Suresnes, une mise en Seine

décembre 2018

Au fil des temps, la Seine fut tout à la fois pour Suresnes une liaison, une frontière et un atout économique. On traversa le fleuve à pied, en barques, en bac puis par des ponts, et on construisit barrages et écluses pour le domestiquer.

Lorsque l’homme primitif s’installe quelque part, il cherche l’eau ! La tribu des Parisi, ancêtre de nos Parisiens, quitta le site de l’actuelle Nanterre pour l’île de la Cité où elle prospéra avec le succès que l’on sait. À Suresnes, les histoires d’eau sont nombreuses,remontons donc le courant.
Selon l’expression consacrée, la Seine est une « route qui marche », une voie qui permettait le transfert des hommes et des marchandises. Mais pas uniquement, puisque le fleuve était un lieu d’échanges économiques : la pêche, l’énergie pour les moulins et les passeurs que l’on rétribuait pour franchir le cours. La Seine de ces temps anciens, jusqu’à l’édification des premières écluses et barrages durant la seconde moitié du XIXe siècle, était loin d’être un fleuve tranquille. D’abord, elle était non navigable durant la moitié de l’année : le niveau d’eau était parfois si bas que bêtes et fermiers pouvaient traverser à pieds secs. À la hauteur de Suresnes, sur la rive parisienne,s’élevait l’abbaye de Longchamp et derrière, le bois de Boulogne : un vrai coupe-gorge rempli de loups et de brigands. Il valait mieux faire le tour, mais voilà, à Suresnes on ne passe pas, il n’y a pas de pont ! Les seuls ouvrages qui enjambent la Seine sont le pont de Saint-Cloud (IXe siècle) et celui de Neuilly (XVIIIe siècle), le détour pour accéder à Suresnes est fort long. Et puis il y avait les îles aujourd’hui disparues, celle de Suresnes dite du Bac, l’île au Mer…

Après le temps des passeurs, le temps des ponts.

Mais quand cela ne passe pas, il reste les passeurs ! Jusqu’à leur apparition, la traversée se fait sur des grosses barques qui ne peuvent embarquer ni voitures à cheval, ni animaux. La première mention d’un de ces bacheliers date de 1590. La rente est bonne, mais réglementée : pour être passeur, il fallait être membre d’une corporation, subir un examen équivalant à notre permis de transport en commun moderne. En 1837, le dernier passeur passe la main, voici venu le temps des ponts. C’est d’abord un pont suspendu, oeuvre des frères Seguin, ingénieurs ardéchois qui édifièrent le premier ouvrage de ce genre au monde à Tournon-sur-Rhône en 1825.
En 1841, le 75e pont suspendu de France voit le jour à Suresnes. Alors que la révolution industrielle est en marche, la commune est enfin désenclavée. Mais lors de la guerre de 1870, affolés par une rumeur annonçant les Prussiens, les Suresnois incendient eux-mêmes le pont ! Un pont de bateaux lui succède jusqu’en 1874 date d’inauguration d’un ouvrage métallique. Mais bien qu’agrandi en 1901, celui-ci se révèle vite trop « léger » : Suresnes attire le chaland, il y a les courses et les revues à Longchamp, les guinguettes…

La ville s’industrialise, s’agrandit.

Le pont moderne que nous connaissons est achevé en 1950, l’ancien ouvrage métallique peut enfin être démantelé, la moderne Suresnes est née.
Mais avant cette apothéose, il fallut domestiquer le fleuve. Ce fut l’oeuvre des barrages et écluses. Le fleuve s’en trouva canalisé, navigable et transformé, prenant sa forme définitive après l’érection du dernier barrage en 1937.
Les bateaux-mouches avaient disparu de nos pontons en 1933, mais Suresnes resta une ville de bord de Seine encore quelques décennies : les cafés du petit port, les guinguettes où coulait le vin blanc, l’aviron, la pêche. Suresnes a même été le théâtre d’un fameux match d’aviron opposant les rameurs britanniques d’Oxford et Cambridge et les français le 3 avril 1937 (voir Suresnes Mag n°284 avril 2017).
Aujourd’hui encore, il faut flâner le long des berges, songer aux jouteurs qui s’affrontaient, à la baignade autorisée dans la Seine qui faisait office de piscine, aux hydravions qui décollaient et se posaient… Suresnes au fil de l’eau, quelle Histoire… À suivre !

