La Radiotechnique, le son de Suresnes

juillet 2022

Installée à partir de 1921 rue Carnot, la société a été le fer de lance de l’étude et de la fabrication de tubes électroniques. Avec elle, la radio est passée d’une fonction utilitaire à un média de divertissement et d’information de masse.

Texte : Matthieu Frachon Images : Mus

La date du 24 décembre 1921 est primordiale. C’est la naissance de la radio en France, la première diffusion des programmes du Poste d’État depuis l’antenne de la tour Eiffel. La technologie des ondes radio quitte le domaine militaire, dans lequel elle s’était illustrée durant la Grande guerre et devient un outil de divertissement.

La TSF, transmission sans fil, prend son envol. L’auditoire est faible, la technologie est en plein essor, ceux que l’on nomme les « sans-filistes » sont bien peu nombreux à capter les premières émissions. Mais la machine est lancée, et puisque l’on parle de machine il va falloir des postes ! Au début, c’est la galère, ou plutôt la galène : le poste à galène. Il permet de capter le morse et quelques messages. Puis apparaît Sa Majesté la lampe, le tube électronique.

Dès lors que la TSF entre dans les foyers, l’industrie montre le bout de son nez. Ces postes lourds, difficiles à faire fonctionner et chers, vont évoluer, c’est certain : bientôt la voix résonnera dans chaque intérieur. En 1910 le capitaine Ferrié, chargé du premier service de transmission de l’armée française, pousse à la création d’une industrie dédiée à la radio.

Emettre c’est bien, recevoir c’est mieux

La SFR, Société Française Radioélectrique, naît et s’installe à Suresnes sous la direction d’Émile Girardeau, un des adjoints de Ferrié. En 1920, la SFR rachète une petite compagnie lyonnaise, la Radiotechnique et commence à se développer. Le fabriquant de lampes pense à l’avenir et regroupe sous l’égide de la Compagnie Générale de Télégraphie sans fil (CSF) la fabrication avec la Société Française Radioélectrique (SFR), la compagnie Radio France pour les relations internationales, et la compagnie Radio Maritime pour tout ce qui concerne la navigation.

Installés rue Carnot à Suresnes, les ateliers de la Radiotechnique vont connaître une rapide croissance. L’ex-entreprise lyonnaise se révèle le fer de lance de l’étude et de la fabrication de tubes électroniques : elle est même la première et seule usine française dédiée exclusivement à cette activité. Car émettre, c’est bien, mais recevoir c’est mieux. Il faut passer de la radio utilitaire pour quelques-uns, à l’outil de divertissement pour tous.

La SFR va créer en 1923 au 79 boulevard Haussmann à Paris un studio de radio et diffuser un programme animé par un certain Radiolo, relayé par un puissant émetteur situé à Levallois. Et pour écouter ces programmes, il faut des récepteurs, ces fameux postes de TSF.

Pour le moment, la Radiotechnique se contente de fabriquer des composants dans des ateliers plus que sommaires, des hangars mal chauffés, et un équipement tout aussi pauvre. Songez, homomodernus, qu’en ce temps-là tout était à inventer dans l’électronique et que la Radiotechnique était la pionnière de cette industrie. D’ailleurs les financiers n’y croient guère, les investissements sont minimes, le syndrome du visionnaire « ça ne marchera jamais » a encore frappé.

Mais le fabriquant de lampes du 51 rue Carnot déjoue les pronostics. De 27 ouvriers en 1921, l’effectif passe à 600 en 1926, pour une production de 6 000 tubes électroniques par jour. La révolution Radiola Et la radio dans tout ça ? C’est en 1929 que la Radiotechnique reprend à la SFR la fabrication des récepteurs de marque Radiola. Le succès va être au rendez-vous grâce à l’innovation : le SFER 34 de son petit nom de série est une révolution, le premier poste de radio qui fonctionne sur secteur.

