Un ermite, vivre en ermite, faire l’ermite… Autant d’expressions qui renvoient à une réalité historique, un fait religieux qui essaima dans tout le monde chrétien. À Suresnes, c’est sur les hauteurs du Mont Valérien que des ermites ont vécu reclus, méditant et priant. Cette page peu connue de l’histoire se révèle passionnante et mystérieuse.
Qu’est-ce qu’un ermite ? La question mérite d’être posée. L’ermite est un reclus, laïc, qui vit en retrait de l’agitation du monde. La spiritualité est sa force et son ermitage son seul univers. Parfois, la réclusion était forcée : il en fut ainsi des filles de « mauvaise vie », enfermées au couvent. Le plus souvent c’est un privilège accordé aux frères moines les plus pieux ou aux laïcs exemplaires.
En ce qui concerne Suresnes, il faut d’abord se représenter le pays aux alentours du XV e siècle. Suresnes n’est qu’un village, le Mont Valérien ne vaut que par les vignes qui parsèment ses coteaux, le sommet est, selon l’expression de l’historien Michel Guillot, un « désert », une terre sablonneuse où rien ne pousse hormis quelques arbres rabougris.
Masures
Lorsque l’on monte, par ce qui deviendra le Chemin de l’ermite, quelques masures sont là, semées comme quelques graines d’habitat. En fait il s’agit de deux chapelles, saint Sauveur et saint Nicolas, et de cellules pour ermites. L’ensemble forme un enclos, une sorte d’ermitage réduit à sa plus simple expression.
C’est là donc que se réfugient ceux qui se sont retirés du monde.
Du premier de ces solitaires on ne connaît que le prénom, Antoine. On trouve sa trace en 1402, il vit sur le « tertre », nom le plus souvent accolé au sommet du Mont Valérien. Une lettre entre lui et Gerson, un moine-universitaire théologien de l’université de la Sorbonne, lui a permis de traverser les siècles et de nous être connu. Antoine serait donc notre Adam, notre premier ermite. On peut penser qu’il menait la vie des reclus de l’époque, travaillant la terre et priant, s’acquittant des humbles tâches domestiques.
On sait peu de choses sur les ermites qui ont succédé à Antoine. Il faut arriver au XVI e siècle pour trouver trace des chapelles et des cellules sur le Mont Valérien.
La règle des ermites précise qu’ils sont des laïcs portant un habit religieux et ayant prononcé des vœux temporaires, qui vivent dans leurs cellules, de petites maisons avec un jardin, cultivent la vigne et font des travaux manuels.
C’est Guillemette Faussart, une Parisienne venue s’établir là, qui bâtit une maison, devenue église. Après sa mort en 1561 (sa pierre tombale est visible au MUS), Jean du Houssay (1556-1609) fonde véritablement une communauté.
En 1616 ses successeurs établissent la fameuse « règle des ermites », en fait un chapitre spécifique au sein d’un texte plus général sur la vie monastique. Il y est précisé que les ermites sont des laïcs portant un habit
religieux et ayant prononcés des voeux temporaires. Ils vivent dans leurs cellules, de petites maisons avec un jardin, cultivent la vigne (on trouve trace d’un clos des Ermites) et font des travaux manuels.
Ne rentre pas en ermitage qui veut : seul le mérite et la piété sont des viatiques pour le Mont Valérien. En 1633 est érigé le fameux calvaire du Mont Valérien et le pèlerinage (voir Suresnes mag de janvier 2019) reprend.
Apres conflits
La vie des ermites en est profondément affectée, ils ne sont plus solitaires, ils vivent en communauté comme des moines, silence et travail manuel remplacent la retraite.
L’histoire de ces ermites ne fut pas un long fleuve tranquille : l’ermitage et le monastère ont été le théâtre d’âpres conflits. Ainsi les Jacobins (ancien nom de l’ordre religieux des Dominicains) les ont chassés en 1663, mais le roi Louis XIV rétablit les ermites et chasse à son tour les très avides Jacobins.
Le succès de l’ermitage est attesté : en 1790 alors que la Révolution gronde partout, ils sont 40 ermites au monastère.
La Révolution va d’ailleurs en oublier 14, les laissant tranquilles sur leur Mont. Ces oubliés demandent en 1806 que leur communauté soit rétablie, mais l’Empereur Napoléon refuse et le monastère est rasé. Dans ces ruines un dernier ermite erre. On le découvre en 1831, c’en est fini de l’ermitage et de ces personnages retirés, vivant dans la simplicité et la prière.
Dispersés aux quatre coins de la chrétienté, façon puzzle, certains successeurs des derniers ermites seront à l’origine de la fondation du monastère de Thibhirine en Algérie. Leurs descendants périront en 1996, sauvagement assassinés lors de la guerre civile qui ensanglanta le pays.
Merci à Michel Guillot auteur en 1968 d’une thèse sur le sujet.