A priori, le projet pourrait paraître déraisonnablement ambitieux. Proposer à des publics souvent éloignés de la culture et de ses institutions de monter sur scène pour faire entendre les textes de Simone Weil, philosophe à la destinée fulgurante, figure à part dans la pensée française du 20e siècle.
Jusqu’à ce qu’on interroge Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass qui justement n’ont cure de ces a priori. Et qu’on se rappelle que Simone Weil n’a eu de cesse de penser et de chercher à partager la condition ouvrière, animée par une quête de justice qui l’amènera à rejoindre les Républicains durant la guerre d’Espagne puis la France Libre à Londres où elle mourut à 34 ans. Le duo a travaillé, durant 2 ans et demi, avec plusieurs associations (*) de Suresnes pour constituer un chœur de femmes et d’hommes qui portera sa pensée aux côtés de Hiam Abbass.
« La culture, estime la comédienne, a souvent exclu ces gens qui ont fini par croire que ce n’est pas pour eux. Parfois il y a d’abord un refus, mais quand on prend le texte, qu’on décortique les mots, ils trouvent leur lien avec cette littérature. Et la poésie permet de partager une vraie joie.»
Une conviction de moine-soldat
Le lien, avec les publics, avec la culture, avec la ville, avec donc ce qui fait ciment républicain, c’est bien le mot-clef de leur projet. « Je ne me considère pas comme un artiste, je suis un tisserand de ce qui fait civilisation. Nous on veut retisser ces liens qui se sont rompus en permanence et redonner de la dignité » résume Jean-Baptiste Sastre.
Une conviction de moine-soldat inspire et traverse le travail qu’il a mené déjà à Suresnes sur Bernanos ou Péguy, et plus largement depuis 2010 en France avec les communautés Emmaüs, ou les sans-abris de Berlin, New York et Los Angeles…
« Il a un don pour faire sortir ces instants de grâce chez les gens car il est avec eux », loue Hiam Abbas qui trouve dans cette association pour créer un espace de vie commune à travers le théâtre un sens à son art et à sa transmission. « C’est aussi une responsabilité que je veux avoir envers la communauté dans laquelle je vis. »
Ensemble, ils veulent « offrir le plus d’âme possible, faire en sorte que les œuvres puissent jaillir avec émotion ». Une recette ? «On travaille sans condescendance en faisant attention aux profils particuliers de chaque association. C’est tellement beau quand on voit les jeunes du Celije s’occuper avec tendresse et élégance des malvoyants ou les plus anciens transmettre aux jeunes leur poésie ».
Avant, et peut-être plus que le spectacle, c’est leur première victoire.
(*) C.A.A., Cécile Sala, le Celije, le Collectif solidaire des Chênes, La Croix Rouge, l’ESAT Cité-jardins, Liberté Mont-Valérien, Part’âges, le Relais de Sarah, la Résidence Albert Caron, le Secours Populaire, le Square, Trico’dons)
Plaidoyer pour une civilisation nouvelle, d’après Simone Weil, adaptation et mise en scène Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass. 22 et 23 octobre à 20h30
« C’est une belle aventure qui a rassemblé les publics d’associations et de structures qui parfois se cherchent dans des projets communs sans toujours se trouver. Les gens qui fréquentent le Square ont souvent eu des vies plus chaotiques que d’autres.
Or Jean-Baptiste Sastre et Hiam Abbass sont des artistes qui aiment les gens. Ils ne cherchent pas à les utiliser pour un spectacle : ils leur proposent d’être « avec eux ». Ils écoutent et travaillent pour révéler ce qu’il y a de plus beau dans une personne et l’amener à s’approprier le texte.
Leur démarche est entière et très proche de celle du Square qui est un lieu d’accueil, d’écoute et d’accompagnement social où le travail sur l’estime de soi contribue à une reconstruction.»