étage alors que ce n’était pas le cas avant. Il y a clairement des effets secondaires sur le squelette et du point de vue cardio respiratoire », ajoute le docteur Charpentier.
Et une épidémie à endiguer
Les médecins ne parlent donc pas du covid-19 au passé. « Il faut qu’on garde des mesures assez strictes si on ne veut pas à nouveau être submergé dans quelques semaines », conclut Camille Charpentier, également infectiologue à l’hôpital de Saint-Denis. « Les médecins généralistes sont là pour répondre aux questions et aux angoisses de chacun : reprise d’école, comment faire avec les grands-parents, etc. Même dans le déconfinement, le virus est là. En cas de fièvre ou de toux, ou de perte de gout ou odorat, il faut prendre rendre vous rapidement pour détecter une suspicion de covid et faire éventuellement un test », rappelle sa consœur.
(1) La maison de santé multi professionnelle des Chênes compte 3 médecins généralistes, deux podologues, une sage-femme, une psychologue clinicienne, une infirmière, un orthophoniste.
Nous sommes libérés du confinement, pas libérés du virus.
Docteur Clotilde Kowalski
Démarrage « en pic » pour la CPTS de Suresnes
Y-a-t-il eu une bonne coopération entre les différents acteurs suresnois de la chaîne de santé ? Le Docteur Clotilde Kowalski préside l’association qui œuvre à la création à Suresnes d’une communauté professionnelle territoriale de santé (CPTS) afin de faciliter le parcours de soins des patients tout en contribuant à améliorer les conditions d’exercice des praticiens. « Nous sommes entrés en pratique avant que tout soit mis en place officiellement. La crise du covid-19 a été un accélérateur et a clairement montré la nécessité d’avoir une CPTS, de s’organiser ensemble, avec la mairie, le centre médical municipal, l’hôpital Foch, les différents collègues libéraux, pour mettre en place un certain nombre de mesures, réfléchir aux personnes qui ne viennent pas dans nos cabinets, exprimer les besoins d’aide ou de matériel. Il y a eu une bonne coopération. La CPTS a permis de créer une coordination et d’être un point relais, un soutien pour les libéraux dans leurs différentes prises en charge. Ça a été particulièrement intéressant pendant la vague de covid-19 de pouvoir relayer les informations, les manques de matériel des uns et des autres, de voir si on avait des possibilités d’y répondre. Les liens se tissent. Nous espérons que cette dynamique va se mettre en place durablement. On le voit déjà pour l’organisation des dépistages dans la ville. Avoir des instances « coordinatrices » sur un territoire comme celui de Suresnes est forcément bénéfique. »