Théâtre Jean Vilar Saison 2022/23 : nouvel épisode

juin 2022

« La programmation de la saison 2022-23 a été conçue comme un fleuriste compose un bouquet pour cent circonstances différentes. » D’emblée, Carolyn Occelli, directrice du Théâtre de Suresnes, donne le ton : la prochaine saison s’annonce éblouissante.

Texte : Françoise Louis-Chambon

Forte de 50 spectacles, dont 15 créations, l’affiche du Théâtre de Suresnes Jean Vilar offre l’embarras du choix. Évidemment, il y aura du théâtre, de la danse, de la musique et de l’humour… Mais aussi de la magie, du cirque, et des dimanches matin en famille. Surtout, des spectacles d’une créativité qui n’hésite pas à bousculer les genres.

 

■ Entre retrouvailles et découvertes

Angelin Preljocaj et Jann Gallois cochent les deux cases. Le premier revient à Suresnes avec Winterreise, une création (janvier 2022) dont l’élégance transcende Le Voyage d’hiver de Schubert, joyau de la musique romantique.

La seconde, danseuse contemporaine convertie au hip hop, se lance au fil d’Imperfecto dans une conversation passionnante avec un danseur flamenco et trois musiciens virtuoses.

 

■ En famille

De la marionnette au cirque, de la danse au théâtre musical, du conte africain au concert dessiné, 9 rendez-vous attendent les plus jeunes. Ils adoreront La serpillère de Monsieur Mutt : une histoire d’objets mutins qui sortent du placard pour se mettre à danser…

Ou Jeu, un émouvant spectacle de marionnettes qui captivera les enfants sages… et les autres. Et surtout One, un conte écologique qui confie à deux marionnettes le soin d’alerter sur la beauté du monde, menacée par les humains.

 

■ Le sens de l’humour

Certains ont l’art de manier l’humour comme une arme de réflexion massive. Haroun et Vincent Dedienne sont de ceux-là. On retrouve le premier dans Seuls, un spectacle qui pointe les failles d’une société « où il y a trop de cons qui vont bien ».

Et le second dans Un soir de gala, un seul en scène mais avec plein de gens réunis pour une soirée qui tourne au jeu de massacre.

 

■ Restons classiques

Les amateurs ne manqueront pas l’Orchestre atelier Ostinato pour Boléro et autre Ravel ou les Grands airs d’opéra de Mozart à Schubert. Avec Offenbach, l’opérette s’invite à la fête (Le 66 ! A vous Offenbach ), comme le Blues (sur Suresnes) et le jazz (Carte blanche à Stacey Kent).

On retrouvera aussi Les Italiens de l’Opéra pour un spectacle de ballet exceptionnel et Clément Hervieu-Léger dans une mise en scène inspirée d’Un mois à la campagne de Tourgueniev.

 

■ Piquantes relectures

C’est la mode, « ça fait (souvent) sens » et c’est (parfois) irrésistible. En première ligne, les chefs-d’œuvre qui triomphent de l’usure du temps. Une catégorie dans laquelle, cette année, Molière est « nominé » deux fois.

L’Avare, ce tyran domestique qui chérit sa cassette bien plus que ses enfants devient dans la mise en scène de Camille de la Guillonnière un chef de terrain vague ! Parce que cet Harpagon-là pousse le bouchon jusqu’à vivre dans une roulotte pour limiter les frais…

La troupe de la Comédie française ne boude pas l’exercice. Dans la tradition du théâtre de tréteaux, elle s’empare de Dom Juan et des mécanismes de la comédie sociale dans une version road movie dont cinq comédiens interprètent tous les rôles.

Comme Molière, Racine continue de fasciner les metteurs en scène du 21e siècle. Avec Phèdre ! François Grémaud propose plus qu’une relecture. Retour au lycée : votre professeur n’explique pas la pièce, il en joue tous les personnages, il l’incarne, avec humour et émotion pour une redécouverte saisissante.

La danse n’échappe pas à la règle. On ne compte plus les versions inspirées du Sacre du printemps, mais Le Sacrifice va plus loin. Dans une relecture qui rend hommage à Pina Bausch, la chorégraphe sud-africaine Dada Masilo propose un ballet époustouflant qui célèbre la danse traditionnelle et les rites du peuple Tswana.

 

 

■ Palme de la transgression

Mais c’est sans doute au Crocodile trompeur que revient la palme de la transgression. Créé en 1689, l’opéra baroque de Purcell Didon et Enée retrace la passion déchirante de la reine de Carthage et du prince troyen. Quatre siècles plus tard, Samuel Achache et Jeanne Candel revisitent l’histoire.

