Marcel Dassault, la genèse du géant

mai 2021

Début 1917, le jeune ingénieur installe avec Henry Potez son usine au 1 rue Curie à Suresnes. C’est ici que naîtra le SEA IV, première œuvre de celui qui allait ensuite conquérir le monde de l’air.

Textes : Matthieu Frachon.

C’est un jeune homme de son temps, avec une moustache bien ordonnée, un costume sombre, une cravate. Il se nomme Marcel Bloch, il est brillant, ambitieux et va révolutionner l’industrie de l’aviation française. En 1917, c’est à Suresnes que l’avionneur se pose.

Un grand homme est le produit de ses rêves. Marcel Dassault est né Marcel Bloch le 22 janvier 1892 dans le
9e arrondissement de Paris. Fils d’un médecin, il est le produit de cette classe républicaine qui érige le mérite en suprême valeur. C’est un élève brillant, le dernier d’une fratrie de quatre enfants.

Désir d’avion

C’est l’époque des pionniers de l’air et du moteur à explosion, les journaux sont remplis des exploits de ceux qui volent de plus en plus vite, de plus en plus haut, de plus en plus loin. Le 18 octobre 1909, depuis la cour du lycée Condorcet, il voit passer l’avion du comte Charles de Lambert qui va survoler la tour Eiffel. Sans doute se rêve-t-il aviateur, comme Louis Renault se voit pilote de course : à 17 ans quoi de plus normal.

C’est de ce jour-là, écrira-t-il plus tard, que son désir d’avion ne le quittera plus. Guerre des airs Au début du 20e siècle, la France possède la première industrie aéronautique du monde. La banlieue ouest de Paris concentre un nombre d’usines important, Suresnes en est le bastion. Mais Marcel n’a pas encore rendez-vous avec la ville, il doit suivre sa voie. En ce temps-là, l’aviateur est souvent un concepteur : Blériot, Farman, sont autant des ingénieurs que des pilotes. L’étudiant Bloch va intégrer la toute jeune Ecole supérieure aéronautique et de constructions mécaniques, fondée en 1909.

Surnommée Supaéro, l’établissement forme les ingénieurs de cette discipline en gestation, l’aviation. Il en sort diplômé en 1913.

Avec Henry Potez, Marcel Bloch comprend que la standardisation doit être la norme.

Les usines de Suresnes devraient accueillir le jeune ingénieur, mais il lui faut effectuer son service militaire. Il est incorporé le 9 octobre 1913 au deuxième groupe aéronautique. Le service est de 18 mois, la guerre le maintient sous les drapeaux.

Sur les bancs de Supaéro, il s’est lié d’amitié avec Henry Potez. Lors de ces années militaires, Marcel Bloch fréquente les grands constructeurs basés à Suresnes, comme Louis Blériot. Il est attaché au « service des fabrications d’avions », les usines tournent à plein régime, la guerre des airs bat son plein.

Avec Henry Potez, Marcel comprend que la standardisation doit être la norme. Trop de manufactures produisent trop de produits différents. Le ministère de l’Air l’a bien compris et fait travailler ses ingénieurs pour concevoir des éléments de série. C’est grâce à une hélice que Marcel Bloch et Henry Potez vont se faire connaître. En 1917, les deux ingénieurs conçoivent une hélice standard, il n’y a alors pas moins de 40 constructeurs qui proposent de nombreux modèles.

La production des avions souffre de ce quasi-artisanat. Le modèle Potez-Bloch est retenu. Les deux ambitieux veulent passer à la vitesse supérieure et réaliser leur rêve : construire des avions. Au début de 1917, ils s’installent dans les anciens locaux de la firme Antoinette, 1 rue Curie à Suresnes. Les bâtiments étaient le fleuron de « Suresnes sur air », le génial ingénieur-motoriste Léon Levavasseur y avait conçu des appareils futuristes, mais il a été victime de la concurrence.