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ZOOM SUR

Le braconnier de Suresnes

➜ En 2001, Martine Delahaye, membre de la Société d’histoire de Suresnes fait paraître un livre intitulé Les Enfants du fleuve. Elle raconte la vie par le prisme de la Seine, notamment à Suresnes et par la bouche de ses pêcheurs. Martine Delahaye a interrogé Roger Hoydrie, braconnier revendiqué jusque dans les années 60. Truculent, le pêcheur, déclaré à la grande époque comme « pêcheur professionnel », évoque par exemple la mémoire de « pipile », Émile Cadeau, braconnier « officiel » (sic) de Puteaux.

➜ Ces hors-la-loi travaillaient de nuit, ce qui est totalement illégal, à l’épervier (large filet) aux mailles rarement réglementaires. À Suresnes, le braconnier Roger cachait son bateau, démontable en deux parties. La nuit tombée, il partait avec sa femme, abattant parfois 24 kilomètres à la rame. Sa friture il la vendait aux guinguettes, aux bars restaurants comme la Maison Sieutat, la Belle Gabrielle, ou les Grottes. À 3 h du matin, il tapait aux volets, « c’est le pêcheur », et les billets s’échangeaient contre les poissons de friture. Aux Halles, Roger Hoydrie déversait gardons et brèmes. Le forban n’a pas la vie rose, parfois « le drapeau noir est hissé, plus un fifrelin (argent en argot) » (sic).
➜ Et puis il y a la Fluviale, les flics qui cognaient fort quand ils attrapaient le braco, comme « Dédé le fou » sur qui ils n’ont pas hésité à tirer au révolver, au grand dam des bourgeois de Neuilly de l’immédiat après-guerre, fort agacés de tout ce tintamarre pour quelques braconniers. Les pirates de la pêche devaient aussi affronter les pêcheurs à la ligne qui les accusaient de piller la Seine. Rangé de la braconne dans les années 60, Roger Hoydrie était considéré par la Fluviale et les gardes-pêche comme le braconnier le plus doué qui ait écumé la Seine et la Marne.

Le 12 avril 1908,

LE JOUR OU

Zola fut statufié

 

Deux ans après la réintégration du capitaine Dreyfus, six ans après la mort tragique du grand écrivain Émile Zola, Suresnes rend hommage à l’homme qui a payé au prix fort son soutien à celui que l’on nommait « le traitre Dreyfus ». Le 12 avril 1908, la mairie de Suresnes inaugure sur la place Trarieux un buste à la mémoire d’Émile Zola. La cérémonie est un peu perturbée par les cris des anti-dreyfusards obstinés : « À bas Zola, à bas Dreyfus, vive Mercier (ancien
Ministre de la guerre NDLR) ». Mais le maire Diederich peut dévoiler la statue sans troubles, en présence de Jacques Émile Zola, le fils de l’écrivain. L’après-midi, les camelots du Roi de l’Action française tentent de renverser le buste.
La police intervient et chasse les manifestants. Sur le socle sont inscrits les mots du signataire de la fameuse tribune « J’accuse » : « La France me sera reconnaissante un jour d’avoir sauvé son honneur ».
En 1926, le maire Henri Sellier fit transférer la statue, oeuvre du sculpteur Derré, dans le square de la bibliothèque municipale. Par la suite, le buste a été déplacé au collège Émile Zola, où il se trouve encore aujourd’hui.

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