Le triple meurtre de la villa « Bon Repos »

février 2021

Certains faits divers marquent les territoires autant que l’actualité. Dans le Suresnes de l’après-guerre, une affaire criminelle a défrayé la chronique sur fond de banditisme et de collaboration. Elle connut même un rebondissement des années plus tard…

Textes : Matthieu Frachon Photos : MUS / Archives municipales

Réalisé avec le concours de la Société d’Histoire de Suresnes

Le fait-divers, miroir d’une époque et d’une société, a toujours passionné le public. Landru, le sire de Gambais, Marcel Barbeault le tueur de l’Oise, ou les amants tragiques de Louveciennes, laissent une trace sanglante sur les lieux de leurs « exploits ».

A Suresnes, en 1945, deux pièges ignobles font trois victimes. Le 18 mai, quatre hommes, dont l’un revêtu d’un uniforme de l’armée française, se présentent rue de Gramont à Paris chez un représentant en vin, Haïm Cohen. Ils affirment être membres de la Sureté militaire et arrêtent Cohen sous l’accusation de marché noir. Au prétexte de le confronter à celui qui l’aurait dénoncé, ils l’emmènent à Suresnes dans une villa qu’ils ont louée et qui répond au doux nom de « Bon repos ».

Mais là, Haïm Cohen comprend qu’il est tombé dans un piège. Fausses interpellations C’est l’arnaque aux faux policiers, classique de ces années troubles de l’occupation puis de la Libération. On le torture, il doit signer un chèque au porteur de 105 000 francs, on lui vole les clefs de son coffre après lui avoir extorqué la combinaison. Puis il est abattu froidement et son corps est jeté dans la Seine.

Le 31, mai à Maison-Alfort le même mode opératoire est appliqué. Deux frères, Jules et Roger Peugeot, sont « arrêtés » et emmenés à Suresnes « aux fins de confrontation ». Torturés, les frères révèlent avoir caché 125 pièces d’or dans leur fabrique d’appareils électriques. Ils sont ensuite abattus et leurs corps sont enterrés dans une forêt près du Chesnay. La police judiciaire (PJ) mène l’enquête sur les trois meurtres. Elle identifie les membres de la bande : Georges Accade, Jacques Menassolle et les deux frères Damiani, Paul et Joseph.

La PJ se fie aux descriptions des témoins qui ont assisté aux fausses interpellations et au mode opératoire déjà utilisé à Lyon et à Marseille, mais sans meurtres à la clef. De plus la villa de Suresnes a été louée par les Damiani sous leur propre nom.

Joseph Damiani est interpellé chez lui, sur son lit. Lors de la dernière opération, il s’est accidentellement tiré une balle dans la jambe. Jacques Menassolle se suicide sur le quai du métro Montmartre (aujourd’hui station Grands Boulevards) alors que la police l’interpelle. Paul Damiani est arrêté puis s’évade, il est abattu à Nice le 17 avril 1946 lors d’un règlement de compte.

Peine de mort commuée en travaux forcés

Aux assises de Paris le 9 juillet 1948, comparaissent Joseph Damiani, Georges Accade et Jacqueline Bonsergent la maitresse et complice de ce dernier (celle-ci, précisons-le, n’a aucun lien avec Jacques Bonsergent premier civil parisien fusillé durant l’occupation allemande). Damiani a déjàété condamné pour « avoir en temps de guerre, entretenu des intelligences avec l’Allemagne ou ses agents ». En clair c’est un « collabo », membre du Parti populaire français de Jacques Doriot. Ce petit truand de 25 ans a suivi l’exemple de son frère qui appartenait à la Milice.

Menaces, tortures, chantages, escroqueries étaient le fond de commerce de sa bande qui n’avait comme drapeau que celui de l’argent. Les deux frères ont fréquenté le politicien et homme d’affaires marseillais Simon Sabiani, collaborateur de la première heure et servi de gardes du corps à des personnalités allemandes.

