C’est un des temps forts de la saison. Les 8, 9 et 10 décembre le Théâtre de Suresnes Jean Vilar propose à nouveau une création de la Comédie française, François, le saint jongleur, interprétée par Guillaume Gallienne sur une mise en scène de Claude Mathieu.
Il fallait un jongleur de rôles comme le comédien révélé au grand public par Les Garçons et Guillaume à table !, pour ce texte à une voix mais une trentaine de personnages, écrit par le dramaturge italien et prix Nobel de littérature 1997, Dario Fo, sur saint François d’Assise.
On suit l’homme de foi qui parcourt les routes de l’Italie du 13e siècle pour prêcher sa vision des Evangiles renouant avec la promesse chrétienne d’épure, de partage et de joie… A une époque où la critique du dogme pouvait mener au bûcher, le saint qui parlait aux animaux était aussi un frondeur illuminé et irrévérencieux, prêchant la liberté de parole et la pauvreté d’une institution qui avait accumulé les richesses matérielles.
On comprend aisément qu’avec de tels ingrédients, la pièce parle autant aux croyants qu’aux non croyants. Créée en mai 2006, elle a été reprise fin 2020 à la Comédie française, dans une nouvelle traduction. La crise sanitaire en avait suspendu la tournée, qui peut enfin reprendre en passant par Suresnes.
Avant d’y poser ses tréteaux, Guillaume Gallienne s’est confié au Suresnes mag.
Suresnes-mag. : Comment vous êtes-vous lancé dans ce spectacle ?
Guillaume Gallienne : Dès que Marcel Bozonnet a pris ses fonctions d’administrateur de la Comédie française en 2001, il m’a dit que ce texte était pour moi. Il partait du principe que tout comédien doit avoir un monologue dans sa valise. On l’a pris au mot et on a créé en mai 2006 un monologue qui peut tenir dans une valise, c’est-à-dire un spectacle qui n’a besoin de rien, qu’on peut jouer n’importe où n’importe quand. Ça correspond aussi à ce que raconte Saint François d’Assise sur le dépouillement et sur la pauvreté.
S.M. : L’hommage à l’irrévérence par un auteur athée communiste au travers de la vie d’un saint catholique ça peut paraître une drôle de rencontre…
G.G. : Pas tant que ça. Dario Fo qu’on appelait le « Fabulatore » (fabulateur) s’est beaucoup inspiré de la vie des saints. Je pense qu’il essaie de nous faire croire que Saint François d’Assise était un peu le premier communiste de l’histoire. Ce n’est pas tout à fait vrai mais je fais en revanche un lien avec la théologie de la libération (qui prône la libération des peuples en Amérique latine NDLR). Elle rejoint la parole de François qui est une recherche de partage et de refus de l’argent. Il est peut-être aussi le premier écologiste de l’histoire. Ce spectacle fait réfléchir à tout ça, mais il n’impose pas une théorie. Il est d’abord jubilatoire et raconte un homme d’audace, et presque de folie. Au bon sens du terme : je suis Russe orthodoxe et nous, les fous, on les sanctifie.
S.M. : C’est aussi un « seul-en-scène » particulier, où vous incarnez une trentaine de personnages…
G.G.: C’est certain. D’ailleurs c’est peut-être le fait de jouer ce texte de Dario Fo qui m’a donné la licence de faire Les Garçons et Guillaume, à table! au théâtre. Ce qui est beau dans ce spectacle, c’est que jouant tout le monde, et autant le loup que le pape, l’égalité se voit de fait puisque je les joue tous…
« C’est peut-être le fait de jouer ce texte qui m’a donné la licence de faire Les Garçons et Guillaume, à table ! au théâtre. »
S.M : Comment a-t-il été accueilli depuis sa création ?
G.G. : Toujours très bien. Parfois les gens sont tellement cueillis qu’ils n’applaudissent pas : il faut que je rentre en scène pour qu’ils acceptent de rompre avec la magie d’un spectacle. Parfois c’est immédiat. Mais c’est certain qu’entre les catholiques de Bordeaux et les cathares de Toulouse, les réactions sont différentes et les rires ne sont pas aux mêmes endroits…
S.M. : Vous connaissez le Théâtre de Suresnes Jean Vilar…
G.G. : Non seulement j’y ai joué, mais j’ai tourné des scènes de Marilyne mon dernier long métrage. J’aime beaucoup cet endroit. Son directeur, Olivier Meyer, est quelqu’un de tellement important pour moi. C’est un beau lieu de théâtre, un relais rassurant et nécessaire.
S.M : Entre le partage de François et le théâtre populaire porté par Jean Vilar, peut-on dresser un parallèle ?
G.G. : Jean Vilar se voulait « élitiste pour tous », je ne suis pas sûr que ce soit le cas de François. Mais ils ont quelque chose d’assez commun, c’est le « pour tous ». Un de mes grands maîtres au théâtre, Klaus Michael Grüber, voulait au départ être missionnaire. Le jour où il a dit à sa mère que finalement il voulait faire du théâtre, elle ne s’est même pas retournée et lui a dit : « C’est la même chose».
S.M. : Après ces années avec saint-François, vous êtes d’accord ?
G.G. : Je fais beaucoup de parallèles notamment dans l’idée de la mission. J’ai un ami qui est moine. Le jour où il a été ordonné prêtre, l’archevêque Gabriel de la cathédrale orthodoxe, rue Daru, lui a dit : «Ne te considère pas comme un maître de la foi mais plutôt comme un serviteur de la joie.» J’ai fait cette phrase mienne dans la seconde.
François, le saint jongleur de Dario Fo, mise en scène : Claude Mathieu
Face au succès des réservations des 9 et 10 décembre, le Théâtre a rajouté une représentation le 8 à 20h30