Lorsque l’homme primitif s’installe quelque part, il cherche l’eau ! La tribu des Parisi, ancêtre de nos Parisiens, quitta le site de l’actuelle Nanterre pour l’île de la Cité où elle prospéra avec le succès que l’on sait. À Suresnes, les histoires d’eau sont nombreuses,remontons donc le courant.
Selon l’expression consacrée, la Seine est une « route qui marche », une voie qui permettait le transfert des hommes et des marchandises. Mais pas uniquement, puisque le fleuve était un lieu d’échanges économiques : la pêche, l’énergie pour les moulins et les passeurs que l’on rétribuait pour franchir le cours. La Seine de ces temps anciens, jusqu’à l’édification des premières écluses et barrages durant la seconde moitié du XIXe siècle, était loin d’être un fleuve tranquille. D’abord, elle était non navigable durant la moitié de l’année : le niveau d’eau était parfois si bas que bêtes et fermiers pouvaient traverser à pieds secs. À la hauteur de Suresnes, sur la rive parisienne,s’élevait l’abbaye de Longchamp et derrière, le bois de Boulogne : un vrai coupe-gorge rempli de loups et de brigands. Il valait mieux faire le tour, mais voilà, à Suresnes on ne passe pas, il n’y a pas de pont ! Les seuls ouvrages qui enjambent la Seine sont le pont de Saint-Cloud (IXe siècle) et celui de Neuilly (XVIIIe siècle), le détour pour accéder à Suresnes est fort long. Et puis il y avait les îles aujourd’hui disparues, celle de Suresnes dite du Bac, l’île au Mer…
Après le temps des passeurs, le temps des ponts.
Mais quand cela ne passe pas, il reste les passeurs ! Jusqu’à leur apparition, la traversée se fait sur des grosses barques qui ne peuvent embarquer ni voitures à cheval, ni animaux. La première mention d’un de ces bacheliers date de 1590. La rente est bonne, mais réglementée : pour être passeur, il fallait être membre d’une corporation, subir un examen équivalant à notre permis de transport en commun moderne. En 1837, le dernier passeur passe la main, voici venu le temps des ponts. C’est d’abord un pont suspendu, oeuvre des frères Seguin, ingénieurs ardéchois qui édifièrent le premier ouvrage de ce genre au monde à Tournon-sur-Rhône en 1825.
En 1841, le 75e pont suspendu de France voit le jour à Suresnes. Alors que la révolution industrielle est en marche, la commune est enfin désenclavée. Mais lors de la guerre de 1870, affolés par une rumeur annonçant les Prussiens, les Suresnois incendient eux-mêmes le pont ! Un pont de bateaux lui succède jusqu’en 1874 date d’inauguration d’un ouvrage métallique. Mais bien qu’agrandi en 1901, celui-ci se révèle vite trop « léger » : Suresnes attire le chaland, il y a les courses et les revues à Longchamp, les guinguettes…
La ville s’industrialise, s’agrandit.
Le pont moderne que nous connaissons est achevé en 1950, l’ancien ouvrage métallique peut enfin être démantelé, la moderne Suresnes est née.
Mais avant cette apothéose, il fallut domestiquer le fleuve. Ce fut l’oeuvre des barrages et écluses. Le fleuve s’en trouva canalisé, navigable et transformé, prenant sa forme définitive après l’érection du dernier barrage en 1937.
Les bateaux-mouches avaient disparu de nos pontons en 1933, mais Suresnes resta une ville de bord de Seine encore quelques décennies : les cafés du petit port, les guinguettes où coulait le vin blanc, l’aviron, la pêche. Suresnes a même été le théâtre d’un fameux match d’aviron opposant les rameurs britanniques d’Oxford et Cambridge et les français le 3 avril 1937 (voir Suresnes Mag n°284 avril 2017).
Aujourd’hui encore, il faut flâner le long des berges, songer aux jouteurs qui s’affrontaient, à la baignade autorisée dans la Seine qui faisait office de piscine, aux hydravions qui décollaient et se posaient… Suresnes au fil de l’eau, quelle Histoire… À suivre !