Sur le chemin qui mène au lieu de l’exécution, un homme en noir marche auprès des condamnés. Il les connaît, les a souvent visités en prison, il ne se pose pas de questions inutiles : juifs, croyants, athées ? Peu importe, il accomplit sa mission. Franz Stock est « l’aumônier de l’enfer », il a sous son ministère les prisons parisiennes, celles d’où partent des camions pleins qui reviennent vides.
De 1941 à la libération de Paris en 1944, l’abbé visite les détenus, les réconforte, leur apporte ses paroles, les accompagne jusqu’à la mort. Le même horrible rituel à chaque fois se répète, les portes qui s’ouvrent, les cris en allemand, la route jusqu’au mont Valérien, la descente jusqu’à la clairière, la salve mortelle.
La révélation de son destin de serviteur de Dieu s’est imposée à lui lorsqu’il avait douze ans, dans sa ville natale de Neheim (aujourd’hui Arnsberg en Bavière). Né le 21 septembre 1904, au sein d’un ménage ouvrier, Franz est l’aîné de neuf enfants. C’est un adepte du scoutisme, un chrétien convaincu doté d’une santé délicate. Ces mouvements scouts allemands sont les premiers jalons d’un fragile rapprochement avec la France dans les années 1920. Franz Stock participe à un camp réunissant les jeunes des deux pays puis en 1928 il part étudier à Paris, à l’Institut Catholique.
En 1932, il est ordonné prêtre et officie dans la région de Dortmund. Proche des milieux pacifistes Mais en 1933, Adolf Hitler accède au pouvoir et met les religions en coupe réglée. Stock est envoyé à Paris comme recteur de la paroisse allemande. Ce proche des milieux pacifistes serait menacé en restant en Allemagne. A Paris, il aide les réfugiés anti-nazis, les exilés. Mais en 1939, comme l’ensemble du personnel de l’ambassade, il est rapatrié dans son pays natal.
Il revient à Paris dans les bagages de l’armée d’occupation, aumônier attaché à l’ambassade, il va demander à l’ambassadeur Otto Abetz de s’occuper des prisonniers. Lorsque la répression s’intensifie à la fin de 1941, il est officiellement attaché aux prisons parisiennes, antichambres des poteaux d’exécution.
Le rituel macabre se multiplie : un coup de téléphone à son domicile rue Lhomond, le tribunal vient de condamner les accusés à être fusillés, la sentence sera exécutée dans quelques heures. L’abbé se rend à la prison, il les assiste. Ils sont croyants, ou pas, communistes, anciens des camelots du roi, socialistes, juifs…
Liste de fusillés
Certains le rejettent, la plupart l’écoutent. Ces hommes et femmes voient passer la silhouette vêtue de noir, le dernier homme miséricordieux qui leur soit présenté avant la tuerie. Un homme en tenue de Dieu, qui les écoute, qui ne crie pas d’ordre, la seule humanité avant la mort. L’abbé Stock recueille leurs paroles, certains lui remettent des objets à donner à leurs familles : « Mon père, vous leur direz…»
Et puis il fallait assister au supplice, voir les hommes tomber, les accompagner par-delà la mort jusqu’au tombeau. Vivre avec cela, garder la foi, se confier à ses cahiers, décrire ses tourments. Son visage se creuse, ses traits deviennent ceux d’un tableau de Giotto, le visage creux de l’ascète en proie aux douleurs du monde en guerre. La route maudite qui mène au mont Valérien le laisse anéanti devant les morts en sursis qu’il accompagne.
Gabriel Péri, D’Estienne d’Orves seront parmi ceux qu’il verra tomber, comme les moins connus, ceux qui arrosent de leur sang la terre de France pour avoir résisté. Mais aussi ces morts allemands, déserteurs, droits communs. Il les assiste tous.
La folie des hommes, ces meurtres couverts du voile de la légalité lui sont insupportables, il ne dort plus, ses nuits sont hantées par les visages de ces suppliciés. Ceux qui pleurent, ceux qui crient « Vive la France!», ceux qui tremblent, ceux qui prient et vont à leur dernière messe. Parfois, très rarement, il obtient la grâce d’un condamné, ses seules victoires sur la barbarie.
Pendant toute la guerre, l’abbé consigne dans un journal de brèves notes sur les prisonniers, les dates et les heures des exécutions, ainsi que les coordonnées des familles auxquelles il rend compte des derniers instants de leurs proches et transmet parfois les ultimes lettres ou objets personnels. C’est en partie grâce à ces carnets que les listes de fusillés du mont Valérien seront reconstituées.
En 1944 il pourrait fuir mais il reste, exerce son ministère dans les hôpitaux, réconforte les blessés de toutes origines et assiste aux deux dernières exécutions le 19 août 1944.
Le rythme effrayant des mises à mort s’accélère, l’occupant est aux abois et le Franz Stock est seul. Son aide, le père Loevenich a été envoyé en Russie. La France entre dans la libération et il pourrait fuir en Allemagne avec les autres membres de l’ambassade. Mais il reste, exerce son ministère dans les hôpitaux, réconforte les blessés de toutes origines. Il assiste aux deux dernières exécutions le 19 août 1944.
La libération le trouve à l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Stock ne veut pas de traitement de faveur, il demande à partager le sort des prisonniers de guerre. Il reste quelque mois emprisonné à Cherbourg, revient à Paris, puis est affecté à Chartres, au « séminaire des barbelés ». Son cœur malade cède le 24 février 1948 à l’hôpital Cochin.
Enterré à Thiais
Le père Stock est enterré à Thiais, le cimetière qui reçoit les corps des suppliciés de la guillotine. En 1963, alors que la France et l’Allemagne s’apprêtent à signer un traité d’amitié, son corps est exhumé pour être transféré à Chartres dans l’église Saint-Jean-Baptiste de Rechèvre.
En 1998, le Chancelier Helmut Kohl écrit ses mots dans une tribune du Monde consacré à l’abbé : « A mes yeux, Franz Stock compte parmi ceux qui ont joué un rôle essentiel de trait d’union entre Allemands et Français car il a été un exemple vivant, montrant comment la générosité de cœur peut aider à surmonter la haine et l’inimitié. Allemands et Français ont tout lieu d’honorer sa mémoire et d’être reconnaissants.»
La ville de Suresnes l’avait honoré en donnant en septembre 1990 le nom de place de l’Abbé Franz Stock à l’esplanade devant le Mémorial de la France combattante. Son nom a été attribué cette année à une salle de réunion et d’accueil du public de l’hôtel de ville.