Joseph Damiani ne cesse de clamer son innocence durant le procès. Il rejette les trois meurtres sur les autres membres de la bande, les deux morts. Sans complaisance, le procureur fait le portrait d’un jeune homme dévoyé, fils de bonne famille, avide d’argent et violent. Le 10 juillet, Joseph Damiani est condamné à mort ainsi que Georges Accade. Leurs peines seront commuées en travaux forcés à perpétuité par le président de la République Vincent Auriol. En 1949 Damiani est aussi condamné à Lyon à 10 ans de prison pour avoir extorqué de l’argent à des juifs durant l’occupation, en se présentant comme membre de la Police allemande.

Et Joseph Damiani devient José Giovanni

Il est libéré en décembre 1956 après amnistie du président Coty. L’histoire pourrait s’arrêter là et l’un des « tueurs de Suresnes » serait resté le simple acteur d’un fait divers aussi sordide qu’ignoble. Mais Joseph Damiani écrit un livre en 1957 qui raconte la tentative d’évasion de la prison de la Santé qu’il effectua avant son procès avec quatre autres détenus.

« Le Trou », titre du livre devient un film de Jacques Becker. Et Joseph Damiani devient écrivain, scénariste et réalisateur sous le nom de José Giovanni. Dans ses mémoires, il réécrit son passé, s’inventant une guerre dans la Résistance. Mais en 1995, la presse suisse révèle ses années de collaboration et
ses crimes. «J’ai payé. J’ai droit au pardon et à l’oubli», sont les seuls mots qu’il consent à écrire. José Giovanni disparaît en 2004, dernier survivant des tueurs de Suresnes.

Bal tragique à Suresnes

Au lendemain de la Première Guerre mondiale, une vague de criminalité s’est abattue sur la France. A tel point que les cafés et les bals furent soumis dans la région parisienne à de sévères restrictions. D’anciens « Apaches », voyous d’avant-guerre, reprenaient leurs activités, les militaires démobilisés provoquaient des troubles.

L’embargo provoqua bien évidemment la naissance de bars clandestins, de salles de jeux et plus largement l’instauration dans la région d’un milieu corse qui fit main basse sur les tripots, la prostitution et les bars louches. Le 27 janvier 1919, au cours d’un bal clandestin quai Gallieni à Suresnes, dans un établissement propriété d’un certain Sonbeille, un drame se noua.

Le bal illicite recevait des militaires récemment démobilisés, certains de retour des troupes d’occupation en Allemagne. A propos d’une jeune femme, le ton est monté entre deux groupes. Un garçon de 20 ans, Jules Déneville dit « bébé » de Puteaux, était particulièrement remonté.

Il se disputa avec Victor Gissé, un vétéran suresnois de 34 ans. Gissé traita Déneville de « planqué » avant de sortir son révolver et de lui tirer dans le ventre. Déneville mourut en arrivant à l’hôpital et Gissé fut arrêté dès le lendemain.

 

L’insécurité routière… déjà en 1914

Le 30 avril 1914, un certain Paul Mazuel, chauffeur de taxi à Neuilly-sur-Seine, veut faire le malin. Après un repas bien arrosé, il embarque dans sa voiture ses deux convives et s’élance sur la route afin de démontrer ses qualités de chauffeur professionnel. Hélas, de chauffeur à chauffard, il n’y a que quelques tours de roues de différence.
Après avoir traversé Puteaux à vive allure, le taxi s’engage dans Suresnes au même train d’enfer. En haut de la rue de la Tuilerie, un charretier ayant engagé son rustique véhicule sur la chaussée, Paul Mazuel le heurte à vive allure.

Le Suresnois Charles Cornion, 37 ans, a la poitrine broyée par le chauffard, il meurt en arrivant à l’hôpital Laennec. Le conducteur meurtrier de Neuilly est arrêté et emmené au dépôt de la Préfecture de police

 

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