Interprété, dans un décor qui tient du bric-à-brac, par des musiciens pas classiques et des chanteurs qui sont des acteurs, ce Molière 2014 du meilleur spectacle musical conjugue avec un rare talent rire et émotion.

 

■ Comment va le monde Môssieu ?

« Il tourne Môssieu », répondait, en 1964, François Billetdoux. Mais parfois, il tourne mal. Les années 2020 en témoignent qui suscitent nostalgie, critiques ou rébellion. « C’était mieux avant », regrettent les trois comédiens du Collectif BPM qui dans La Collection font revivre, amusés, les objets oubliés : le vélomoteur, la K7 audio…

Halte à la dictature du bonheur, se rebelle pour sa part Le Bonheur des uns qui pointe avec un humour dévastateur, les travers d’une société sous anesthésie.

Pourquoi Jessica a-t-elle quitté Brandon ? s’interrogent de leur côté Pierre Solot et Emmanuel de Candido, les concepteurs et interprètes d’une enquête exclusive qui n’a rien d’une sitcom. Les voilà confrontés à un puzzle diabolique qui révélera l’imposture de la guerre propre, les risques du numérique et les dérives d’une génération ultra connectée.

« Me too » s’invite au théâtre avec Les Femmes de Barbe-Bleue, manipulateur et serial killer avant l’heure. Sur scène, les victimes de l’ogre racontent comment elles ont été piégées et pourquoi il faut parfois oser ouvrir les portes interdites.

■ Un peu de noirceur

Plus sombres s’annoncent ces pièces qui traitent de problèmes plus intimes. Le deuil avec la petite Cendrillon orpheline de sa mère. L’alcool, une dépendance que l’on veut ignorer et un tabou qu’Un silence ordinaire propose de briser.

L’école, un chef d’œuvre en péril dont Qu’il fait beau, cela vous suffit nous ouvre les portes. Un spectacle documenté en forme d’état des lieux, partagé entre violence, humour et humanité.

Le pouvoir des mots, enfin, dont l’appauvrissement mutile la pensée. Le Village des sourds nous entraîne dans un village où un marchand propose à ses clients de le payer en mots. Mais la monnaie vient à manquer et la pensée finit par disparaître avec la langue…

Bande à part…

Que vous soyez théâtre, musique ou danse, voici cinq spectacles « différents » à ne pas manquer.

 Il n’y a pas de Ajar

parce que :

● L’on doit ce « Monologue contre l’identité » à une femme exceptionnelle : Delphine Horvilleur, rabbin, conteuse ex-journaliste.

● Le titre (qui joue sur l’homophonie entre « hasard » et « Ajar ») évoque le double que s’est inventé l’écrivain Romain Gary avant de se suicider.

● L’auteure imagine l’histoire d’Abraham Ajar, juif, musulman et chrétien, le fils fictif d’Emile Ajar.

● Le tout invite à faire un pas vers l’étranger qui est en nous.

La Douleur

parce que :

● Dominique Blanc interprète l’un des témoignages les plus troublants de la littérature d’après-guerre : le journal de Marguerite Duras, écrivaine et résistante qui, à la Libération, attend le retour de son mari déporté dans les camps.

● Un texte épuré, sans pathos mais bouleversant.

Le paradoxe de Georges

parce que :

● C’est un spectacle de cartomagie exceptionnel.

● Georges a son propre théâtre : un camion de 23 tonnes qu’il déplie pour donner corps à une salle de spectacles de 89 places.

● Pour six représentations, c’est donc le camion de Georges qui accueillera le public de Jean Vilar, délocalisé sur l’esplanade de l’abbé Franz Stock.

Möbius

parce que :

● Les 19 acrobates du collectif XY se sont associés avec le chorégraphe Rachid Ouramdane pour inventer, comme les étourneaux, d’extraordinaires ballets aériens.

●  « Ensemble, on va plus loin »

Sans effort

parce que :

● Il s’agit d’un défi : la pièce s’est créée en parlant et n’est imprimée que dans les cerveaux de ses interprètes.

● En même temps, il faut aimer les défis…

 

La 31e édition de Suresnes cités danse rassemblera 13 chorégraphes et 14 pièces et s’annonce participative, transdisciplinaire et féminine. A suivre dans le Suresnes mag.

 

Lire aussi le portrait de Carolyn Occelli, nouvelle directrice du Théâtre de Suresnes Jean Vilar

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