La radio peut entrer dans tous les foyers, c’est Byzance en ondes courtes ou longues, il suffit de brancher le poste et le spectacle du monde est livré à domicile. C’est à cette période qu’un autre pionnier de l’industrie électronique se joint au concert : Philips. La firme néerlandaise et la Radiotechnique sont entrées en discussion dès 1923 et, en 1931, des accords commerciaux sont signés après un litige concernant des brevets. L’entreprise suresnoise va produire en France les tubes et récepteurs de la marque batave.

Pendant ce temps la radio poursuit son essor, 500 000 postes en 1929 et 5 500 000 en 1939, la voix nasillarde du speaker rythme la journée. C’est le poste qui popularise Maurice Chevalier, qui fait vivre les grandes grèves de 1936 (qui n’épargneront pas Suresnes l’industrieuse), qui fait entendre la voix du chancelier allemand Adolf Hitler, c’est grâce à lui que l’on peut vivre en direct l’atterrissage de Lindbergh à Paris… Radio Paris ne ment pas encore, le Poste national diffuse en grandes ondes.

Absorbée dans Philips en 1996

Mais la guerre arrive et l’usine est occupée, elle doit fournir notamment des postes pour la Kriegsmarine, la marine de guerre allemande. Une forme de résistance va animer la firme de Suresnes (lire ci-contre). En 1945, à la Libération, l’usine n’a pas subi de bombardements, mais il faut rattraper le retard technique et produire. En 1949 la télévision naît, balbutiante mais porteuse d’avenir. La Radiotechnique se redresse, Philips devient majoritaire dans le capital.

L’entreprise produit sous les marques Radiola et Philips plus de 40% des postes de radio du pays. La firme s’érige aussi en modèle social avec La revue de la Radiotechnique, un restaurant pour ses employés, une bibliothèque, un centre de formation et des clubs de sport. Les premiers postes de télévision sortent des ateliers dès les années 50, la Radiotechnique suit la révolution du transistor qui miniaturise la radio et accompagne les yéyés, c’est aussi elle l’idole des jeunes. La concentration industrielle signe la fin de l’aventure.

En 1996 la Radiotechnique disparaît totalement dans l’empire Philips. C’est la fin d’une époque qui a commencé au temps des lampes et des tubes électroniques : « Ici le Poste parisien, voici une chanson de Monsieur Charles Trenet… »

Cet article s’appuie sur le remarquable mémoire de Laura Couturier, « Nitrate au fil des Ondes », pour son diplôme de l’Institut National du Patrimoine.

LA RESISTANCE FUT AUSSI ÉLECTRONIQUE

En 1940, lorsque l’occupant s’empare de la Radiotechnique, la résistance s’organise. Ainsi un groupe d’ouvrier a entonné une Marseillaise après avoir capté et écouté dans les bureaux l’appel du 18 juin. La figure d’Henri Damelet, directeur de l’entreprise, est importante dans cette page de l’Histoire.

Dès l’armistice il s’engage dans la Résistance et rejoint un réseau du renseignement britannique. Il livre les plans des usines de la région parisienne, les adresses des manufactures allemandes, les listes du matériel expédié.

Lorsque le Service du Travail Obligatoire vient rafler les jeunes ouvriers, il cache ceux-ci et montre à Ernst Sauckel, l’architecte allemand de ce STO, uniquement des femmes et des vieillards : « Les jeunes sont déjà en Allemagne », ment-il. Correspondant de la Résistance hollandaise, il assure l’accueil et le transit des Néerlandais qui vont vers Londres. En 1944 il est brièvement arrêté par les Allemands qui le libéreront peu après.

 

Le saviez-vous ?

ROCARD ET LA RADIOTECHNIQUE

Parmi les grands noms qui ont œuvré au sein de l’entreprise suresnoise figure celui de Rocard… Yves Rocard (1903-1992), normalien, embauché en 1928 pour s’occuper des lampes des récepteurs radio, retourne assez vite à son domaine de prédilection, la physique. Après 1947, il rejoint le CEA, commissariat à l’énergie atomique. Il est considéré comme le père de la bombe atomique française. Il est aussi le père de Michel Rocard, homme politique notamment Premier ministre de 1988 à 1991.

Partagez l'article :