Dans cette « maison des courants d’air », la Société d’études aéronautiques (SEA) entend bien réussir. Potez et Bloch ont trouvé un financier, René Lévy-Finger. Le 9 juillet, la société dépose officiellement ses statuts au greffe du tribunal de commerce de Paris. L’aventure commence !

L’armée commande 1000 appareils

Les débuts sont chaotiques, la jeune SEA se contente d’améliorer les avions des autres, le Sopwith anglais et le SPAD de chez Blériot. Mais l’avion est trop lent, il est recalé par l’armée. La production est lente, avec 17 avions par mois au début de 1918.

Le jeune ingénieur est aussi accaparé par ses fonctions au ministère de l’Armement, il a en charge le département moteur et doit gérer un éventuel déménagement des usines dont on craint le bombardement par les Allemands. Ajoutons à cela la pénurie de moteurs et la difficulté à recruter de la main d’œuvre : la SEA est en crise. Mais il faut produire, l’armée attend les cent premiers SEA IV. L’armée ordonne de prendre cinquante ouvriers chez Blériot et commande mille appareils.

Le 28 octobre 1918, le lancement de la fabrication en série est effectif. Le premier appareil sort de l’usine… le 11 novembre. Il est trop tard, l’armistice est signé. L’Etat indemnise la jeune société des frais engagés, mais il annule sa commande. Comme de nombreux constructeurs, la firme ne survivra pas à la paix.

Marcel Bloch (qui changera son patronyme au retour de déportation) a pris son élan aéronautique à Suresnes. Le SEA IV fut la première œuvre de celui qui conquerra le monde de l’air sous le nom de Dassault.

 

Réalisé avec le concours de la Société d’histoire de Suresnes.

L’étrange « Brasserie » de Suresnes

Ah, le vin de Suresnes, sa renommée, son histoire… Mais un autre breuvage aurait pu étancher la soif des consommateurs : la bière ! La brasserie est une industrie qui remonte aux Gaulois, la fameuse cervoise, et Suresnes ne manque pas d’atouts pour ce breuvage : il y a du blé et de l’eau.

En 1793, cinq hommes se disant brasseurs acquièrent de vastes bâtiments situés rue de la Barre (devenue rue du Pont et aujourd’hui incluse dans la résidence des Jardins de Bagatelle), en face de l’ancien pont de Suresnes (à gauche extrait d’un plan de 1811 des Archives nationales). Ils se nomment Huvelle, Fallois, Bourgeois, Villardi et Egrée. Aussitôt la vente signée, ils viennent s’installer à Suresnes.

Ces cinq personnages sont « compromis » au sens de 1793 : ils sont issus des milieux de l’ancienne classe aristocratique, il y a un ancien aumônier, Fallois a laissé tomber la particule, un autre a défendu les Tuileries contre la foule des révolutionnaires… L’air parisien devient trop sanglant et à Suresnes on est plus en paix.

La bière commence à couler durant l’été, mais en septembre un ouvrier nommé Girard dénonce les cinq propriétaires comme anti-patriotes. Ils sont arrêtés et la brasserie est confisquée par la nation ! Des cinq, seul Egrée connaîtra un sort funeste en étant guillotiné en 1794.

Le mystère plane sur cette fameuse brasserie. Selon certains, elle servait de couverture à un complot royaliste, ce qui était courant dans les établissements de ce type. Elle aurait aussi servi à écouler de la fausse monnaie et des faux-assignats. La perquisition n’avait en tous cas rien donné.

En décembre 1794, la brasserie est rendue à ses propriétaires, elle fonctionne jusqu’en 1797 et distribue bière rouge ou blanche. Mais l’affaire est chaotique, émaillée de nombreux procès, le dénommé Fallois se querelle avec tout le monde. La brasserie périclite et devient une teinturerie en 1811.

La bière de Suresnes a vécu ! Prédestination urbaine ? Une partie du site deviendra une ginguette emblématique de Suresnes, La Belle Gabrielle (photo ci-desssous, où toutefois le vin avait la préférence de la clientèle.

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